Un virus neurotrope et très probablement tératogène

Leçons de l'épidémie en Polynésie française

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Publié le 29/03/2016
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En 2013, la Polynésie française est frappée d'une épidémie de dengue. Son suivi par notre réseau sentinelle fait remonter dès septembre des cas d'éruptions cutanées qualifiées initialement « d'épidémie d'allergie ». Leur clinique associe éruption, fièvre modérée, hyperémie conjonctivale, douleurs et œdèmes mains pieds, généralement résolutifs en quelques jours.

Une épidémie de 6 mois

Le groupement des cas qui touchent des hommes et femmes de tout âge évoque une transmission vectorielle. Il fait assez vite évoquer le virus Zika. Dès la fin octobre, l'Institut Louis Mallardé (ILM) confirme l'implication du Zika par biologie moléculaire. Ce virus, passé en 2007 par la Micronésie, est manifestement en train d'étendre sa zone d'action.

La courbe épidémique est typique : rapide, intense, et de courte durée. En quelques semaines elle gagne tout le territoire. Fin avril 2014, 6 mois après, c'est fini.

Entre-temps, le réseau de surveillance coordonnée par le Bureau de veille sanitaire (BVS) a recensé 32 000 cas suspects. Il faut y ajouter les patients n'ayant pas consulté, plus la multitude d'asymptomatiques, estimée autour de 80 %. Les infections biologiquement confirmées sont en grande majorité bénignes. Mais le réseau reste vigilant. Or dès novembre, on note une augmentation singulière des syndromes de Guillain-Barré. En un mois, 4 patients sont hospitalisés au Centre hospitalier de Polynésie Française (CHPF). L'alerte est immédiatement lancée. « Nous publions très vite le premier cas documenté pour alerter les autorités de santé (1) », explique le Dr Henri-Pierre Mallet (Papeete).

Il faudra cependant attendre que l'épidémie atteigne l'Amérique latine pour que la communauté internationale s'en émeuve. Un retard à l'allumage potentiellement regrettable...

Guillain-Barré : un lien démontré par une étude de cas témoin

En Polynésie les Guillain-Barré liés au Zika ont touché surtout des hommes de 40 ans (hommes : 75 %; âge médian : 42 ans). Au total, 42 cas de Gillain-Barré ont été associés à une infection confirmée à Zika, sur une population de 265 000 habitants. Parmi eux, 10 cas étaient très lourds (séjour médian en réanimation : 45 jours). « Cette situation a mis l'hôpital sous haute tension. Malgré une mission de l'Eprus, aucun moyen supplémentaire ne nous avait été alloué. Néanmoins, grâce à la mobilisation de tous, aucun décès n'est à déplorer », explique le Dr Mallet.

« Aujourd'hui, deux ans après, nous publions (ILM, CHPF, BVS) avec l'Institut Pasteur et le CHU La Pitié Salpêtrière une étude cas témoin (2). Elle fait pour la première fois un lien formel entre Zika et Gillain-Barré. En effet 98 % des cas avaient des IgM ou IgG anti-Zika et 100 % des anticorps neutralisants contre 56 % d'anticorps neutralisant dans le groupe contrôle (p < 0,001) », précise le Dr Mallet.
Ces données suggèrent par ailleurs « une incidence des Gillain-Barré de l'ordre de 2,4 pour 10000 cas en période épidémique », selon Arnaud Fontanet (Institut Pasteur, Paris). En conséquence, les autorités veillent aujourd'hui, notamment en Martinique et Guadeloupe (lire ci-contre), à renforcer les moyens de réanimation.

Une tératogénicité de plus en plus probable

« Lors de l'épidémie, la question d'une tératogénicité a été posée. Les mères nous questionnaient, raconte le Dr Mallet. Sur le coup on n'a rien détecté. Mais, un an après, un pédiatre du CHPF s'inquiète de la multiplication d'affections neurologiques rares. En l'occurrence, des troubles du tronc cérébral associés à des dysphagies majeures des nouveaux nés. Partant de là, rétrospectivement, nous avons retrouvé un agrégat d'atteintes néonatales et d'IVG liées à des malformations neurologiques congénitales. Au total, 19 cas suspects sont en cours d'investigation. Ces observations nous ont d'autant plus interpellés qu'au même moment une alerte aux microcéphalies était lancée au Brésil (3). La description détaillée de ces cas sera prochainement publiée ».

