À l'occasion d'un colloque organisé par l'Institut Pasteur pour fêter les 40 ans de la recherche sur le VIH, le chercheur Hugo Mouquet, qui dirige l'unité mixte de recherche Immunologie Humorale, a fait un point sur l'état de la recherche française sur les anticorps neutralisants à large spectre (bNAbs) qui suscitent beaucoup d'espoir dans la communauté scientifique.
Entre 1 et 2 % de la population des patients infectés par le VIH développent des bNAbs. Certains de ces patients sont qualifiés d' « elite controlers » car ils sont capables de controler leur infection, sans traitement. « Entre 1993 et 2008, nous avons tous travaillé avec les mêmes quatre premiers anticorps de ce type, se souvient Hugo Mouquet. Depuis les années 2010, des centaines de nouveaux bNAbs ont été identifiés. »
Une recherche qui explose
On répertorie plus de 3 000 publications entre 2013 et 2020. Les données sont parfois très prometteuses : en 2012, des chercheurs américains avaient ainsi identifié un anticorps spécifique à la protéine gp41 de la membrane externe du virus. Selon les résultats des tests in vitro, cet anticorps neutralisant était théoriquement capable de neutraliser 98 % des variants de VIH présents dans la biobanque du laboratoire.
Hugo Mouquet et son équipe consacrent leur temps à l'identification et à la caractérisation des bNAbs, qu'ils isolent principalement dans les lymphocytes B des patients supercontrôleurs de la cohorte Visconti. C'est un véritable travail de Romain : chaque patient est porteur de milliers d'anticorps neutralisants différents, et tous ne sont pas des bNAbs. Il faut donc les tester un par un.
De cette manière, ils sont parvenus à isoler trois lignées de bNAbs : BG18, BG1 et NC37 ayant pour point commun de se lier au supersite viral N332-V3. Au sein de ces trois familles, un anticorps s'est distingué. Appelé 7-269, il neutralisait presque 50 % des variants connus de VIH. Dans un modèle murin, il parvenait à bloquer et provoquer la destruction des nouveaux virus libérés par les lymphocytes T DC4 infectés.
Les lymphocytes B au centre du jeu
Les chercheurs ont ensuite analysé la réponse humorale provoquée par l'injection de cet anticorps 7-269, chez des patients humains. Ils ont observé des niveaux élevés de lymphocytes B spécialisés contre le VIH et de lymphocytes B mémoires. Ils ont également pu mesurer la cinétique de la réponse immunitaire.
En 2022, l'équipe d'Olivier Schwartz (Virus et immunité, Institut Pasteur) a fait une autre découverte fondamentale : elle a décrit et photographié comment les anticorps neutralisants à large spectre forment des agrégats à la surface des lymphocytes CD4 infectés, les empêchant de relarguer des particules virales et de transmettre de nouveaux virus. Cette équipe avait également montré le rôle joué par ces anticorps dans l'interaction entre lymphocytes T et cellules NK chargées de détruire les lymphocytes infectés.
Pour Hugo Mouquet, les bNAbs isolés par les chercheurs français ne sont pas destinés à être évalués en clinique dans l'immédiat. « Ils ne couvrent que 30 % des souches connues, ce qui est insuffisant pour en faire un médicament efficace », précise-t-il. Néanmoins, la caractérisation de la réponse immunitaire suscitée par l'injection de ces bNAbs sera utile pour le développement clinique d'anticorps neutralisants à large spectre.
Des essais cliniques déjà lancés
Les chercheurs français ne sont pas les seuls à travailler sur les bNAbs. À l'étranger des essais cliniques ont déjà été menés à leur terme. Ainsi, aux États-Unis, plusieurs études ont été réalisées, financées par l'Institut national américain des allergies et des maladies infectieuses, sur l'anticorps VRC01. Des essais en préventif ont recruté en Amérique et en Europe (études HVTN 704 et HPTN 085) des hommes cisgenres et en Afrique subsaharienne (étude HVTN 703 et HPTN 081) des femmes à risque d'infection.
En tout, près de 2 700 volontaires ont reçu le VRC01 ou un placebo. Selon les résultats publiés en 2021, le VRC01 ne protégeait pas mieux que le placebo contre l'infection par le VIH. En revanche, les mêmes chercheurs avaient démontré sur des isolats in vitro de virus que le VRC01 avait un fort pouvoir prophylactique.
Au Danemark, l'étude de phase 2b TITAN avait démontré qu'une association de bNAbs et de lefitolimod (agoniste de TLR9) pendant 8 semaines permettait un contrôle prolongé de l'infection, avec une virémie qui ne redevenait détectable que 12,5 semaines après le traitement, contre 9,5 semaines dans le groupe placebo + lefitolimod et une demi-semaine dans le groupe double placebo.
En France, un essai clinique ANRS-Rhiviera a débuté en 2023 avec les équipes
d’Asier Sáez-Cirión et d’Hugo Mouquet à l’Institut Pasteur, en coordination avec l’AP-HP, pour tester l’effet conjoint d’une trithérapie antirétrovirale et d’un cocktail de deux bNAbs à longue durée d’action chez des personnes nouvellement diagnostiquées.
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