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Dossier

Périnatalité : du mieux sur fond de pénurie médicale

Par Géraldine Langlois - Publié le 18/11/2022
Périnatalité : du mieux sur fond de pénurie médicale

85 % de femmes recevant une péridurale déclarent être très satisfaite concernant le soulagement des douleurs de contraction
Burger/Phanie

La Société française de médecine périnatale a réuni à Lille mi-octobre, pour ses 51 es journées, des centaines de professionnels de santé.

Une nouveauté marque ces derniers mois le paysage de la périnatalité avec la mise en place de l'entretien postnatal précoce (EPNP) obligatoire depuis juillet, inscrit dans le parcours des « 1 000 premiers jours » porté par le ministère de la Santé depuis 2020. Il ne s'agit pas d'une consultation clinique mais d'un « nouveau point de rencontre », entre la quatrième et la huitième semaine après la naissance, entre les professionnels de santé (médecins ou sages-femmes) et les mères et leur bébé, a rappelé Anne Chantry, sage-femme et épidémiologiste, maître de conférences à l'Université Paris Cité.

Durant cette rencontre « qui peut être longue », a indiqué la sage-femme, le vécu de la naissance et des premiers jours est abordé, ainsi que le bien-être de la femme, avec une attention particulière portée aux signes de troubles psychologiques ou psychiatriques. Le cas échéant, les mères peuvent se voir proposer de renseigner l'échelle de dépistage de la dépression post-partum. Le professionnel de santé observe aussi les interactions entre le bébé et sa mère, l'adaptation du bébé aux différents rythmes, la manière dont ses parents évaluent ses pleurs et y répondent… Des éléments potentiellement « prédictifs du syndrome du bébé secoué et de dépression du post-partum », a précisé Anne Chantry. Les relations du couple, leur sexualité et leur vie professionnelle sont aussi abordées. « C'est un moment clé pour dépister les situations complexes ou les risques qu'elles le deviennent, a-t-elle résumé. C'est aussi une fenêtre pour dispenser des conseils. »

Cet entretien a été mis en place à la suite du constat formulé par le sixième rapport de l’enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles (2013-2015), selon lequel le suicide est la première cause de mortalité des mères dans la première année après l'accouchement. Une découverte : « avant, on ne faisait pas le lien avec le fait que ces femmes concernées avaient accouché l'année précédente, a observé la Dr Sylvie Viaux, pédopsychiatre en périnatalité aux Hospices civils de Lyon. Quand nous avons fait cette enquête, nous avons vu que 91 % des suicides étaient évitables. Ça a été une alerte très forte. » Pour la période entre 2013 à 2015, cela représente 35 femmes, soit près d'une femme par mois, a précisé le Pr Michel Dreyfus, chef du service de gynécologie-obstétrique et de médecine de la reproduction au CHU de Caen et président de la Société française de médecine périnatale (SFMP).

Une des raisons de la sous-évaluation antérieure du nombre de femmes concernées tient aussi au fait, a-t-il ajouté, que les études ne considéraient jusqu'alors la période du post-partum que jusqu'à 42 jours après l'accouchement. L'enquête a aussi montré que 8 % des pères avaient aussi une dépression en post-partum et que les parents ne connaissaient pas bien le réseau de soutien de proximité.

L'entretien postnatal a été conçu comme un moyen d'aller vers tous les parents sans attendre que des signes apparaissent ou qu'ils expriment eux-mêmes une demande. Pour autant, c'est aux parents de prendre rendez-vous, a indiqué Anne Chantry. Le dispositif monte en puissance progressivement. Parmi les femmes qui ont accouché depuis mars 2021, 39 % indiquent en avoir bénéficié (mais 20 % n'étaient pas sûres).

