Enquête sur la santé des migrants de Calais et Grande Synthe

Le paradoxe sanitaire de la jungle

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Publié le 24/03/2016
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« Non seulement les populations qui vivent dans la jungle de Calais n’exposent pas les habitants du secteur à un quelconque risque infectieux, mais l’analyse des données que nous recueillons en continu pourrait nous faire craindre plutôt un phénomène inverse, avec un risque de transmission de pathologies des Calaisiens vers les migrants. » L’expertise de Sylvie Haeghiebaert, épidémiologiste de la CIRE du Nord-Pas-de-Calais-Somme, dément les rumeurs qui circulent dans le Calaisis autour d’un supposé risque épidémique lié à la présence des réfugiés. Dans le cadre de la mission interministérielle chargée d’évaluer le dispositif de prise en charge sanitaire des migrants à Calais, c’est l’InVS, par sa cellule régionale, qui mène l’enquête, précise l’ARS au « Quotidien ». Une surveillance sanitaire de la population de la jungle a été mise en place le 15 octobre pour détecter précocement tout phénomène de santé nécessitant intervention de santé publique et suivre les tendances des pathologies traceuses, afin d’adapter l’offre de soins curatifs et préventifs.

Les informations remontent par deux canaux : les hôpitaux pour le signalement des MDO (maladies à déclaration obligatoire) et des cas groupés d’infection ou d’intoxication, et les associations (MSF et MDM) pour les consultations de premier recours installées dans les campements de Calais et Grande Synthe. « Sur l’ensemble des pathologies-cibles (maladies entériques, méningites, diarrhées, TIAC, botulisme, rubéole, varicelle, MST…), nous n’avons pas repéré d’événement particulier, rapporte Sylvie Haeghiebaert ; en janvier et février, 13 cas groupés de rougeole ont été signalés. Comme les conditions de vie des personnes ne permettent pas de pratiquer des vaccinations en anneau, auprès des personnes-contacts, une campagne vaccinale a été lancée dans l’ensemble des camps, avec l’EPRUS (Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires) et les différentes ONG présentes (MSF, MDM et Hands) ». Depuis la fin de cette campagne, aucun nouveau cas n’a été signalé, se félicite-t-on à l’ARS.

Mieux vaccinés, les migrants sont mieux protégés.

Une autre campagne vaccinale a été mise en œuvre contre la grippe saisonnière, fin 2015 à Calais, et début 2016 à Grande Synthe, la part des consultations pour infections respiratoires aiguës basses et syndromes grippaux ayant alors augmenté sur les deux campements. Son efficacité a été rapide : le pic épidémique a été franchi fin février, le nombre des cas diminue depuis, tandis que, autour des camps, l’épidémie régionale continue à progresser. « Mieux vaccinés, avec une très bonne adhésion, les migrants sont mieux protégés », constate Sylvie Haeghierbaert.

Ces épisodes de rougeole et de grippe désormais enrayés sont les deux seuls événements épidémiologiques, aucune variation significative d’évolutions inquiétantes n’est repérée à ce jour pour l’ensemble des risques infectieux surveillés. Pour la tuberculose, deux cas suspects avaient été confirmés en 2015, précise le Dr El Mouden, PH responsable des PASS, contre cinq en 2013. Cette année, une dizaine de cas suspects ont été orientés vers le CH calaisien, sans confirmation pour le moment.

Bien sûr, l’épidémie de gale reste prégnante, alors que les conditions de contamination sont réunies, avec une population mouvante et des conditions d’hygiène déplorables ; ces cas représentent 30 % des motifs de consultation dermatologiques, précise la CIRE. Enfin, une attention particulière est portée aux problèmes dentaires, alors que les soins bucco-dentaires demeurent problématiques.

Après le démantèlement de la zone sud de Calais, 80 % des migrants qui y stationnaient, selon les associations, se sont aujourd’hui repliés dans la zone nord du bidonville. Leur nombre serait « impossible à estimer » pour le moment, indique à l’AFP la préfecture du Pas-de-Calais. Selon la fondatrice du Women’s center, Liz Clegg, plus de 300 mineurs non accompagnés, en majorité des garçons afghans, y vivraient sans prise en charge médicale ou sociale spécifique. Ces mineurs ne sont pas identifiés dans les investigations de la CIRE.

Christian Delahaye

Source : Le Quotidien du médecin: 9482