Depuis, les arguments prônant une tératogénicité du Zika se multiplient. On sait que le virus peut passer la barrière placentaire et se multiplier dans le SNC fœtal (4). Fin janvier, l'analyse de 35 naissances microcéphales au Brésil, après une définition plus stricte de la microcéphalie, plaidait une implication significative de l'infection Zika en cours de grossesse (5). Début mars, une étude prospective menée à Rio sur une cohorte de femmes enceintes a mis en évidence près de 30 % d’anomalies fœtales lors d'infection Zika en cours de grossesse (6). Sur les 42 mères infectées et acceptant un suivi, on a recensé 12 anomalies dont 2 décès intra-utérins, 5 retards de croissance, 7 calcifications du SNC et 7 oligo-amnios ou baisse du flux sanguin ombilical. Sans surprise, les lésions les plus graves sont celles apparues au premier trimestre de grossesse.

Simultanément, un travail américain in vitro sur des cellules humaines progénitrices des cellules nerveuses a montré que le Zika était infectieux et engendrait des troubles du développement ou la mort des cellules nerveuses (7).

En Amérique Latine : la complexité des grandes échelles

« En Polynésie française, le virus a évolué dans un système quasi clos, vu le territoire, la taille de la population et le nombre réduit d'intervenants – dont un seul centre hospitalier. On a certes eu des difficultés vu les ressources limitées. Mais l'épidémie s'est arrêtée en quelques mois. Le problème est bien plus complexe à l'échelle d'un continent comme l'Amérique du Sud, commente le Dr Mallet. Non seulement en termes de suivi de l'épidémie, qui sera moins brève, mais aussi des conséquences sanitaires. Ainsi si l'on part sur 1 % de grossesses touchées, taux observé en Polynésie, on n'est plus du tout à 19 cas ! »

« En outre, les microcéphalies ne sont que la partie émergée de l'iceberg, précise-t-il.Le virus engendre au-delà des fausses couches de multiples atteintes du SNC. Certaines pourraient même s'exprimer plus tardivement, au cours du développement de l'enfant. On est donc face à un énorme problème sanitaire compliqué encore par le défaut d'accès à la contraception et encore plus à l'IVG dans ces pays (lire ci-contre). A contrario l'inquiétude des populations résidant en Europe est sans doute disproportionnée ».

Entretien avec le Dr Henri-Pierre Mallet (Papetee)
(1) Oehler E et al. Zika virus infection complicated by Guillain-Barré syndrome – case report, French Polynesia, December 2013. Euro Surveill. 2014;19(9):pii=20720.
(2) Van-Mai Cao-Lormeau et al. Guillain-Barré Syndrome outbreak associated with Zika virus infection in French Polynesia : a case-control study. Lancet 2016; DOI : http://dx.doi.org/10.1016/S0140-6736(16)00562-6
(3) Mlakar J et al. Zika Virus Associated with Microcephaly. NEJM 2016;DOI : 10.1056/NEJMoa1600651
(4) P Brasil et al. Zika virus infection in pregnant women in Rio de Janeiro-Preliminary report. NEJM 2016; DOI : 10.1056/NEJMoa1602412
(5) L Schuler-Faccini et al. Possible Association Between Zika Virus Infection and Microcephaly- Brazil, 2015. MMWR Morb Mortal Wkly Rep 2016;65:59–62. DOI : http://dx.doi.org/10.15585/mmwr.mm6503e2
(6) H Tang et al Zika Virus Infects Human Cortical Neural Progenitors and Attenuates Their Growth. Cell Stem Cell 2016;18:1-4.
(7) L Schuler-Faccini et al. Possible Association Between Zika Virus Infection and Microcephaly- Brazil, 2015. MMWR Morb Mortal Wkly Rep 2016;65:59–62. DOI : http://dx.doi.org/10.15585/mmwr.mm6503e2

Pascale Solère

Source : Bilan Spécialiste