Contribution

Dépistage et tests : par qui commence-t-on ?

Publié le 29/04/2020
Le Pr Joël Ménard parle d'expérience. Dans la tribune qui suit, l'ancien responsable de la Direction générale de la santé (DGS) revient sur le débat très vif – à deux semaines de la sortie du confinement – autour des tests et de la politique de dépistage à mettre en place. Il en souligne la complexité. Et ose néanmoins une suggestion : « Chaque Français donnerait sa contribution à UN test sérologique fourni gratuitement en remplissant un questionnaire court, qui sera anonymisé, pour suivre la France de demain au cas où ? »

Crédit photo : S.Toubon

L’utilisation de tests sérologiques, que ce soit au laboratoire de biologie public ou privé, chez soi, à la maison ou chez son médecin peut être vue sous des angles différents. Les connaissances, les habitudes, les opinions diffèrent entre méthodologistes, virologues, médecins, pharmaciens, biologistes. Les réactions subjectives diverses face aux mêmes faits sont souvent illustrées par la formule du verre à moitié plein ou du verre à moitié vide. En matière de statistiques, on peut parler de 90 chances sur 100 de n’être pas malade ou de 10 pour 100 de risques d’être malade. Accompagné par le ton de la voix, la mimique du visage, le choix des mots est majeur pour se faire comprendre : un scientifique face à un autre, une personnalité politique face à des électeurs, un médecin face à une personne malade.

Ainsi, sur les mêmes faits scientifiques, l’unanimité peut ne pas se faire. Ce n’est pas anormal, mais conduit à des écarts de raisonnement ou de langage au fur et à mesure où chacun croit important de défendre un point de vue et contribue à la montée du débat dans les médias ou les réseaux sociaux. On en perd de vue le retour aux sources, pour y revenir quand la raison revient mais il faut alors les travailler à nouveau parce que la connaissance évolue sans cesse.

Débats à chaque étape

Voilà ce à quoi on peut s’attendre pour l’utilisation des examens de recherche de virus nasopharyngé par PCR et les tests sérologiques sanguins qui vont apparaître pour tracer biologiquement une infection virale antérieure, traduite par des symptômes ou asymptomatique. Les débats surviendront à chaque étape de la réflexion, induisant le risque de faire des mauvais choix, ou de faire des bons choix, mais sans savoir comment les faire partager, faute de concertation facile entre des groupes qui n’ont ni la même formation initiale, ni le même langage, ni les mêmes intérêts financiers ou personnels. Certains peuvent ne pas en être conscients et naïfs ou mal informés, d’autres peuvent vouloir masquer leurs intérêts. C’est une vieille question en médecine, quand « l’entreprise médicale » est à la fois un service et un marché, toutes professions comprises, de l’industriel à l’universitaire, du médecin au pharmacien, du biologiste au sociologue, de l’aide de vie à l’infirmier, du psychologue à l'économiste, du communicant au politique.

Si l’on n’accepte pas ces réalités, si l’on n’en a pas conscience, on ne peut plus chercher activement la plateforme commune où chacun doit se retrouver, se faire confiance, en gardant bien sûr ses distances !

Le biologiste, le méthodologiste et l'épidémiologiste

Le méthodologiste va regretter que les recherches d’anticorps par telle ou telle méthode récente ne puissent être évaluées par référence à un étalon-or, qui serait incontournable pour tout le monde et totalement indépendant de la méthode nouvelle évaluée. On énumérera les difficultés : le calendrier d’apparition et de disparition des anticorps dans le sang, la variabilité des taux d’anticorps d’une personne à l’autre, leur pouvoir neutralisant. Le biologiste promettra des tests parfaits aujourd'hui, et plus encore demain. Les méthodologiste, jugeront, armés de leurs calculs de moyenne et d’évaluation des mesures de la variabilité exprimée par des « intervalles de confiance » comme ils disent aux méfiants !

Face à une référence, telle que la présence certaine de la maladie qui génère des anticorps, le nouveau test serait toujours positif (la sensibilité : au moins 95%). L’absence certaine de la maladie ne s’accompagnerait jamais d’anticorps dans le test (spécificité: au moins 98%). ces chiffres seront promus largement. Le biologiste demandera toujours plus de temps pour faire mieux et plus vite, en particulier pour être sûr que les anticorps neutralisants qui protègent d’une réinfection deviennent repérables. Parmi les professionnels et dans la rue, la rumeur enfle alors : des tests, des tests, nous voulons des tests, et tous les pays en ont ou en font !

Intervient alors l’épidémiologiste. Il introduit la notion de prévalence de la maladie dans le groupe auquel appartient la personne que l’on va tester. On découvre alors que les résultats faussement négatifs seront moins fréquents, certes, si la prévalence de la maladie est basse (par exemple 5 % des gens), mais que le nombre de résultats faussement positifs pourrait avoisiner 20%. À nouveau, on est coincé entre la peste et le choléra : qu’est-ce qui est le plus risqué pour la personne : être faussement négative ou être faussement positive ? Qu’est-ce qui lui est le plus utile, à elle et aux autres ? L’épidémiologiste rencontre alors le médecin clinicien, et finit par conclure que les tests ne sont vraiment utiles que pour des résultats de groupes, tels que ceux des études épidémiologiques. À ce stade de la discussion, les médecins cliniciens se scindent en deux groupes : majoritaire, le groupe qui colle aux qualités du test dans des zones impressionnantes en pourcentage, et minoritaire qui souffre sans trancher des personnes à qui il dira qu’elles sont positives, à tort, ou négatives à tort.

Sous la pression des fabricants, des spécialistes de santé publique, et surtout d’une majorité de la population qui a besoin d’espoirs et se protège des incertitudes par le besoin d’avoir ces tests, l’envie d’y avoir accès devient dominante et justifiée dans tous les esprits, car, dans ce choix, tous deviennent ainsi actifs, et non plus obstructifs.

