Paxlovid, Xevudy, Evusheld, les traitements anti-Covid restent peu prescrits chez les immunodéprimés en France

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Publié le 25/03/2022
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Crédit photo : AFP

Les personnes immunodéprimées et/ou à haut risque de développer des formes graves de Covid ne bénéficient pas assez des traitements anti-Covid disponibles. Alors que la France fait partie des premiers pays à avoir ouvert l'accès précoce, c'est le constat décevant livré lors d'une conférence de presse organisée par l'ANRS-Maladies infectieuses émergentes (ANRS-MIE).

Sur les 100 000 personnes immunodéprimées éligibles (non répondeurs à la vaccination), seules 17 000 personnes ont reçu en préventif de l'Evusheld, cette bithérapie d'anticorps monoclonaux (tixagévimab/cilgavimab) en une injection pour 6 mois dès l'âge de 12 ans, soit moins d'une personne sur 5. Après contamination en curatif, la prescription est tout aussi insuffisante. « Les nouveaux traitements autorisés en accès précoce sont très peu utilisés », déplore le Pr Yazdan Yazdanpanah, directeur de l'ANRS-MIE et infectiologue à l'hôpital Bichat (Paris).

Le Xevudy (sotrovimab), cet anticorps monoclonal injectable dès l'âge de 12 ans chez les personnes ayant une infection modérée à risque d'évoluer vers une forme sévère, n'a été prescrit que chez 6 000 patients depuis début janvier. Quant à l'antiviral oral Paxlovid (nirmatrelvir/ritonavir) disponible en ville via les médecins généralistes, moins de 3 500 Français y ont eu accès. Le Paxlovid, indiqué chez tous les adultes immunodéprimés et les plus de 65 ans ayant des facteurs de risque de formes graves, est à prendre 2 fois par jour pendant 5 jours, dans les 5 jours suivant l'apparition des symptômes.

Population surreprésentée pour les formes sévères

« Beaucoup de patients immunodéprimés n'ont pas accès à ces traitements, rapporte Yvanie Caillé, fondatrice de Renaloo. Ils se heurtent à des refus pour recevoir de l'Evusheld. À l'heure où l'épidémie redémarre, les patients immunodéprimés restent mal protégés ». Car si Omicron est moins sévère, « la morbidité est sévère dans cette population, qui est devenue surreprésentée à l'hôpital », explique le Dr Guillaume Martin-Blondel, infectiologue au CHU de Toulouse. Signe parlant : alors que le plasma de convalescents n'a montré de bénéfice que pour les patients immunodéprimés sous oxygène, « cette indication de niche est devenue clairement prédominante à l'hôpital ». Chez les patients dialysés, 4 % sont décédés du Covid. « Si on rapportait à la population générale, cela reviendrait à 2,5 millions de morts », ajoute Yvanie Caillé.

La Haute Autorité de santé a réagi mi-mars en élargissant les indications de l'Evusheld en prophylaxie préexposition à toute forme d'immunodépression en l'absence de réponse vaccinale (3 doses). Pour rappel, une non-réponse à la vaccination est définie par un taux d'anticorps anti-Sars-CoV-2 < 264 BAU/ml. « La sérologie après vaccination n'est pas recommandée en population générale, précise la Pr Odile Launay, coordinatrice du centre d'investigation clinique de vaccinologie Cochin-Pasteur. Elle ne l'est que chez les patients immunodéprimés. »

Réticence des médecins

Comment expliquer la sous-utilisation de ces nouveaux outils ? « Pour le Paxlovid, il y a un manque d'informations des médecins généralistes, avance le Dr Martin-Blondel. Il y a un gros travail pour fluidifier les circuits d'accès précoce. La prescription n'est pas simple - il faut générer un QR code avec la carte CPS - et les pharmaciens ne sont pas au courant. Peu savent comment faire pour commander ». Le congrès de médecine générale, qui s'est ouvert à Paris le 24 mars, sera l'occasion pour l'ANRS-MIE de communiquer sur « le rapport bénéfice/risque clairement favorable », souligne le Pr Yazdanpanah.

Pour l'Evusheld, « la limitation vient surtout des cliniciens et peu de la logistique, poursuit l'infectiologue. Les cliniciens se justifient disant qu'il n'y a pas assez de preuves scientifiques ». Et le Pr Yazdanpanah renchérit : « Au cours des webinars, on se heurte à des médecins réticents. Il y a un problème dans la perception du risque. Les recommandations évoluent rapidement en fonction des variants, ils se sentent parfois perdus. La mise à disposition de protocoles devrait faciliter les choses. »

Cohortes Cov-Popart, Cocoprev et Prevocim

Outre la cohorte Cov-Popart qui étudie la réponse vaccinale chez les patients immunodéprimés, d'autres sont montées pour suivre l'effet des traitements dans cette population. La cohorte Cocoprev suit des patients à haut risque infectés par le Sars-CoV-2 ayant été traités par anticorps monoclonaux (Ronapreve lors de l'épidémie Delta puis Xevudy avec Omicron). Pour le Dr Martin-Blondel, l'intérêt de cette cohorte tient au fait que « les études publiées sur la baisse du risque d'hospitalisation ont inclus des personnes âgées en médiane de 50 ans avec des facteurs de risque métaboliques, ce qui ne correspond pas du tout à la typologie ». Les premiers résultats sont encourageants. « Le taux d'hospitalisation pour oxygénothérapie était de 2-3 %, ce qui est superposable aux données de la littérature. Il n'y a pas eu de décès », rapporte l'infectiologue de Toulouse.

Quant à la cohorte Precovim, coordonnée par le Pr Vincent Lévy, hématologue à l'hôpital Avicenne (AP-HP), elle doit donner des résultats « cruciaux » dans les prochaines semaines sur les anticorps anti-Sars-CoV-2 (taux, capacité d'inhibition) chez une centaine de patients immunodéprimés non répondeurs à la vaccination après traitement par Evusheld.

Continuer à vacciner

Le recours aux nouveaux traitements est aussi freiné par les craintes des patients, certains y étant très réfractaires. Et le pari de la vaccination est d'ailleurs loin d'être gagné. Parmi les dialysés, seulement la moitié (56 %) a reçu un rappel. « Encore 10 % des patients immunodéprimés n'ont reçu aucune dose de vaccin, souligne la Pr Launay. La couverture vaccinale est meilleure dans le nord et l'ouest, moins bonne dans le sud et le sud-est en particulier. Aujourd'hui, ce n'est plus un problème de disponibilité. Certaines populations (notamment d'origine subsaharienne, NDLR) sont plus difficiles à atteindre. »

Les associations, qui ont beaucoup œuvré auprès des pouvoirs publics pour le remboursement des masques, l'accès prioritaire à la vaccination ou encore l'accès précoce aux traitements, continuent le partage d'information et l'aller vers, alors que les cas de Covid repartent à la hausse avec le relâchement des mesures de restriction et la circulation du sous-variant BA.2 plus contagieux.


Source : lequotidiendumedecin.fr