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Dossier

Médicaments

Toute réaction n’est pas allergie

Publié le 25/05/2018
Toute réaction n’est pas allergie

Allergies
SPL/PHANIE

Avec près de 2500 participants, le Congrès francophone d’allergologie est devenu l’un des plus grands rendez-vous mondiaux de la discipline. Déclinée autour du thème “médicaments et allergie”, l’édition 2018 a été l’occasion de battre en brèche certaines idées reçues sur les allergies médicamenteuses.

Thème phare du récent Congrès francophone d’allergologie (Paris, 17-20 avril), l’allergie aux médicaments concerne 7 % de la population générale, avec au premier rang les antibiotiques puis les AINS/antalgiques, les produits de contraste et les chimiothérapies. Les mécanismes en jeu sont encore assez mal connus, mais prédominent les réactions IgE dépendantes et les HSR (hypersensibilité retardée) médiées par les lymphocytes, les deux pouvant coexister. Le défi est d’identifier le mécanisme des réactions indésirables pour ne pas méconnaître une allergie vraie susceptible de provoquer une anaphylaxie, mais aussi de ne pas étiqueter trop vite des patients comme allergiques afin de ne pas les priver de thérapeutiques indispensables. 
 

« Allergique aux pénicillines », une mention à bien peser

Devant une réaction aux antibiotiques, la crainte est celle d’une réaction allergique IgE dépendante exposant à un risque anaphylactique parfois majeur. « La mention “allergie aux β-lactamines” figure trop souvent sur les carnets de santé, sans que l’allergie n’ait été prouvée. Or, 90 % des personnes se disant allergiques aux pénicillines ne le sont pas, et c’est une perte de chance en cas de pathologie infectieuse sévère pour laquelle il n’y aurait pas d’alternative valable », s’insurge le Dr Joëlle Birnbaum (Aix-en-Provence). Le diagnostic d’allergie aux β-lactamines se fait sur des tests cutanés, les IgE étant très peu sensibles, le gold standard restant le test de provocation. Une allergie avérée impose de rechercher une allergie croisée à d’autres antibiotiques, mais aussi de repérer quels sont ceux qui sont bien tolérés.
 

Allergie ou intolérance ?
Parmi les réactions aux médicaments, 10 % seulement sont d’origine allergique. Les réactions d’intolérance peuvent être liées à divers mécanismes, dont la libération d’histamine, la production de leucotriènes avec souvent une susceptibilité individuelle.
L’allergie est d’autant plus probable que la réaction est précoce et sévère, que les symptômes sont évocateurs (urticaire, angio-oedème, bronchospasme, rhinite, choc anaphylactique), la molécule connue pour son risque allergique potentiel.
Le diagnostic repose sur des tests cutanés et le dosage des IgE spécifiques, voire des tests de provocation orale si nécessaire.

Allergie et vaccins, peu d’incompatibilités vraies

Parmi les nombreuses controverses liées à la vaccination, le risque allergique est souvent mis en avant. Les constituants incriminés (le vaccin lui-même, les excipients, le latex de la seringue) sont multiples. Les réactions locales sont les plus fréquentes et ne nécessitent généralement pas d’investigation, même si elles sont étendues car il n’y a pas de risque anaphylactique. Elles sont plus fréquentes au niveau du bras, en cas de vaccins multivalents ou rapprochés, de vaccins contre le pneumocoque ou la coqueluche.  

Les réactions anaphylactiques sont rares, 1,3 par million de doses (0,65 chez l’enfant). Leur exploration repose sur les tests cutanés et le dosage des IgE spécifiques. Elles contre-indiquent la vaccination incriminée. Lorsque l’allergène en cause n’est pas l’antigène du vaccin mais un autre composant, il peut être possible de contourner l’obstacle en choisissant un vaccin d’une autre marque car la composition varie selon les fabricants. En l’absence d’alternative, un protocole d’accoutumance peut être proposé en milieu hospitalier.

Quant au développement ou à l’aggravation d’une allergie chez l’enfant après les premiers vaccins, l’étude allemande KIGGS n’a pas montré d’association entre vaccination et risque d’atopie, et les données disponibles sur la vaccination antigrippale confirment qu’elle n’influence pas la survenue de l’allergie et n’aggrave pas l’asthme. « Il n’y a pratiquement pas de contre-indication vaccinale chez l’enfant atopique, explique le Dr Laure Couderc (Rouen), à condition d’éviter de vacciner les patients sous corticothérapie orale ou lors de poussées d’asthme ou de dermatite atopique, vu le risque d’exacerbations. Ces enfants étant particulièrement sensibles aux infections, l’abstention vaccinale ne serait pas sans conséquences. »  

Concernant l’allergie à l’œuf, les quantités d’ovalbumine sont faibles dans le vaccin antigrippal ou le ROR et ne contre-indiquent pas la vaccination à dose complète, réalisable sans test préalable, sauf antécédent d’anaphylaxie majeure où elle sera pratiquée en milieu hospitalier. Pour le vaccin contre la fièvre jaune, les injections doivent être faites – après un testing préalable – à doses progressives sous surveillance hospitalière.
 

