Mieux accompagner la dépendance

Une politique publique globale et des réponses individualisées

Publié le 16/11/2010
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Crédit photo : S. TOUBON

LE QUOTIDIEN - La dépendance se définit-elle simplement par la perte d’autonomie?

DIDIER TABUTEAU - Il y a eu débat en France, en effet, au sujet du terme « dépendance », parfois considéré comme négatif, péjoratif. On lui préfère souvent la notion de « perte d’autonomie ». D’ailleurs, dans certains pays (Allemagne, Pays-Bas...), on ne distingue pas les notions de dépendance et de handicap. Mais il s’agit là simplement de constructions juridiques et historiques différentes. En France, la question du handicap s’est posée assez tôt, avec la loi de 1975 (loi d’orientation n° 75-534 du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées). Celle de la perte d’autonomie est arrivée avec l’attention portée aux personnes âgées, devenues une ligne d’action à part entière. Mais en fait, ce qui est en jeu, c’est clairement la notion de handicap qui, lié pour les personnes très âgées à un processus morbide, fait que le sujet perd un peu ou beaucoup de son autonomie. Le handicap ne correspond pas seulement aux fonctions manquantes de la personne mais bien à l’adéquation entre ce qu’elle est capable de faire et son environnement (personnel, réel).

Donc ce qui importe finalement, c’est d’accompagner les personnes qui ont besoin d’aide dans les actes de la vie quotidienne, quelle que soit l’origine de leurs besoins.

Face au même handicap, on n’aura pas le même accompagnement. Une personne en fauteuil roulant n’est pas confrontée au même handicap si elle vit au rez-de-chaussée d’un immeuble adapté ou dans un pavillon avec des marches et des portes de 70 cm. Le handicap (ou la dépendance) s’apprécie donc selon l’environnement dans lequel la personne évolue, ce n’est pas une valeur absolue. Il est extrêmement important que les politiques d’accompagnement prennent bien cela en compte.

En prennent-elles donc le chemin ?

Oui, tout à fait. Dans les années 1970, on s’est préoccupé du handicap, dans les années 1990, des personnes âgées. En 2005, les problématiques des personnes âgées (et les solutions apportées) ont inspiré celles propres au handicap. La création de la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie) est le parfait symbole du rapprochement entre ces deux champs d’intervention. Le dispositif d’aide à la dépendance a évolué en adoptant des caractéristiques intéressantes. D’abord, on cherche à évaluer le handicap ou la dépendance afin de mieux l’objectiver, de mieux identifier les difficultés rencontrées par les personnes. Ensuite, on individualise les situations, en adaptant l’aide à l’environnement.

À travers l’APA (allocation personnalisée d’autonomie), qui est différentielle (puisqu’elle varie selon les revenus du bénéficiaire), le volet redistribution est également ouvert.

Ce sont des caractéristiques que l’on peut discuter, mais qui sont indéniablement intéressantes et nouvelles par rapport aux différentes politiques sociales. L’assurance-maladie, par exemple, a une approche beaucoup plus universaliste.

Quels sont alors finalement les enjeux de la dépendance ?

D’abord, elle appelle nécessairement une politique publique globale. En effet, elle ne touche pas seulement à la santé mais aussi à la question du logement, du transport, de l’accès à l’éducation ou aux loisirs. Par nature, elle ne peut être mise dans une case ministérielle. Si l’on pense au vieillissement ou à l’augmentation du nombre de personnes âgées dépendantes, on voit bien que le problème n’est pas uniquement sanitaire. Par exemple, les banlieues des grandes villes sont habitées par de nombreuses personnes qui ont 50 ans ou plus. Ces personnes vont donc vieillir sur ces territoires, qui sont construits pour des actifs : il est nécessaire de prendre la voiture pour n’importe quel déplacement, faire les courses, aller chez le médecin... Il y a peu d’hôpitaux dans ces zones. Donc le développement des services d’aide à domicile ne suffira pas.

LE SOCLE COMMUN, L’ASSURANCE-MALADIE

Ensuite la dépendance pose des questions éthiques, qui se renouvellent. Au sujet par exemple, de l’alimentation des personnes très dépendantes : quelles sont les limites à poser, quel mode de décision choisir en cas de refus de la personne ? Pour les soins à leur prodiguer, idem. C’est bien sûr la volonté de la personne qui doit primer mais on sait bien qu’il y a beaucoup de zones de frontières, notamment lorsque la personne n’est pas capable d’exprimer son consentement. Ce sont des questions qui se sont toujours posées mais qui deviennent de plus en plus fréquentes et auxquelles la société (les familles, les soignants, les politiques) se trouvera de plus en plus confrontée.

Enfin, il va de soi que la façon dont la dépendance sera prise en charge engendre un débat de société, qui ne recoupe pas complètement la santé. On s’interroge sur le financement public ou privé de la dépendance mais il ne s’agit pas que de cela. Si les assurances interviennent, alors faut-il instaurer une obligation ou le dispositif doit-il rester facultatif ? Comment rendre le financement équitable ? Aujourd’hui, l’assurance-maladie repose sur l’idée que tous participent, mais chacun en fonction de ses revenus. Concernant la dépendance, un clivage supplémentaire s’ajoute à la problématique de la santé : l’âge. Si l’on fait peser le financement de la dépendance uniquement sur les plus de 50 ans, comme le suggère précisément un rapport parlementaire… Je trouve personnellement que cela pose un problème de principe.

Quelles sont alors les actions à mettre en œuvre en priorité ?

Je reste convaincu que le plus gros sujet pour les années qui viennent, c’est l’assurance-maladie, car c’est le socle commun. Et les besoins financiers pour les prochaines décennies sont d’une autre échelle.

PROPOS RECUEILLIS PAR AUDREY BUSSIÈRE

Source : Le Quotidien du Médecin: 8856