Pr Ariel Cohen, président de la Société française de cardiologie

« Le Covid, un modèle quasi expérimental pour étudier la maladie cardiovasculaire »

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Publié le 17/11/2020

La Fondation Cœur et Recherche*, créée en 2010 par la Société française de cardiologie (SFC), lance un appel à projets pour soutenir les travaux portant sur les atteintes cardiaques du Covid-19.

LE QUOTIDIEN : Alors que la France est confrontée à une deuxième vague brutale, quel bilan faites-vous de la première ?

Pr Ariel COHEN : Comme tous les médecins, les cardiologues en sont sortis exsangues. Nous avons dû réapprendre une partie de notre métier à l'occasion de la gestion de cette infection. Alors que nous savions déjà que le cœur est l'un des organes cibles des infections virales, comme c'est le cas pour le VIH ou d’autres virus qui touchent les différentes tuniques du cœur ainsi que les vaisseaux, nous avons été frappés par la sévérité de l'expression cardiovasculaire de l'infection Covid. Beaucoup de patients étaient en surpoids, diabétiques, hypertendus, en situation de précarité et avec une maladie cardiovasculaire avérée, et très vite, nos services de cardiologie sont devenus des « services Covid ». Nous avons rapidement constaté une surmortalité chez les patients ayant une maladie cardiaque ou vasculaire sous-jacente.

Une méta-analyse incluant 8 500 patients a en effet montré que ceux qui avaient une maladie cardiovasculaire ou des facteurs de risque antérieurs au Covid avaient un risque de mortalité liée à l'infection multiplié par deux par rapport à ceux ne présentant pas d’antécédent. La maladie cardiovasculaire sous-jacente peut décompenser à l'occasion de la réaction inflammatoire entraînée par l'infection. Mais l'ampleur observée dans le Covid était inattendue. Les patients ont développé des complications inhabituelles, comme des thromboses coronaires et cérébrales ou des embolies pulmonaires, sans en présenter nécessairement les facteurs de risque habituels.

Quelles leçons avez-vous pu tirer de cette première vague ?

Dans les premiers temps, nous avons dû réduire à l’essentiel et à l'indispensable les indications des échographies du cœur, des scanners, des IRM, etc., par crainte des contaminations du personnel médical et par méconnaissance des risques de la maladie.

Ensuite, nous avons réagi et transformé nos services de façon à prendre en charge les Covid+, mais sans négliger les Covid-, car nous connaissions le risque pour les affections cardiovasculaires dont le traitement urgent aurait été différé. Alors que la deuxième vague est là et qu'un nouveau confinement a été instauré, nous sommes de nouveau amenés à déprogrammer certaines prises en charge d’affections graves. À la condition de veiller à l’absence de perte de chance car cette première vague nous a fait comprendre que le risque cardiovasculaire ne doit pas être négligé dans la lutte contre le Covid.

Quel impact sur la recherche ?

L'expérience de la première vague a souligné l'importance de ne pas mettre en stand-by la réflexion et de stimuler les équipes de recherche cardiovasculaire. Beaucoup de chercheurs ont interrompu leur activité pour aider dans les hôpitaux et dans la recherche d'un traitement de cette infection virale redoutable.

Avec la Fondation, et à l'occasion de cette deuxième vague, il nous a paru important de ne pas négliger la recherche fondamentale dans le domaine cardiovasculaire, et en particulier autour du Covid, car son apport est extrêmement précieux. C'est ce qui explique la démarche de la Fondation et son appel à projets. Le SARS-CoV-2 peut donner des myocardites et il entraîne surtout des décompensations de maladies cardiaques et vasculaires, ce qui fait du Covid un modèle quasi expérimental des conséquences de l'inflammation et de l'expression sévère de la maladie cardiovasculaire. Cela va nous aider dans un premier temps à mieux soigner les patients Covid, qui sont aujourd'hui la priorité, mais aussi à mieux comprendre la maladie cardiovasculaire elle-même, qu’elle soit ou non liée à l’athérosclérose.

*Fondation Cœur & Recherche : www.coeur-recherche.fr

Propos recueillis par Charlène Catalifaud

Source : Le Quotidien du médecin