 

Contourner l’allergie aux anti-cancéreux

Les anticancéreux, aussi bien les molécules classiques que les thérapies ciblées, peuvent aussi provoquer d’authentiques allergies. Il est essentiel de les distinguer des effets secondaires et de vérifier que ce ne sont pas les prémédications qui sont en cause. Une production d’anticorps dirigée contre la molécule pourrait expliquer son manque d’efficacité. Sans autre alternative thérapeutique pour traiter la tumeur, le médicament peut être réintroduit grâce à des inductions de tolérance, efficaces et sûres, à condition de bien sélectionner les patients. 

 


L’intolérance aux AINS, une question de COX ?

Les AINS et les antalgiques sont en bonne place parmi les classes thérapeutiques pourvoyeuses d’allergies, et on estime que 15 à 25 % des personnes consultant pour réactions aux AINS y seraient authentiquement allergiques. L’histoire clinique est généralement très évocatrice, alors que les tests cutanés ne sont pas validés et n’ont d’intérêt que s’ils sont positifs, évitant alors des tests de provocation potentiellement dangereux. L’allergie contre-indique le médicament et sa famille chimique. Un certain nombre de réactions aux AINS relève en revanche d’une intolérance, dans laquelle entre en jeu le rapport entre inhibition de la COX1 et de la COX2. « On privilégiera ceux inhibant le moins fortement la COX1, sachant qu’un AINS toléré à dose faible peut ne plus l’être à forte dose », insiste le Dr Claude Ponvert (Paris). On peut aussi encadrer la prescription d’antihistaminiques ou d’antileucotriènes. Pour l’aspirine, des protocoles d’accoutumance peuvent être proposés, mais sont efficaces uniquement sur les manifestations respiratoires survenant chez l’adulte.
 

 

Allergies per-opératoires : attention aux sirops antitussifs

Le risque d’allergie est de 100 pour un million d’anesthésies. Le latex est de moins en moins souvent incriminé, puisqu’il ne représente plus que 5 % des réactions. L’allergie aux curares est fréquente, avec une mortalité par choc anaphylactique de 4 %. Certaines réactions anaphylactiques ont été observées chez des personnes n’ayant jamais été exposées aux curares, et depuis 2005 on sait qu’il existe une réaction croisée avec la pholcodine, souvent présente dans des sirops antitussifs. Des études suédoises et norvégiennes avaient montré l’association entre consommation de pholcodine et sensibilisation aux curares, et l’arrêt de la commercialisation de la pholcodine en Norvège a amené une diminution significative des chocs anaphylactiques aux curares. « Mais l’EMA a refusé de retirer les médicaments à base de pholcodine. En France, sa délivrance est maintenant soumise à prescription médicale mais elle reste autorisée », déplore le Dr Nadine Petitpain (Nancy). On attend en 2019  les résultats de l’étude Alpho, menée par le GERAP (Groupe d’études des réactions anaphylactoïdes peranesthésiques) pour évaluer les corrélations entre exposition à la pholcodine et chocs anaphylactiques aux curares.

 

Déremboursement annoncé des APSI : les allergologues vent debout

​Le 13e CFA a été l’occasion pour les allergologues de réaffirmer leurs mécontentement et leurs craintes face à l’avis de la HAS préconisant un abaissement du remboursement des APSI (allergènes préparés spécialement pour un individu). Tandis que la pathologie allergique explose et qu’il n’existe pas de traitement alternatif à la désensibilisation, cette décision constituerait une véritable catastrophe pour les patients et un recul inédit dans l’accès aux soins, estime la profession. « En remboursant à seulement 15 % l’immunothérapie sublinguale et pas la voie sous-cutanée, la moitié des allergiques ne pourra plus être traitée », remarque le Pr Jocelyne Just, présidente de la Société française d’allergologie. Selon les allergologues, la HAS a recalé l’immunothérapie, en se basant sur des études en double aveugle vs placebo peu adaptées pour apprécier son efficacité, vu le grand nombre d’allergènes à évaluer, alors que les méta-analyses seraient plutôt favorables. Ainsi, dans l’asthme, l’immunothérapie se révèle efficace sur la symptomatologie, mais modifie aussi l’histoire de la maladie en limitant le développement de l’asthme chez les enfants atteints de rhinite aux pollens. « Laissez-nous le temps de regarder chez les patients dans la vraie vie », plaident les allergologues. 

 

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