C'est l'un des résultats de l'enquête nationale périnatale (ENP) 2021 de l'Inserm dont la responsable scientifique, la Pr Camille Le Ray, gynécologue-obstétricienne et épidémiologiste, a présenté les résultats. Pratiquement toutes les maternités y participent ainsi qu'une « immense majorité des femmes » (13 000) approchées par les 1 300 sages-femmes enquêtrices. Des données des dossiers médicaux ont aussi été exploitées. Une nouveauté tient au suivi des femmes à deux mois avec leur accord (soit 80 % d'entre elles). La dépression post-partum touche 16,7 % des femmes ayant répondu deux mois après l'accouchement, ce qui correspond peu ou prou, selon l'épidémiologiste, à la situation observée dans d'autres pays comparables.

Vers une « plus juste médicalisation »

L'enquête montre par ailleurs qu'en cinq ans, certaines pratiques ont beaucoup évolué et d'autres moins. Le taux de prélèvement bactériologique chez les enfants a été divisé par quatre, passant à 10 %, indiquant, selon la responsable scientifique de l'enquête, une tendance à une « plus juste médicalisation » de la naissance. Le taux d'épisiotomies, de 20 % en 2016, a diminué de plus de moitié (8 % en 2021). Pour la Pr Le Ray, cela montre que « les professionnels s'emparent des recommandations des sociétés savantes assez vite. Ils sont aussi poussés par les usagers. » Autre illustration : le taux de femmes ayant reçu une injection d'ocytocine a baissé, passant de 55 % en 2011 à 45 % en 2016 et 30 % en 2021. Il y a aussi « moins de ruptures des membranes et pas plus de césariennes qu'avant » (21 %), ajoute la gynécologue. Quasiment un quart des accouchements sont médicalisés.

Le taux de femmes recevant une péridurale reste élevé (85 %), avec une forte satisfaction concernant le soulagement des douleurs de contraction, mais 40 % des femmes témoignent de douleurs insupportables (7 ou plus sur une échelle de 0 à 10) au moment de l'expulsion. Un taux élevé auquel il sera nécessaire de trouver des explications « pour pouvoir s'améliorer », estime la Pr Le Ray. D'autres constats appellent à des améliorations. En effet, 10 % des femmes indiquent avoir été souvent confrontées à des paroles ou à des attitudes inappropriées de la part des soignants et 7 % à des gestes inappropriés. Des « chiffres élevés », a commenté la gynécologue.

La fréquence de l'allaitement maternel à la maternité a légèrement augmenté depuis la précédente enquête (de 54 à 58 %), mais un quart des femmes arrête la première semaine et un autre quart la semaine suivante. Au final, seules 34 % des mères pratiquent l'allaitement maternel exclusif à deux mois, un chiffre en baisse, « à comprendre », lui aussi.

Dumping au milieu d’un désert

Les membres de la SFPM ont aussi tiré la sonnette d’alarme sur le très mauvais « état de santé » de la démographie médicale en périnatalité. « Il nous inquiète beaucoup », a indiqué le Pr Dreyfus. Le recours aux vacations et à l’intérim augmente sans cesse et ne touche plus seulement les petites maternités. Selon le Pr Jean-Christophe Rozé, pédiatre et président de la Société française de néonatologie (SFN), la concurrence entre établissements conduit certains à la surenchère par la multiplication par deux ou trois des salaires, via des primes, pour travailler en néonatologie, ce qui vide les services des établissements voisins. Les jeunes gynécologues-
obstétriciens - souvent parents eux aussi ! - fuient les petites équipes où la permanence des soins exige d’eux un nombre de gardes et d’astreintes intenable. Pire : « il y a moitié moins d’internes inscrits en néonatologie », selon le président de la SFN. « On est au bord du gouffre », a insisté le Pr Damien Subtil, chef du pôle Femme, mère et nouveau-né au CHU de Lille. Des maternités ferment quelques jours, réouvrent, referment le week-end, « il n’y a aucune anticipation », déplore-t-il.

Cette crise prend des proportions que le Pr Rozé n’a « jamais vues en 40 ans ». Il en veut pour preuve l’évolution de la mortalité infantile : elle a baissé avant 1990, puis stagné avant d’augmenter de nouveau depuis 2015, avec 1 300 décès par an. Selon lui, « mathématiquement, on va être obligé de réduire le nombre de plateaux techniques. Ce n’est plus un débat sécuritaire, mais faute de combattants. »

Géraldine Langlois

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