Courrier des lecteurs

Notre centre Covid à Paris 19e

Publié le 30/04/2020

Disparition. Au commencement, une immense perte. D’un grand, d’un proche, emporté dès les premiers jours. Un homme qui avait consacré toute sa vie à la mission qu’il s’était assignée.

Inspiration. Il faut agir, s’organiser. Les liens se resserrent, les amis s’entraident, les confrères se lancent.

Peur et partage. Telle est la température des médecins du 19e arrondissement, quand l’un d’entre eux prend l’initiative de créer un groupe whats'app consacré à l’échange d’informations sur le Covid19.

Tâtonnement : Des réunions téléphoniques s’imposent : quelle réponse ? Imiter les territoires où des centres covid se créent ? Organiser la réponse différemment ? Se contenter de nos cabinets ?

Langueur : Ces réunions n’aboutissent à rien, ersatz de groupes Balint improvisés sans aucune efficacité.

Offensive : Trois d’entre nous décidons d’avancer vite et bien : le centre covid est la solution évidente à un territoire sans CPTS c’est-à-dire sans organisation dédiée, pour orienter les patients sans médecin traitant ou dont le cabinet de celui-­ci est fermé.

Avancée. La Fondation Rothschild, sollicitée par l’un de nous trois met à disposition de magnifiques locaux de consultation, inusités pendant cette épidémie. Le centre Covid ouvrira en face des Buttes Chaumont désertés.

Tournis : Toute une infrastructure est à créer, et en moins de dix jours.

Diplomatie : Certains sont froissés, d’autres agacés et agaçants, d’avoir été écartés. L’urgence fait loi, la vie des patients prime, à plus tard le cajolage d’ego.

Verglas. Le projet crée des tensions, des amitiés s’effritent, des désaccords font jour. COVIMED est au point mort.

Dérapage. La maladie s’invite chez moi. Hospitalisation. Une artère intestinale inflammée par vascularite, forme probable rare du Covid. Gratitude d’être en vie.

Lyrisme. Covimed doit survivre, nos amitiés aussi. Les valeurs du bien reprennent le dessus.

Réconciliation. Sans mot et sans larme, la fraternité entre mon associé de toujours et moi reprend ses droits, autour de mots d’humour, taquineries et franc parler venu tout droit du souffle de l’orient de nos parents, adouci de la brise européenne rafraîchissante de notre nouvel ami.

Formule 1. En dix jours, nous rédigeons deux fois un projet de trente pages, sollicitons secrétariat, logiciels, ordres des médecins et infirmiers, créons les process médicaux, les tutoriels, organisons l’approvisionnement en matériel, sa sécurisation, essayons de boucler le budget. Mairie, ARS, CPAM, confrères d’autres régions partageant leur expérience, pharmaciens… Nous recevons l’aide de tous. Sauf des collègues vexés d’être écartés ou de ceux qui craignent que leur activité ne souffre de ce centre… Nature humaine

Vertige : Tout se met en place, mais allons-­nous arriver à faire tourner ce centre, en parallèle de nos cabinets, vies de famille et drames que nous vivons ?

Coup de pouce. Une des médecins du groupe Whatsapp nous apprend que son mari, au chômage technique comme les trois quarts de l’hexagone, est coordinateur médico-­social et disposé à nous aider.

Providence. L’homme providentiel qui nous manquait arrive au moment parfait. Il est encore mieux que dans un rêve. Tout peut s’enchaîner.

Inauguration. Mercredi 8 avril, le centre Covid19 Paris 19 ouvre ses portes.

Coopération. Tous les médecins spécialistes de l’arrondissement nous aident aussi à réfléchir aux filières non COVID, en nous communiquant leurs portables, prêts à prendre toutes nos urgences.

Friction. Des petits ajustements, une définition des tâches à parfaire, quelques dérapages. Mais la bonne volonté et la bonhomie prennent toujours le dessus.

Croissance. Recrutement d’un kiné secrétaire administratif, gestion quotidienne du centre. Contrairement à d’autres lieux de ce type sur la capitale, celui-­ci ne cesse de grandir, sans enlever d’activité par ailleurs.

Communication. Visite de la maire de Paris Mme Hidalgo, accompagné de M. Dagnaud, maire du 19e, et de Séverine Guy, la chargée santé de la mairie d’arrondissement sans qui rien n’aurait été possible.

Clin d’œil. Ouverture du Drive à côté du centre, où les patients motorisés peuvent venir sur prescription subir ce test PCR digne d’une torture moyenâgeuse. Dans une ville où 60 % des habitants sont des piétons, cela nous fait rire : c’est malgré tout la seule solution, et les piétons sont acceptés facilement : ici c’est Paris…

Reconnaissance. Elle vient des patients, qui se donnent l’information, par les réseaux sociaux pour une fois vertueux, de proche en proche. Le centre est un succès, et il est utile, ce qui était bien la vocation du projet.

Satisfaction. Du devoir accompli, du miracle permanent, du service rendu à la population. Modestement, comme cet homme trop vite disparu, nous avons répondu à notre mission, celle que le ciel ou la vie -­ selon la mélodie de votre âme -­ nous avait assignés pendant cette période hors du temps.

« Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait ». Mark Twain

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À Jérôme,
À Pascal,
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À Béatrice, Caroline et Valérie, A Marie, Adama, Ilana, Brigitte, Monique, Emma, Aurélie, Joseph,
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À Isabelle et Yann,
À Yannick, Nathalie, Philippe et Julien,
À Mikha, Riyad, Julien, Thibaut et Cathy,
A Fatiha,
À Caroline, Elsa, Anne-­Sophie,
À tous les confrères du 19e qui ont aidé,
À tous les confrères de France et de Navarre qui ont partagé leur expérience,
À ceux qui ont aidé sans le vouloir,
À tous les amis d’Empatix,
À tous mes chers amis syndicaux, du mien et des autres, et ceux de l’Ordre des Médecins de Paris, qui œuvrent pour leurs confrères,
Aux femmes et hommes d’action politique qui à l’échelon local montrent toute la valeur que peut avoir l’État quand il garde sa morale,
À ma chère, unique et irremplaçable Ossnath, mon héroïne, mon épouse bien-­aimée, soutien de toujours, sans qui je ne serai rien,
À mes amours Isaac, Sarah et Rachel,
À Hanna,
À mes parents,
À mon regretté Robert, ma source d’inspiration, le regretté Rav André Teboul, disparu le samedi 21/03/20, directeur de l’école Beth Hanna,
À tous les gens de bonne volonté

Dr Mickaël Riahi, Médecin généraliste, paris (75)

Source : Le Quotidien du médecin