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Congeler ses ovocytes en pratique

Publié le 26/03/2024
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Assiste-t-on au développement d’un nouveau mode de reproduction ? Le succès de l’autoconservation ovocytaire, depuis son ouverture, pourrait en témoigner. La présidente du CNGOF revient sur les modalités pratiques de la procédure.

L’engorgement des centres limite les possibilités de proposer l’autoconservation plus largement

L’engorgement des centres limite les possibilités de proposer l’autoconservation plus largement
Crédit photo : SCIENCE SOURCE/PHANIE

Depuis la loi de bioéthique de 2021, la France est le seul pays où l’autoconservation est prise en charge à 100 % (excepté le renouvellement annuel de la conservation, de l’ordre de 40 euros) mais la loi a posé deux limites : l’âge – à partir de 29 ans et avant le trente-septième anniversaire – et la restriction aux centres publics autorisés, à savoir ceux autorisés à la préservation médicale (et déjà surchargés) ainsi que trois centres autorisés au don d’ovocyte. Quarante-et-un centres ont amorcé l’activité début 2022. Très rapidement, ils ont été submergés de demandes, surtout en Île-de-France, où les femmes font leurs enfants plus tard (1). L’ARS d’Île-de-France a donné trois nouvelles autorisations à l’automne 2023, et le gouvernement a annoncé l’ouverture de nouveaux centres, sans précision de date.

À qui s’adresse l’autoconservation ?

Une fausse image de l’autoconservation a longtemps circulé, celle de la femme carriériste, qui ne consacre pas de temps à sa maternité. Toutes les études montrent que la motivation est tout autre : plus de 80 % des femmes y ont recours parce qu’elles n’ont pas de partenaire (2). On commence à voir arriver en consultation des femmes en couple, mais elles expliquent que ce n’est pas le moment de mettre en route une grossesse ou que leur partenaire n’est pas encore décidé.

Quel est l’âge idéal ?

Si, en France, ce n’est possible qu’entre 29 et 36 ans révolus, les limites sont beaucoup plus larges à l’étranger ! Certes, les taux de succès de l’assistance médicale à la procréation (AMP) vont en diminuant avec l’âge de l’ovocyte, mais les données étrangères rapportent des taux de grossesse non nuls avec des ovocytes autoconservés à 37 ans et plus (3, 4). La limite au 37e anniversaire est due à un souci d’efficacité, à la volonté de ne pas donner de faux espoirs. Cependant, on peut se demander si elle n’est pas en rapport avec la prise en charge à 100 % par l’Assurance-maladie. Ce sont les femmes les plus diplômées qui ont recours à l’autoconservation : ne pourrait-on pas demander une participation, et élargir les limites d’âge ?

À quelles femmes la conseiller ?

Actuellement, la femme de 35 à 36 ans qui n’a pas ou plus de partenaire et qui souhaite un enfant un jour est celle qu’il faut adresser en centre autorisé. Si, un jour, tous les centres d’AMP sont autorisés à l’autoconservation ovocytaire, se posera la question de l’évoquer avec toutes les femmes de 30 ans et plus qui ne peuvent réaliser leur projet de grossesse faute de partenaire ou de conditions favorables ; mais actuellement, il serait impossible de les prendre en charge !

Combien d’ovocytes faut-il conserver ?

Des courbes existent pour calculer le nombre idéal d’ovocytes à conserver, en fonction de l’âge et des chances de grossesses souhaitées (3). Un consensus français émerge pour viser autour de 15 ovocytes (5) ; les recommandations américaines soulignent qu’il n’y a pas de données suffisantes pour définir un nombre.

Que deviennent-ils ensuite ?

Les femmes sont interrogées tous les ans pour savoir si elles veulent poursuivre la congélation (pour les utiliser avant leur 45e anniversaire), donner leurs ovocytes à une autre femme de façon anonyme et gratuite (mais avec possibilité pour l’enfant issu du don d’avoir accès, à sa majorité, aux données identifiantes de la donneuse) ou à la science, ou demander leur destruction.

Les premières études faisaient état d’un taux de reprise des ovocytes de 5 à 6 %. Les études plus récentes, avec un recul de dix ans, font état de chiffres différents : 38 % dans une étude américaine de 2021 (6), et 44 % dans une étude belge présentée en 2023, dont 42 % ont obtenu une naissance (7). Les principaux motifs pour lesquels les femmes ne reviennent pas prendre leurs ovocytes sont la grossesse spontanée et l’absence de partenaire.

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(1) Belaisch Allart J. et al. Gynecol Obstet Fertil Senol. 2023 Feb;51(2):109-10

(2) Pennings G. Reprod Biomed Online. 2021 Jun;42(6):1053-55 

(3) Goldman R. H et al. Hum Reprod. 2017 Apr 1;32(4):853-9

(4) Druckenmiller-Cascante S et al. Fertil Steril. 2022 Jul;118(1):158-66

(5) Santulli P et al. Gynecol Obstet Fertil Senol. 2023 Sep;51(9):428-33

(7) Darici E et al. Hum Reprod. 2024 Feb 1;39(2):355-63

Dr Joëlle Belaisch-Allart, présidente du Collège national des gynécologues obstétriciens français

Source : Le Quotidien du Médecin