Virus et autres
Si la plupart des infections virales peuvent entraîner une encéphalite, celle-ci est une complication rare au regard de l’incidence des infections virales dans la population. En dehors des virus, d’autres agents infectieux tels que les bactéries intracellulaires sont plus rarement en cause.
Les raisons pour lesquelles de rares sujets développent une encéphalite au décours d’une infection virale banale chez la plupart des autres, demeurent inconnues, mais des données fondamentales orientent vers de probables facteurs génétiques, en particulier d’ordre immunologique(1).
Deux grands mécanismes pathogéniques
Dans le premier cas, l’agent infectieux agit directement sur le tissu cérébral. Il s’agit d’encéphalite par agression virale directe. L’accès des virus au SNC se fait par voie hématogène (la plus commune) ou neuroaxonale. La réplication au niveau du site d’entrée (tube digestif, voies respiratoires, peau en cas de transmission par un insecte d’un arbovirus) est suivie d’une phase de virémie, puis d’extension au système réticulo-endothélial et enfin au SNC, éventuellement à d’autres organes. La voie neuroaxonale, elle, concerne essentiellement les virus Herpes simplex (HSV) et les virus rabiques.
Dans le deuxième cas, l’agent infectieux n’infecte pas le tissu cérébral. Ces encéphalites aiguës, appelées post-infectieuses, surviennent généralement au décours d’un épisode infectieux, documenté ou non, ou d’une vaccination. Historiquement, la rougeole et la vaccination variolique ont été les principaux responsables de ces affections. Il s’agissait typiquement d’encéphalites touchant la substance blanche (leuco-encéphalites ou leucoencéphalomyélites), regroupées sous le terme anglo-saxon d’ADEM (« Acute disseminated encephalomyelitis »). On n’observe aucune trace de présence virale dans le tissu cérébral, ni histologiquement, ni par les techniques virologiques les plus sensibles. Depuis la disparition de la variole et l’arrêt de la vaccination antivariolique, et depuis la généralisation de la vaccination rougeoleuse, le nombre de ces encéphalites a beaucoup diminué. Les éléments les plus fréquemment observés dans les jours qui précèdent la survenue des encéphalites post-infectieuses sont des infections des voies respiratoires ou gastro-intestinales. Le mécanisme invoqué dans les encéphalites post-rougeoleuses est le « mimétisme moléculaire » : en raison de communautés antigéniques entre un composant du virus et un composant de la myéline (MBP ou protéine basique de la myéline), l’hôte infecté élabore une réponse immunitaire inappropriée contre son tissu cérébral. L’épidémie actuelle de rougeole sévissant en France peut laisser craindre la réapparition de ces complications gravissimes de l’infection, d’évolution souvent fatale et laissant des séquelles neurologiques majeures chez les survivants.
Le mécanisme de la plupart des autres encéphalites post-infectieuses n’est pas déterminé, mais par extension, on suppose qu’ils sont similaires.
La distinction entre les deux entités infectieuse et post-infectieuse est importante car les approches thérapeutiques et le pronostic sont différents. Dans le premier cas, les antiviraux sont indiqués, dans le deuxième, on aura recours à des traitements anti-inflammatoires.
Infections émergentes
Cependant bien souvent, l’étiologie de l’encéphalite n’est pas identifiée malgré la mise en œuvre de nombreux tests diagnostiques et aucun traitement spécifique ne peut alors être proposé. Le devenir des patients à moyen et court terme et la persistance de séquelles sont mal connus.
À ces données s’ajoute un risque très réel d’infections émergentes, dans un contexte actuel de changement climatique et de changement des comportements humains. Plusieurs exemples récents en témoignent. Ainsi, l’introduction en 1999 du virus West Nile aux USA a été suivie de sa très rapide diffusion sur l’ensemble du continent nord américain. Simultanément, une flambée a été détectée dans plusieurs régions tempérées ou semi-tempérées de l’hémisphère Est, dont la France où des cas groupés ont été mis en évidence dans le Var en 2003. De même, l’épidémie à virus Nipah responsable de 265 encéphalites en 1998 en Malaisie a conduit à mettre à jour ce virus jusque-là inconnu.
Plus récemment, l’émergence du virus Chikungunya sur l’Ile de la Réunion a apporté la démonstration spectaculaire qu’un agent infectieux, jusque-là considéré comme peu pathogène ou responsable de pathologies peu graves, pouvait à l’occasion d’une introduction dans une population naïve, faire la démonstration d’une pathogénicité beaucoup plus importante que ne le laissaient supposer les données disponibles. Les principales formes graves observées dans l’épidémie de l’Île de la Réunion sont des cas d’encéphalite ou de méningo-encéphalite.
Une étude française récente (2), réalisée à l’initiative de la Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française (SPILF), de l’Institut de Veuille Sanitaire (IVS) et du CHU de Grenoble, a exploré l’épidémiologie actuelle des encéphalites en France.
