PAR LE Pr CLAUDE MARTIN*
LE TRAITEMENT traditionnel du sepsis grave consiste en un contrôle du foyer infectieux par la chirurgie ou la ponction percutanée d’un abcès et une antibiothérapie à large spectre prescrite avant la 60e minute de la prise en charge médicale. De façon simultanée est réalisée une réanimation hémodynamique par expansion volémique avec cristalloïdes ou colloïdes, perfusion de vasopresseur(s) et parfois d’un agent inotrope positif (dobutamine, adrénaline, isoprénaline). Son objectif est d’obtenir une pression artérielle moyenne de 65 mmHg, une diurèse horaire de 0,5 ml/kg ou plus et une saturation en oxygène du sang de la veine cave supérieure de 70 % ou plus (1). L’index cardiaque doit aussi être supérieur à 2,5-3 l/min/m2. Un tel traitement est associé à une mortalité souvent supérieure à 50 % (2). Des traitements adjuvants pourraient donc être utiles pour améliorer la survie des patients.
Corticothérapie de substitution.
L’infection grave affecte négativement l’axe hypothalamo-hypophyso-cortico-surrénalien. De plus, les cytokines inflammatoires générées par le sepsis grave peuvent soit bloquer la sécrétion de cortisol induite par l’ACTH, soit induire une glucocorticoïdo-résistance des tissus périphériques. Une supplémentation hormonale peut donc être envisagée. Une étude portant sur 299 patients a montré que 4 fois 50 mg par jour d’hydrocortisone pendant 7 jours (plus 50 µg de fludrocortisone par jour) permettent d’améliorer la survie à 28 jours (3). A contrario, une autre étude portant sur 499 patients n’a pas retrouvé d’effets positifs de la corticothérapie de substitution (4). Trois récentes métaanalyses permettent de faire le point sur le sujet (5-7).
La première conclut que, depuis plus de 50 ans, des doses variées de corticoïdes ont été utilisées sans clair bénéfice sur la mortalité. Depuis 1988, les études ont évalué de faibles doses d’hydrocortisone (200 mg/j pendant 5 à 7 jours) et qu’il semble y avoir un effet de réduction de la mortalité évaluée à court terme (28 jours).
La deuxième atteste que l’emploi d’une corticothérapie est sûr : pas de surinfection, de saignement ou de trouble glycémique significatif. La mortalité n’est pas modifiée, mais il existe une réduction de la durée de l’état de choc et de l’emploi de vasopresseurs, ce qui est un objectif thérapeutique pertinent.
La troisième estime que « l’hypothèse nulle concernant la mortalité ne peut être exclue », en d’autres termes l’efficacité du traitement substitutif ne peut être écartée sur la mortalité… L’effet favorable sur la durée de l’état de choc est confirmé. Il semble qu’il soit surtout présent chez les sujets les plus âgés (› 62 ans) et en cas de pathologie sous-jacente.
Les nuances entre ces métaanalyses sont explicables par des méthodologies d’évaluation différente et la prise en compte ou non d’études comportant plus ou moins d’états de choc septique, ou carrément d’infections sans choc septique…
Pour la pratique, on peut envisager des propositions de prescription suivantes :
– limiter aux chocs avec une dépendance prolongée aux vasopresseurs (mais pas durée consensuelle) ;
– limiter à 200 mg/j (en 4 injections ou en perfusion continue) ;
– employer de l’hydrocortisone et pas de dexaméthasone ;
– la fludrocortisone est optionnelle ;
– prescription pour 7 jours et sevrage progressif.
Protéine C activée recombinée.