Mais qui dépister en priorité ?

Puis l’on retombe sur terre : dans la vie de tous les jours comment faire ? Qui est le plus utile à tester ? Celle qui a le plus grand risque d’avoir eu la maladie ou de l’avoir bientôt ? Les endroits les plus contaminés par l’infection virale ? Les possibilités de choix sont aussi grandes que les demandes catégorielles qui montent. Alors, tester tout le monde, plus de discussions. Malheureusement si. Comme on ne peut pas tout faire d’un coup, par qui commence-t-on ? Discussions et récriminations incontournables. On reprend donc le problème : selon que quelqu’un est positif ou négatif, qu’est-ce qui va changer ?

Ne vaut-il pas mieux que dans l’égalité républicaine, très peu de gens ne soient testés pour que tous se sentent responsables de la distanciation, du port du masque, du lavage des mains, de l’utilisation répétée de liquide hydro-alcoolique et de savon de Marseille, de la diminution de l’utilisation des transports en commun. Si l’on ne faisait tous ces tests que pour la veille sanitaire nécessaire et les soins préventifs indispensables à quelques groupes à haut risque où la prévalence de la maladie a été ou sera plus élevée ? Finalement, n’a-t-on pas plus d’avantages à ce que les mesures soient générales, plutôt que de s’échiner à trouver les dix pour cent qui pourraient vivre différemment, si l’on ne s’est pas trompé sur le test positif qui leur donne ce passeport dont certains ont déjà imaginé qu’il pourrait être « accordé » ? On regarde alors autour de soi, et déjà, la vente de tests va bon train, malgré les avertissements des autorités de santé dans tous les pays. Alors, testons !

Tests sur ordonnance, autotests, gratuité du dépistage ?

Rien n’est fini. Qui teste ? Les médecins sur ordonnance : visite chez le médecin, achat en pharmacie, ou prise de sang au laboratoire, retour chez le médecin ? Des queues se forment un peu partout, rendant la distanciation plus difficile. Les livraisons de tests se font mal. Les stocks sont insuffisants. Les mécontentements augmentent, sauf chez les oubliés habituels des campagnes et des villes. Alors chaque Français va dans sa pharmacie pour acheter son autotest, se le fait lui-même ou elle-même, en couple, et va chez son médecin avec le résultat pour faire le point professionnel et familial, sans oublier de se faire mesurer la tension artérielle et de renouveler les ordonnances. Le test coûte 16 euros, dont 3 pour le pharmacien. Il n’est pas remboursé par la Sécurité sociale

Tout le monde testé ? Quoi, et pas remboursé ? Vous êtes fous : on ne va pas payer des tests demandés par un gouvernement ? Et les mutuelles, si elles refusent ? Et ceux qui n’ont pas mutuelles ? La grogne monte alimentée sur les plateaux de télévision et sur les réseaux sociaux. Et sans même pouvoir manifester en groupe, vu les circonstances ! Pour éviter des malades, fera-t-on des fous furieux ? Alors, on dit que chaque Français a droit à un test gratuit, couplé à son numéro de sécurité sociale, avec comme devoir de renvoyer le résultat. Flicage pour les uns, épidémiologie pour les autres ?

L’État fait distribuer des tests et aux médecins et aux pharmaciens. Les tests sont faits au cabinet médical, sans déplacement, avec un retour vers le médecin de famille ou le médecin du travail. On encourage des initiatives de test locales, en fonction de la géographie, des habitudes et de l’offre de soins. On a six mois pour le faire, avant la prochaine épidémie de grippe. On est presque heureux ! Patatras, Quelqu’un découvre qu’un des test proposés est mauvais, car, dit-on, c’est bien pour éviter ces dérives annoncées de Point of Care (TODR en français), comme on dit en anglais, et d’automesures qu’on a fait de bons laboratoires de biologie en France de vrais tests de laboratoire.

Quand tout cela s’est plus ou moins produit, avec un peu de chance, le système se débloque. On dit que le gouvernement est trop lent, trop centralisé, ce qui est faux, car chaque ville ou village peut créer son organisation propre. Le système se bloque ? La distribution des tests est difficile. Les gens ne suivent pas les choix venus d’en haut ? Voilà alors une génération qui émerge et souhaite d’être allemande ou suédoise, et est prête à faire payer ceux et celles qui depuis le mois de mars 2020 ont contribué magnifiquement à la maintenir en vie, et ont permis à tous de se mobiliser, quels que soient les avis de 60 millions de spécialistes qui habitaient le pays et n’avaient plus à composer les équipes de sports collectifs à la place des sélectionneurs et des entraîneurs.

Une solution pour chaque Français

Mais vous, Monsieur Ménard, ancien DGS, ancien médecin, ancien chercheur, ancien promoteur de la médecine fondée sur les preuves, que croyez-vous ? En me méfiant de moi, vieux confiné, ancien malade, je distribuerais des autotests examinés et libérés par des autorités de santé, aux médecins, aux pharmaciens pour encourager les uns et les autres à rentrer à nouveau dans le système de soins sans à-coups. Chaque Français donnerait sa contribution à UN test sérologique fourni gratuitement en remplissant un questionnaire court, qui sera anonymisé, pour suivre la France de demain au cas où ? Quoi ? La rencontre avec l'épidémie de grippe de l’hiver, face à laquelle on aura tous progressé ? Je suis trop vieux pour y penser, mais j’aime comme tout le monde mes petits-enfants Et c’est pourquoi, en période de gros temps, j’obéis scrupuleusement au capitaine !

Pr Joël Ménard

Source : lequotidiendumedecin.fr