Plus de trois ans après l’émergence des premiers cas, les patients souffrant de syndrome post-Covid, communément appelé Covid long, pâtissent encore d’une prise en charge pas tout à fait optimale. Sur le terrain, le parcours de soins reste « chaotique » et la prise en charge se caractérise « par un manque de lisibilité de l’offre, une grande hétérogénéité géographique, un niveau de connaissances des professionnels de santé souvent insuffisant, et une tendance à la psychiatrisation des symptômes », tacle un avis du Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (Covars), rendu public ce 8 novembre.
Selon les estimations de Santé publique France et de la Haute Autorité de santé (HAS), « plusieurs centaines de milliers de patients » sont impactés, a indiqué le Pr Bruno Lina, virologue membre du Covars, lors d’une conférence de presse. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) considère que 17 millions d’Européens ont été confrontés à un syndrome post-Covid (SPC). L'incidence du Covid long tend à diminuer, bien plus fréquente au début de la pandémie avec les variants initiaux Wuhan et Alpha par rapport à Omicron et en l'absence de vaccination.
Attention à l'amalgame avec les troubles somatoformes
Ce syndrome se définit par la persistance de symptômes trois mois après l’infection initiale et pendant au moins deux mois, souligne le virologue. « Plus de 200 symptômes » sont recensés, ajoute le Pr Xavier Lescure, co-pilote de l’avis. Ces symptômes sont généralement « multisystémiques » et « fluctuants au cours du temps », poursuit l’infectiologue.
Ce caractère fluctuant se retrouve dans d’autres syndromes post-infectieux, précise-t-il. Il favorise aussi un amalgame avec les troubles somatoformes, ce qui conduit en pratique « à une incompréhension de la part des patients et exacerbe souvent le retentissement psychologique lié à la difficulté de vivre avec une maladie persistante, fluctuante et peu reconnue », souligne l’avis.
La majorité des patients (91 %) s’améliorent lentement au fil des mois, voire des années, mais peuvent connaître des rechutes aux conséquences invalidantes, avec des retentissements sur la vie professionnelle ou familiale. Le profil le plus à risque est une femme active de 45 ans avec antécédent d'asthme ou d'atopie, éventuellement tabagique.
Pour l’heure, aucun examen formel ne permet le diagnostic, ce dernier reposant sur l’interrogatoire clinique pour éliminer les diagnostics différentiels, insiste le Pr Lescure. Il n’existe pas non plus de traitement, la qualité de la relation entre le médecin et le patient apparaissant alors essentielle pour une prise en charge pertinente.
Vers des structures pérennes pour les syndromes post-infectieux
L’offre de soins est structurée en trois niveaux : généralistes pour les soins de premier recours, spécialistes pour la prise en charge des troubles fonctionnels et services de soins de suite et de réadaptation pour les cas les plus complexes. Pour améliorer le parcours, le Covars propose une « prise en charge holistique » avec le généraliste « au centre du dispositif » et une intégration des « structurations existantes qui apportent les compétences de cliniciens, d’explorateurs et de rééducateurs fonctionnels ou de kinésithérapeutes et de psychologues ou psychiatres ».
« Le généraliste est le plus à même d’assurer la prise en charge ou d’orienter », juge le Pr Olivier Saint-Lary, président du Collège national des généralistes enseignants (CNGE), qui plaide pour une approche « médico-psycho-sociale ». Il « peut rassurer sur l’évolution globalement favorable », estime-t-il, alors que 95 % des patients s’améliorent après trois ou quatre mois s’ils n’ont pas été hospitalisés lors de la phase aiguë de l’infection.
Le Covars avance par ailleurs plusieurs pistes pour améliorer la prise en charge. Il encourage ainsi à renforcer et restructurer le dispositif de soins, à l’aborder « sous l’angle plus général des syndromes post-infectieux ». L’enjeu, estime la Pr Brigitte Autran, immunologiste et présidente du Covars, est de mettre en place des structures « pérennes » afin d’anticiper l’apparition de syndromes post-infectieux, liés à l’émergence de nouveaux pathogènes.
Le Covars appelle aussi à la mise en place sur le territoire de « filières adaptées, financées et pérennes, pour assurer notamment des soins pluridisciplinaires, cliniques, physiques, psychologiques et sociaux ». L’avis plaide pour un « plan de communication clair, rassurant, rationnel et fondé sur la science amenant les soignants, les patients et le grand public à prendre conscience du SPC en tant que menace post-infectieuse réelle ». Un « coup de projecteur » sur les enfants et les adolescents est également nécessaire, tant la prévalence du Covid long est sous-estimée dans cette population. L’avis préconise enfin d’« amplifier et élargir l’effort de recherche français ».
Le ministère de la Santé a assuré de son côté être « mobilisé depuis le début de l'épidémie pour apporter une réponse adaptée aux besoins des personnes concernées, réduire l'errance médicale, faciliter et harmoniser l'organisation de la prise en charge, notamment via les agences régionales de santé ». Aurélien Rousseau, qui s'est entretenu avec la présidente du Covars, réunira début 2024 un nouveau comité de suivi des actions engagées, une fois reçues des recommandations de la Haute Autorité de santé sur les parcours de soins post-Covid.
Plusieurs hypothèses physiopathologiques
D'autres virus que le Covid sont connus pour donner des syndromes post-infectieux : Ebola, le virus Epstein-Barr (mononucléose infectieuse), le chikungunya mais aussi le premier Sars, qui a circulé en 2003.
Mais il reste que « le Sars-CoV-2 est un candidat idéal pour être responsable de syndromes post-infectieux, du fait de son tropisme multisystémique, c'est-à-dire de sa capacité à infecter un nombre élevé de cellules et d'organes », a expliqué le Pr Bruno Lina, virologue à Lyon. Plusieurs hypothèses, dont certaines relativement bien étayées, sont avancées pour comprendre la mécanique d'apparition du syndrome post-Covid, a-t-il expliqué.
La première est celle de la persistance d'une infection virale à bas bruit « qui serait reflétée par la présence d'un certain nombre d'ARN viraux, de virus entier ou d'antigènes viraux dans des réservoirs de l'organisme », a-t-il rapporté, ajoutant que de l'ARN viral a été retrouvé dans le sang, les selles et dans le système nerveux central (SNC) plusieurs mois après l'infection chez des personnes ayant un syndrome post-Covid. Des éléments viraux ont également été retrouvés dans les tissus nerveux chez la plupart des personnes qui ont été autopsiées après être décédées du Covid et d'une pathologie post-Covid.
Une deuxième piste repose sur l'existence d'anomalies immuno-inflammatoires avec une production de cytokines déréglée en lien avec la stimulation virale initiale ou un état dysimmunitaire potentiellement lié à la présence d'auto-anticorps.
En troisième point, une atteinte inflammatoire du SNC via une neurotoxicité virale entraînerait des microthromboses, ce qui pourrait expliquer un hypométabolisme cérébral observé à l'IRM chez certains patients ayant un Covid long.
D'autres hypothèses à l'étude, comme la dysbiose du microbiote intestinal ou une inflammation vasculaire au-delà du SNC, sont moins documentées.
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