Les étiologies principales identifiées dans cette étude sont présentées dans la figure 1.
Expression clinique
Sur le plan clinique, l’association de fièvre et de troubles neurologiques (conscience altérée, déficits focalisés) doit impérativement conduire à une hospitalisation en urgence, afin de pratiquer à la fois une ponction lombaire et si besoin une imagerie pour confirmer le diagnostic et initier un traitement. Le diagnostic différentiel comporte les AVC emboliques et abcès cérébraux qui constituent également des urgences médicales absolues. En outre, il faut insister sur la difficulté du diagnostic différentiel avec les pathologies strictement psychiatriques lorsque seuls des troubles comportementaux sont associés à la fièvre.
Certaines encéphalites auto-immunes, à anticorps antirécepteurs NMDA ou VGKC, peuvent mimer des encéphalites infectieuses. Des études récentes (3) en font une cause essentielle d’encéphalites non infectieuses (21 % d’entre elles). L’attention est attirée par l’atteinte limbique :
- troubles mnésiques,
- troubles comportementaux et émotionnels (agressivité, peur, apathie, anxiété, etc..),
- troubles végétatifs (thermorégulation, ventilation, hyperhidrose, TA),
- troubles du sommeil,
- crises épileptiques et mouvements anormaux répétitifs (dyskinésies).
Le diagnostic est fait par la titration des anticorps dans le sérum et le LCR.
Dans l’étude française citée en référence, 30 % des patients avaient au moins une comorbidité :
- cancer : 6 %,
- insuffisance cardiaque congestive : 6 %,
- corticostéroïdes : 5 %.
La durée médiane d’hospitalisation était de 21 jours [2]. 47 % des patients ont été hospitalisés en réanimation ou soins intensifs, 29 % des patients ont bénéficié d’une ventilation mécanique, 11 % présentaient un coma.
Un décès en cours d’hospitalisation est survenu dans 10 % des cas. Les facteurs indépendants de risque de décès ont été identifiés :
- des témoins de la gravité clinique tel que le pourcentage de temps d’hospitalisation sous ventilation mécanique, un coma présent 5 jours après admission, un sepsis 5 jours après admission,
–- des comorbidités telles que cancer, traitement par des immunosuppresseurs, certains agents infectieux (virus varicelle zona, M. tuberculosis, L. monocytogenes).
Le pronostic à moyen et long terme des encéphalites, en dehors de l’herpès, n’est pas évalué correctement dans la littérature. On peut soupçonner un retentissement important dans la vie quotidienne des patients, et identifier une insuffisance de la prise en charge à ce niveau. Ainsi, lors de l’examen à la sortie du patient, au moment où ils étaient déclarés guéris, 62 % des patients présentaient des signes neurologiques et 10 % des signes « psychiatriques ».
Une étude complémentaire est en cours afin d’objectiver ce problème et proposer une prise en charge adaptée.
En conclusion, à côté du rôle prédominant du virus herpès, bien connu, il faut noter la fréquence des étiologies bactériennes (Listeria et tuberculose). Cela renforce, dans tous les cas de figure, le caractère fondamental du diagnostic précoce, un traitement d’urgence étant impératif. De plus, il importe de se préoccuper du devenir à long terme des patients afin de proposer une prise en charge neuro-psycho-sociale adaptée.
Références
1) Pérez de Diego R, Sancho-Shimizu V, Lorenzo L, Puel A, Plancoulaine S, Picard
C, Herman M, Cardon A, Durandy A, Bustamante J, Vallabhapurapu S, Bravo J,
Warnatz K, Chaix Y, Cascarrigny F, Lebon P, Rozenberg F, Karin M, Tardieu M,
Al-Muhsen S, Jouanguy E, Zhang SY, Abel L, Casanova JL. Human TRAF3 adaptor
molecule deficiency leads to impaired Toll-like receptor 3 response and
susceptibility to herpes simplex encephalitis. Immunity. 2010 Sep
24;33(3):400-11.
2) Mailles A, Stahl JP, and the steering committee and investigators group. Acute infectious encephalitis in France in 2007: a national prospective study. Clin. Infect. Dis. 2009. 49 : 1838-47.
3) Granerod J. ; Ambrose H. E. , Davies N. WS ; Clewley J. P. ; Walsh A. L. ; Morgan D.; Cunningham R.; Zuckerman M. ; Mutton K. J. ; Solomon T. ; Ward K. N. ; Lunn M. PT ; Irani S. R.; Vincent A. ; Brown D. WG ; Crowcroft N. S.
Causes of encephalitis and differences in their clinical presentations in England: a multicentre, population-based prospective study
Lancet Infect. Dis. 2010 Early Online Publication, doi:10.1016/S1473-3099(10)70222-X.
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