Contre E. coli BLSE CTX-M

Communiquer, faire comprendre et faire adhérer

Publié le 27/01/2011
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Crédit photo : BSIP

LES PREMIÈRES bêtalactamases à spectre étendu (BLSE) ont été décrites dans les années 1980. De type TEM et SHV, ces enzymes bactériennes touchaient préférentiellement les Klebsielles et Enterobacter. Elles avaient tendance à apparaître en milieu hospitalier dans des secteurs où la pression de sélection exercée par les antibiotiques est forte et entraînaient des épidémies hospitalières d’infections nosocomiales.

Avec l’apparition de BLSE de type CTX-M en 1989, la donne a changé. « Ces BLSE émergent de façon beaucoup plus large chez E. coli, y compris dans la communauté », explique le Pr Rabaud. On observe en effet « une dissémination, et beaucoup plus rarement une genèse de souches de colibacilles productrices de BLSE CTX-M en dehors de l’hôpital ». Une évolution épidémiologique d’autant plus préoccupante que E. coli est à la fois un commensal du tube digestif et la première cause d’infections urinaires, qui figurent au premier rang des infections bactériennes communautaires. « Elle risque de conduire à une modification des pratiques de prise en charge de ces infections, dans mais aussi hors de l’hôpital, avec une tendance à utiliser plus largement les carbapénèmes », note le Pr Rabaud. D’où une nouvelle pression de sélection avec des molécules considérées aujourd’hui comme des antibiotiques de réserve et l’émergence de nouvelles résistances : les carbapénémases.

Promouvoir le moindre usage des antibiotiques.

La réflexion des experts sur les moyens de lutter contre l’émergence et la diffusion de E. coli BLSE a donné lieu à dix recommandations. Les trois premières concernent l’information, des soignants, mais aussi de la population, sur le risque d’impasse thérapeutique généré par la diffusion de ces souches. « Il nous est apparu essentiel de porter ce message au-delà du seul microcosme des infectiologues et des microbiologistes parce qu’il s’agit d’infections communautaires et de patients tout-venant », indique le Pr Rabaud. Pour les experts, « ce message doit être utilisé comme levier pour promouvoir le bon usage et en particulier promouvoir le moindre usage des antibiotiques » (1), l’objectif étant de réduire la pression de sélection. Il faut même aller au-delà du monde de la médecine humaine, et « ne pas négliger le monde de l’élevage et de la gestion des effluents qui peuvent véhiculer ces bactéries résistantes », ajoute le Pr Rabaud. C’est la finalité des recommandations sur la recherche qui prônent, notamment, le développement d’études sur les aspects vétérinaires et environnementaux. La communication s’impose également auprès du grand public sur le danger d’une utilisation excessive des antibiotiques et sur l’intérêt du respect des règles d’hygiène de base dans la prévention de ce « nouveau péril fécal ».

Prévenir la transmission croisée.

Les mesures d’hygiène sont primordiales pour éviter la transmission croisée de E. coli BLSE, avec comme « points critiques », l’hygiène des mains et la gestion des excrétas manipulés par les soignants. Elles doivent être appliquées dans les établissements de santé, mais aussi dans le secteur médico-social (EHPAD et maisons de retraite) et au domicile des patients. Une étude espagnole illustre bien le problème posé par le portage intestinal de E. coli BLSE mis en évidence chez 67,9 % des patients ambulatoires atteints d’infection urinaire à cette bactérie et 27,4 % des membres de leur famille (2). Chez ces derniers, le seul facteur de risque de portage était le partage des repas. Le risque existe également chez les proches des patients qui ne vivent pas sous le même toit, avec un taux de portage de 15,6 %, soit deux fois plus que dans la population générale dans cette étude.

Surveillance et traitement.

La surveillance épidémiologique des entérobactéries BLSE est réalisée par des systèmes déjà en place qui doivent être « maintenus et consolidés ». Il est important de sensibiliser les microbiologistes sur la nécessité de rechercher systématiquement la production de BLSE chez des entérobactéries résistantes aux céphalosporines de troisième génération. Dès qu’une souche BLSE est identifiée, elle doit faire l’objet d’un signalement.

Sur le plan thérapeutique, les dernières recommandations de l’AFSSAPS sur le traitement probabiliste des infections urinaires bactériennes communautaires chez l’enfant (2007) et l’adulte (2008) restent valables et le recours aux carbapénèmes n’est pas au nombre de ces recommandations. En cas d’identification de E. coli BLSE, elles doivent être réservées au traitement des infections sévères, en sachant qu’en France, la fosfomycine ainsi que les furanes restent le plus souvent efficaces sur ces souches. Hors infections graves, « le rapport bénéfice/risque n’est pas en faveur d’une utilisation des carbapénèmes», commente le Pr Rabaud : «Leur usage est "une fausse bonne solution" ». Contrairement aux infections urinaires, les experts jugent nécessaire de « réviser sans délai » les recommandations sur la prise en charge des infections intra-abdominales et des infections néonatales.

« On est face à un risque écologique majeur dans un contexte où, depuis une dizaine d’années, seules quelques molécules nouvelles ont été mises à la disposition des médecins, et ce principalement contre les coccis gram +, constate le Pr Rabaud. Si la pression de sélection se maintient au rythme actuel, nous serons de plus en plus souvent confrontés à des situations d’impasse thérapeutique ».

* D’après un entretien avec le Pr Christian Rabaud, CHU Nancy.

(1) www.hcsp.fr/explore.cgi/hcspr20100202_enterobactBLSE.pdf

(2) Rodríguez-Baño J et coll. J Antimicrob Chemother 2008 ; 62 : 1142-9.

Dr CATHERINE FABER

Source : Bilan spécialistes