La première alerte avait été donnée lors de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest entre 2013 et 2016, la pandémie mondiale de Covid-19 a joué le rôle de violente piqûre de rappel : la recherche d’urgence en France doit se structurer davantage. « Nous devons avoir les moyens de rendre disponible un traitement ou un vaccin en moins de 100 jours après l’identification et la description du pathogène responsable », résume le Pr Yazdan Yazdanpanah, directeur de l’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales - Maladies infectieuses émergentes (ANRS-MIE).
Seulement voilà : « L’innovation ne se décrète pas du jour au lendemain, scande Roger Le Grand, directeur du département « Infectious Diseases Models for Innovative Therapies » (IDMIT) du CEA. Il y a un délai incompressible entre le moment où l’on définit les concepts et celui où le médicament, ou le vaccin, est disponible. Il y a donc des éléments à anticiper et des verrous à identifier. »
Maintenir la production
Le retour d’expérience du Covid-19 a révélé des carences de méthodologie et de moyens, comme le détaille Roger Le Grand. « Si l’on prend l’exemple de la mise en œuvre rapide de la production de nouveaux vaccins, cela suppose l’existence d’usines prépositionnées et rapidement mobilisables, mais aussi de tout un écosystème et d’une expertise qui va avec, explique-t-il. Il est donc indispensable qu’elle soit entretenue et dispose d’un réseau de fournisseurs. »
L’entretien d’un tel outil de production à mobiliser en cas de crise suppose une mise en tension permanente, des formations régulières et un renouvellement régulier du personnel avec transmission du savoir. En bref : il faut maintenir une activité de production entre les crises, ce qui suppose des investissements.
Où sont les technologies de ruptures ?
Quelles sont les technologies et dispositifs qui nous font encore défaut ? Roger Le Grand en voit plusieurs. « En Europe, il n’y avait pas les mécanismes pour rendre les échantillons disponibles quand il s’est agi d’évaluer les tests diagnostiques. Dans le domaine des vaccins, poursuit-il, nous ne disposions pas non plus des plateformes vaccinales, c’est-à-dire de vecteurs, adaptables rapidement, dont l’innocuité a déjà été testée, et qu’on se sait en mesure de produire rapidement. »
D’ici à la prochaine crise, les experts de l’ANRS-MIE estiment qu’il faudra avoir maîtrisé tous les aspects de production des thérapies à ARN messager. « Il faudra trouver deux ou trois autres types de plateforme vaccinale pour proposer des stratégies en plusieurs temps et cibler une population plus large, plus rapidement », complète Roger Le Grand.
Le dernier verrou identifié par le directeur de l’IDMIT est la production. « Il faut en améliorer la qualité. Cela demande de la micro-
électronique, des systèmes de capteurs en flux tendu et d’autres choses qui dépassent le simple cadre du vaccin mais qu’il faut amener dans le domaine de l’industrie pharmaceutique », précise-t-il.
Des moyens colossaux à déployer
Et qui va donc payer pour cette liste de courses ? « C’est à la communauté des citoyens, au travers de l’État, de décider d’investir ou non dans ce genre d’outil », résume Roger Le Grand, pour qui « la France s’est emparée du sujet, mais en partie seulement. Des études ont identifié les moyens pour monter en puissance la production, mais les moyens n’ont pas été engagés. »
À l’étranger, au contraire, les exemples ne manquent pas : « 1,5 milliard d’euros pour financer CureVac et BioNTech en Allemagne. Deux milliards aux États-Unis pour soutenir Moderna suivis de six milliards supplémentaires », énumère Roger Le Grand.
En comparaison, le budget de l’ANRS-MIE est actuellement de 80 millions d’euros, dont 40 pour le VIH et les hépatites et, théoriquement, 40 pour les maladies infectieuses émergentes. « Ce qui nous manque à ce stade, c’est la pérennisation des 40 millions dédiés aux maladies émergentes », explique le Pr Yazdanpanah, qui insiste sur le chemin parcouru. « Il y a deux ans, Reacting* se résumait à quatre personnes et un budget de 500 000 euros par an, sans mission de régulation pour agir », rappelle-t-il.
Entre mars et avril 2021, une consultation publique et un appel à manifestation d’intérêt ont été lancés par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, dans le cadre du plan France Relance et du Programme d’investissements d’avenir. Le but : consulter les acteurs de la recherche pour identifier les priorités de la stratégie nationale d’accélération « Maladies infectieuses émergentes et Menaces nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques ». Le Pr Yazdanpanah affirme que, dans le cadre de cette consultation, « la question de la pérennisation des moyens a été centrale. Il y a un volet prévu pour mettre en place des plateformes de recherche et les financer en dehors des périodes de pandémie. »
Prévoir les essais cliniques
Pour la Pr France Mentré, cheffe du service d’épidémiologie, biostatistique et recherche clinique à l’hôpital Bichat–Claude Bernard (AP-HP), le bilan français en matière de structuration de la recherche clinique sur le Covid-19 est mitigé. À l’hôpital, la recherche s’est révélée capable de réagir très rapidement, avec le recrutement des premiers patients dans deux essais cliniques, grâce au travail préliminaire de Reacting, dès le 26 janvier 2020. En revanche, la médecine ambulatoire est restée à quai. Sur ce sujet, l’ANRS-MIE a récemment rendu un avis au ministère de la Santé visant à proposer des pistes pour organiser la recherche médicale pratiquée en ville.
« On dénombre au total 8 000 études déclarées dans le monde, la moitié randomisée, dont 2 000 portent sur les médicaments, soutient la Pr Mentré. En France, on compte 900 études déclarées, dont 200 randomisées et 100 publiées. Il y a donc eu une explosion des études cliniques, parfois de très petite taille ! » Pour la biostaticienne récipiendaire du prix Inserm recherche 2020, la France est trop petite pour être un réseau à elle toute seule et doit s’intégrer dans des filières européennes de recherche d’urgence.
À ce titre, les lignes ont commencé à bouger en Europe, puisqu’une plateforme d’essais cliniques a été mise sur pied, EU-Response, avec pour coordinateur le Pr Yazdanpanah. La plateforme est actuellement mobilisée sur la réorientation de traitements contre le Covid-19, mais elle doit pouvoir être rapidement activée pour les prochains pathogènes émergents. Un « maître protocole » est d’ores et déjà en chantier, rapidement adaptable à toutes les maladies émergentes. Il se décomposera en deux parties, consacrées respectivement aux formes modérées et sévères de la pathologie.
Mais le principal sujet de discussion à venir concerne les investissements en ressources humaines qui devront être consentis pour entretenir un réseau de recherche sur la ligne de départ. « Il faut énormément de personnel, notamment des médecins, des ingénieurs de recherche clinique et des techniciens, insiste France Mentré. Il faudrait réfléchir au moyen d’avoir un pool de personnes formées qui travaillent sur d’autres pathologies en temps normal et une coordination nationale pour les mobiliser en cas de besoin. »
*Le consortium Reacting, coordonné par l’Inserm, et l'ANRS ont fusionné fin 2020 pour donner l'ANRS-MIE
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