Courrier des lecteurs

Le témoignage d'un médecin retraité confiné

Publié le 05/05/2020

Il y en a qui disent que la retraite, c’est le temps où l’ennui remplace les ennuis. C’est vrai que des ennuis, on en a beaucoup moins quand on n’exerce plus sa profession. Mais c’est vrai que quand je me réveille et que je me dis que plus personne ne m’attend, que la salle d’opérations, les infirmières, les anesthésistes, et aussi les malades, tout ça, c’est fini, je le regrette un peu C’est vrai aussi que je ne me demande plus tous les matins qu’est-ce qui va encore me tomber dessus, et ça je ne le regrette pas. Et finalement, je ne m’ennuie pas. Même en ce moment.

Le matin, j’écoute les nouvelles à la radio. Après je vais voir mes mails, quand il y en a. Ce qui m’amuse surtout, c’est Google ; on peut y trouver des tas de choses, ce que je préfère ce sont les critiques de films et de restaurants. D’habitude, c’est Hélène qui fait les commissions et achète les journaux. Parfois c’est moi qu’elle envoie, alors j’en profite pour prendre le Figaro, car elle, elle n’aime que le Monde et Libération. Après on déjeune. Léger.

Pendant qu’elle débarrasse la table je vais chercher le courrier. Dans le Quotidien du médecin, ce que je préfère, c’est le Courrier des lecteurs. Le mercredi on reçoit Télérama, j’y coche les films qui m’intéressent. Après je vais m’allonger pour la sieste. En fait, je ne dors pas vraiment, je lis, et entre deux lectures je m’assoupis. J’aime bien les romans policiers, les bandes dessinées, et aussi San Antonio, mais ça ne plaît pas trop à Hélène. Elle, ce qu’elle aime, c’est l’Histoire, la littérature, la philosophie. Chacun ses goûts !

Je me lève en fin d’après-midi. Et en attendant le dîner je retourne à l‘ordinateur, et puis je fais un peu de piano. Des morceaux à ma « portée », sans jeu de mots… Ça me rappelle mon enfance. Et puis en ce moment les voisins ne rouspètent pas quand je joue, il faut en profiter.

Après on dîne. Depuis qu’elle est à la retraite elle aussi, Hélène s’est mise à la cuisine. Elle se débrouille pas mal. Et pour finir la soirée on regarde la télévision. Parfois Hélène préfère aller se coucher avec un livre. Alors je m’offre un thriller, ou un western, que j’aurais enregistré, car maintenant j’ai appris à me servir de l’enregistreur.

Voilà ma vie actuellement. Elle n’est pas passionnante, mais à mon âge on ne peut pas demander beaucoup plus. En tout cas, si les heures sont longues, les journées passent vite, et il y a des jours où je ne sais même plus quel jour on est.

Le confinement, c'est aussi la tranquillité

Seulement, j’ai peur que les choses changent. Que tout redevienne comme avant. C’est qu’avant je n’avais pas l’existence aussi facile. D’abord Hélène ne supportait pas que je reste à la maison

- Sors, va donc prendre l’air, cela te fera du bien, me répétait-elle. Ce n’est pas parce que tu prends des médicaments pour le cœur que tu ne dois pas faire une petite demi-heure de marche par jour. Pense à tous ceux de ton âge qui font du jogging !

Mais moi je n’aime pas déambuler sans but précis. Je n’ai jamais fait de marche à pied, sauf dans les couloirs du service. De sport non plus, d’ailleurs, sauf pour réduire les fractures.

Ensuite elle adore tout ce qui est culture et compagnie. On en a vu des expositions d’art contemporain, et des mises en scène déjantées, au théâtre, ou à l’opéra ! Elle m’a même emmené une fois au festival d’Avignon ! En voiture ! Une heure pour trouver une place où stationner !

De temps en temps, elle organisait des dîners. Moi, les dîners j’aime assez le côté festin, mais pas trop le côté réception. Si c’étaient avec des vieux copains ça allait. Mais avec des invités du genre intellectuel, je ne savais pas quoi dire, et après quand ils étaient partis elle me disait que j’avais eu l’air bête. Et puis ceux qu’on avait invités, après ils nous invitaient, et il fallait recommencer chez eux.

Pour les vacances j’avais l’angoisse. Elle avait la manie des voyages. Et pas simplement chez nous, au bord de la mer ou à la montagne. Non ! À l’étranger, dans des pays lointains, au bout du monde ! Sa dernière lubie, je vous le donne en mille, c’était l’Iran ! Pour elle, l’Iran c’est la Perse, Darius, Alexandre, Hérodote, les Mille et une Nuits, et maintenant les films sur Arte. Mais moi je n’ai pas envie d’avoir maille à partir avec leurs gardiens de la révolution, parce que nous sommes allés en Israël il y a deux ans et même que si on avait changé nos passeports exprès je suis sûr qu’ils s’en apercevraient. Mais Hélène et moi, vous comprenez, à nos âges on est comme la même personne, on ne peut pas se séparer, on se connaît trop, et on s’aime bien. Si elle décidait d’aller en Iran ou ailleurs, je ne pourrais pas refuser de l’accompagner.

On dit qu’à quelque chose malheur est bon. Eh bien moi je trouve qu’avec cette épidémie ce qu’il y a de bon, c’est que je peux rester tranquille à la maison. Mais ce qui me fait peur, c’est qu’il va y avoir ce qu’ils appellent le « déconfinement ». Ils avaient commencé par dire que les vieux allaient rester confinés, mais il a fallu que d’autres s’en mêlent en disant que c’était liberticide, discriminatoire, seniorophobe, je ne sais quoi, et que les vieux devraient avoir le droit de sortir comme les autres.

Ce qu’il faudrait, c’est simplement qu’on puisse voir les gens qui vous manquent, comme Antoine, mon petit-fils de 5 ans. Et qu’on s’arrête là. Qu’on ne nous oblige pas à aller aux fêtes, aux spectacles, à prendre le train, le métro, à partir en voyage…

Et puis si je choppe le virus, tant pis. De toute façon, à mon âge, il faut bien faire une fin. À la télé on voit des infirmières. Dans l’ensemble, elles ne sont pas mal du tout, même avec leur casaque et leur masque et leur bonnet sur la tête. Alors, mourir pour mourir, autant que ce soit entouré de dames sympathiques. En tout cas pour l’instant rien n’est changé. Profitons – en. Pourvu que ça dure !

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Jean-Pierre Brunet, Chirurgien retraité, Evreux (27)

Source : Le Quotidien du médecin