Les patients en choc septique développent une coagulation intravasculaire disséminée avec thrombose microcirculatoire. Il en résulte des troubles de l’apport d’oxygène aux tissus et donc une dysfonction d’organe. L’analogue recombinant de la protéine C activée naturelle plasmatique (drotrécogine alfa, Xigris) est un anticoagulant inhibant les facteurs V et VII. Il a également des propriétés anti-inflammatoires et anti-apoptotiques et pourrait traiter ou prévenir l’ischémie tissulaire. L’étude pivot PROWESS a montré une réduction de moralité de 6,1 % (p = 0,005) (réduction relative de 19,4 %) (8). Sur la base de cette étude, le produit a obtenu en 2002 une AMM pour « un sepsis sévère avec plusieurs défaillances d’organes, en complément d’une prise en charge conventionnelle optimale ». Le produit est contre-indiqué chez les patients de moins de 18 ans. Le médicament étant un puissant anticoagulant, son emploi augmente le risque de saignement (voir RCP). L’usage de la drotrécogine alfa fait débat en raison d’une manque de données scientifiques solides en dehors de l’étude pivot et son AMM est révisée régulièrement.
Il existe des études de cohortes, comme l’étude ENHANCE (9), mais le niveau de preuve est peu convainquant. Une étude randomisée, ADDRESS a porté sur des patients à faible risque de mortalité (a priori une seule défaillance viscérale) et s’est révélée négative (10). L’étude conduite en pédiatrie (RESOLVE) a été arrêtée en raison d’une inefficacité du produit.
Au total, afin de clarifier le débat, deux nouvelles études prospectives sont en cours : PROWESS shock (NCT 00112164) et APPROCHS (NCT 00625209). Dans l’attente de leurs résultats, les équipes de réanimation doivent procéder à une réflexion collégiale pour décider ou non d’utiliser ce médicament. Si c’est le cas une prescription au plus tard dans les 24 heures s’impose.
Contrôle glycémique.
L’hyperglycémie est particulièrement néfaste chez les patients de réanimation : augmentation du stress oxydant, de la réponse inflammatoire, de l’hypercoagulabilité et baisse des défenses immunitaires. Une étude fondamentale a suggéré qu’un contrôle glycémique strict (0,7 à 1,1 g/l) améliorerait la survie chez des patients chirurgicaux (11). De nombreuses autres études ont évalué la pertinence de cette stratégie. Une métaanalyse récente conclut qu’il est dangereux de proposer un tel contrôle strict de la glycémie et que la mortalité est augmentée chez les patients ne recevant pas de nutrition parentérale (12).
Pour le cas particulier du choc septique les résultats de l’étude VISEP vont dans le même sens (13). Le contrôle glycémique strict n’est pas recommandé en raison du risque d’hypoglycémies graves qu’il fait courir. Un contrôle de la glycémie entre 1,4 et 1,8 g/l est préférable et suffisant.
Au total, parmi les traitements complémentaires du choc septique, seul l’emploi de faibles doses d’hydrocortisone peut être envisagé dans l’objectif de réduire la durée de l’état de choc.
*Hôpital Nord, Marseille
(1) Conférence de consensus « Prise en charge hémodynamique du sepsis sévère » www.sfar.org/référentiels.
(2) Annane D, et al. Am J Resp Crit Care Med 2003;168:165-72.
(3) Annane D, et al. JAMA 2002;288:862-71.
(4) Sprung CL, et al. N Eng J Med 2008;358:111-24.
(5) Annane et coll JAMA, 2009, 301, 2362 ;
(6) Sligl et al Clin Inf Dis 2009, 49, 93 ;
(7) Moran JL, et al. Crit Care 2010;14:R134.
(8) Bernard GR, et al. N Eng J Med 2001;344:699-709.
(9) Vincent JL, et al. Crit Care Med 2005;33:2266-77.
(10) Abraham E, et al. N Eng J Med 2005;353:1332-41.
(11) Van den Berghe G, et al. N Eng J Med 2001;345:1359-67.
(12) Marik PE et Priser JC. Chest 2010;137:544-51.
(13) Brunkhorst et al. N Eng J Med 2008,358,125-39.
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