Infectiologie

Le SARS-CoV-2 altère l’irrigation vasculaire cérébrale

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Publié le 19/11/2021
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Pour la première fois, un effet direct du SARS-CoV-2 sur les vaisseaux sanguins du cerveau a été découvert. Dans « Nature Neuroscience », des chercheurs détaillent comment un phénomène de mort cellulaire affecte les cellules endothéliales vasculaires cérébrales.
Image fluorescente d’un tissu cérébral humain post-mortem. Les noyaux cellulaires (bleu) mettent en évidence un vaisseau sanguin dans lequel les cellules endothéliales vasculaires expriment le matériel génétique du SARS-CoV-2 (rouge)

Image fluorescente d’un tissu cérébral humain post-mortem. Les noyaux cellulaires (bleu) mettent en évidence un vaisseau sanguin dans lequel les cellules endothéliales vasculaires expriment le matériel génétique du SARS-CoV-2 (rouge)
Crédit photo : Vincent Prévot/Inserm

Alors que de nombreux patients atteints de Covid-19 ont développé des signes et des symptômes neurologiques (notamment anosmie, perte de conscience et confusion, accidents vasculaires cérébraux, crises d'épilepsie), l’impact d’une infection par le SARS-CoV-2 sur le cerveau reste mal connu.

Dans une étude publiée dans « Nature Neuroscience » (1), des chercheurs français (2), allemands et espagnols avancent que l’infection par le virus entraînerait la mort des cellules endothéliales vasculaires du cerveau donnant lieu à l’apparition de « vaisseaux fantômes » dans le cerveau (c’est-à-dire des tubes vides, sans cellules endothéliales).
Les chercheurs ont d’abord scruté le génome du virus et ont été surpris par « l’expression dans le matériel génétique d’une protéase servant à digérer et maturer les protéines produites », explique Vincent Prévot, directeur de recherche en neuroendocrinologie et neurosciences à l’Inserm (Lille) et co-auteur de l’étude. Leur hypothèse était que cette protéase, nommée Mpro, était aussi utilisée par le virus pour cibler une protéine de l’hôte, appelée Nemo, indispensable à la survie des cellules endothéliales.

De ce constat, les chercheurs ont exprimé Mpro dans un autre vecteur viral utilisé pour la transgenèse de sorte que ce virus n’affecte que les cellules endothéliales. « Chez la souris, Mpro clivait Nemo dans les cellules endothéliales et entraînait leur mort », poursuit le directeur de recherche.

Un phénomène réversible ?

Pour confirmer ce résultat, des autopsies ont été menées sur les cerveaux de patients décédés des suites du Covid-19 et d’autres décédés d’autres causes. Les chercheurs ont constaté « une augmentation du nombre de tubes de membrane basale vasculaire vides, appelés vaisseaux filaires, reflétant une pathologie microvasculaire », confirmant qu'à partir de son propre matériel génétique, le SARS-CoV-2 fait fabriquer, aux cellules endothéliales infectées, des ciseaux moléculaires qui vont couper Nemo, induisant la mort de ces cellules.

L’apparition en grand nombre de « vaisseaux fantômes » (sans cellules endothéliales) a également été observée chez des modèles de souris humanisées et de hamsters, qui comme les humains sont naturellement sensibles à l’infection par le SARS-CoV-2. « Chez les hamsters qui développent des formes très mineures de Covid-19, ce phénomène est apparemment réversible. On peut espérer que chez l’homme ce phénomène le soit aussi », rassure Vincent Prévot.

La dégradation de Nemo et la mort des cellules endothéliales ont deux conséquences majeures sur le fonctionnement du cerveau. Elles entraînent une rupture temporaire de la barrière hémato-encéphalique provoquant des microhémorragies, mais aussi une hypoperfusion de certaines régions cérébrales.

Ces phénomènes pourraient expliquer pourquoi certains patients développent après la guérison des troubles neurologiques. Mais, une question demeure : la fragilité du système nerveux central pendant l’infection pourrait-elle augmenter le risque de développer plus tard des troubles cognitifs, neurodégénératifs, voire des démences ?
« Dans l’exemple de la grippe espagnole, survenue il y a un peu plus d’un siècle, les personnes qui ont survécu ont eu une plus grande probabilité de développer plus tard des maladies neurodégénératives telles que la maladie de Parkinson », alerte Vincent Prévot, invitant les médecins à une « prise de conscience » et à « un suivi et une prise en charge précoce ».

Une cible thérapeutique potentielle déjà identifiée

Fait rassurant : les chercheurs ont également identifié une piste thérapeutique potentielle. Ils ont en effet observé que « la mort généralisée des cellules endothéliales, la raréfaction des capillaires, la perturbation de la barrière hématoencéphalique et la neuroinflammation dues à l'ablation de Nemo ont été évitées en supprimant la protéine kinase  3  (RIPK3) interagissant avec les récepteurs ».

Les chercheurs ont également repéré un inhibiteur pharmacologique de la signalisation RIPK qui a empêché la pathologie microvasculaire induite par Mpro, chez la souris. Cet inhibiteur de RIPK1 est actuellement en phase d’essai clinique chez l’homme pour le traitement d’une maladie rare, l’incontinentia Pigmenti.

(1) J. Wenzel et al,. Nature Neuroscience, 2021. doi.org/10.1038/s41593-021-00926-1
(2) Laboratoire « Lille neuroscience & cognition » (Inserm/université et CHU de Lille/Institut Pasteur de Lille) et CNRS

Elsa Bellanger

Source : Le Quotidien du médecin