Courrier des lecteurs

L'éthique de la recherche et l'éthique du soin à l'épreuve de la crise

Publié le 10/04/2020

II est classique de séparer l’activité médicale en trois secteurs : le soin, l’enseignement et la recherche. S’il existe des impératifs éthiques généraux qui s’imposent à tous (probité, honnêteté intellectuelle…) chacun de ces secteurs pose des problèmes éthiques différents qu’il importe de bien séparer.

L’éthique de l’enseignement est la plus simple : elle impose de n’enseigner que des faits scientifiquement établis (et pour cela de suivre d’aussi près que possible l’évolution des connaissances dans le domaine dont on est chargé), de ne citer les hypothèses qu’en tant que telles et seulement lorsque c’est nécessaire à la compréhension de la situation, et de former les étudiants à l’analyse critique de la littérature.

L’éthique de la recherche suppose l’absence d’a priori idéologique et de conflit d’intérêts, l’indépendance, le souci que l’intérêt de la question posée justifie l’importance des inconvénients de l’étude (en particulier pour les participants et la collectivité) et, bien sûr que le résultat soit exploitable pour faire avancer la connaissance de façon significative. Et il faut bien garder à l’esprit qu’aucune étude ne donne une certitude absolue (qui n’existe pas en science) mais peut conférer un statut de vérité scientifique actuelle.

L’éthique du soin est à la fois plus simple à exposer et beaucoup plus complexe et anxiogène à respecter : il s’agit d’agir auprès du patient au mieux de ses intérêts compte tenu de l’état actuel des connaissances. Bien entendu, au cas où cela conduit à s’écarter des préconisations et protocoles officiels (s’ils existent), le praticien doit être capable d’expliciter son raisonnement, devant lui-même d’abord, mais aussi devant le patient et éventuellement devant la justice. Un acte thérapeutique ne peut en aucun cas être une fantaisie personnelle, une manifestation de pouvoir ou un moyen de manifester son indépendance, en bref un problème d’ego ou d’intérêt personnel.

Hydroxychloroquine : de part et d'autre, des manquements graves

Ceci posé et pour en venir à la situation actuelle d’affrontement médiatique entre le Pr Raoult et le gouvernement, force est de reconnaître que, de part et d’autre, des manquements graves à ces principes ont été commis des deux côtés. Pour ce qui est du Pr Raoult, son opinion n’a pas la valeur d’une preuve de niveau 1. C’est évident en l’absence d’un nombre suffisant d’études contrôlées. Cependant, son opinion se fonde sur un faisceau de présomptions cohérent, et, compte tenu de son poids personnel en tant qu’expert n° 1 mondial, se rapproche à mon avis d’une preuve de niveau 3 (avis d’experts).

Compte tenu du niveau de sécurité remarquable de la chloroquine et de l’hydrochloroquine (plus d’un milliard de prescriptions sur plus de 50 ans ), leurs risque et toxicité et la façon de sécuriser leur prescription sont parmi les mieux connus de toute la pharmacopée.

Le risque potentiel de développement de l’infection étant éventuellement important voire mortel, la décision du Pr Raoult de traiter des patients à l’hydrochloroquine me paraît éthiquement peu attaquable. Sa décision de pratiquer parallèlement des études observationnelles me paraît également inattaquable et même obligatoire : dans ces circonstances, il est indispensable d’évaluer en permanence ce qu’on fait et de faire éventuellement évoluer en conséquence son comportement.

La faute du Pr Raoult est d’avoir médiatisé les résultats de ses études observationnelles. Et de les avoir parfois présentés comme des éléments de preuve. Je comprends mal qu’un scientifique de ce niveau, certes en lutte de pouvoir avec le politique et maltraité médiatiquement par des médiocres, ait commis cette faute. L’urgence de la situation et la mauvaise gestion de l’État ne le justifiaient pas.

Tout faire pour minimiser ses erreurs

Les fautes éthiques du gouvernement et des structures institutionnelles sont au moins aussi lourdes. Sur le plan de l’éthique de l’enseignement, ils ont donné en permanence l’image de diffuser des messages dictés par le souci de prioriser la politique (brassage de la population par les élections municipales maintenues, puis confinement strict le lendemain soir…) et minimiser les conséquences de leurs erreurs (les masques sont déclarés inutiles… jusqu’à ce qu’on puisse les distribuer).

Pour ce qui est de l’éthique du soin, le comportement des structures a été scandaleux : l’hydroxychloroquine a été interdite de prescription par les médecins généralistes de ville, alors que ce sont eux qui sont en position de l’administrer aux malades fragiles au seul stade où il est très probablement efficace.

Quant à l’éthique de la recherche, c’est comme souvent au niveau de l’élaboration du protocole que se situe la malhonnêteté : on inclut en priorité deux molécules antivirales qui ont été inefficaces in vitro et on ne raccroche un bras hydrochloroquine qu’à un stade où elle est très probablement inefficace. Ce qui permettra de justifier a posteriori les décisions prises.

En conclusion, je ne suis pas certain que l’introduction d’enseignements d’éthique en Faculté (d’ailleurs l’éthique peut-elle vraiment s’enseigner en chaire ?) ait fait réellement progresser les comportements. L’éthique du soin est de plus en plus menacée par la protocolisation excessive, ce qui se manifeste particulièrement aux urgences. Mais ceci est un autre sujet… À suivre…

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Dr Thierry Binoche, Ex PH anesthésiste-réanimateur de l'hôpital Bichat Paris (75)

Source : Le Quotidien du médecin