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Dossier

Santé et travail

Généraliste/médecin du travail : chacun son job ?

Publié le 11/04/2014
Généraliste/médecin du travail : chacun son job ?


Si le diagnostic de maladie professionnelle relève plutôt du médecin du travail, le généraliste a un rôle majeur dans le repérage des affections en lien avec le travail, dans la prévention de leurs complications et dans l’anticipation de la reprise en cas d’arrêt au long cours. Mais, à tous les stades, la collaboration est essentielle.

Au moins 10% de la patientèle d’un médecin seraient concernés par une pathologie causée ou aggravée par le travail. Avec, selon l’enquête Inpes « Médecins généralistes et santé au travail » parue en 2009, quatre pathologies principalement rencontrées dans les cabinets de médecine générale : les pathologies lombaires suivies des problèmes de souffrance et stress liés au travail, les troubles musculo-squelettiques des membres supérieurs et les lésions consécutives aux accidents du travail.

Dans ce contexte, les généralistes ont clairement un rôle à jouer dans le repérage de ces affections et de leur lien potentiel avec le travail. Ils en sont d’ailleurs bien conscients puisque dans l’enquête Inpes, 78% disent interroger souvent leurs patients sur leurs conditions de travail.

Lier symptomatologie et travail

Pour autant, ce repérage n’est pas toujours effectif, « notamment parce que le médecin ne pose pas toujours les questions adéquates, par exemple sur les conditions de travail passées », pointe le Dr Pierre Verger (épidémiologiste, Observatoire ORS/PACA UMR 912). De fait, confirme le Dr Séverine Dell Isola, médecin du travail à Boulogne, « c’est souvent nous qui lions symptomatologie et travail, notamment vis-à-vis des pathologies rachidiennes ou articulaires. Même lorsque ce point est abordé, établir le lien entre symptômes et travail n’est pas évident pour les médecins traitants qui n’ont pas tous les éléments concrets dont nous disposons grâce à la proximité avec l’entreprise ».

Concernant les risques psycho-sociaux, la situation est différente car les patients s’en ouvrent souvent volontiers à leur généraliste alors qu’ils hésitent à évoquer ce type de problème auprès du médecin du travail. « Les généralistes sont aujourd’hui très sensibilisés à leur repérage et prise en charge, confirme le Dr Dell Isola. J’ai déjà eu l’occasion de recevoir des patients qui n’avaient pas mis de mot sur leur mal-être et c’était le médecin traitant qui avait verbalisé la souffrance psychologique et diagnostiqué un état de surmenage. »

En pratique, le conseil principal est donc de penser à l’aspect travail de manière systématique, d’intégrer qu’une carrière est de plus en plus souvent constituée de plusieurs métiers et de postes de travail différents et d’avoir en tête une batterie de questions simples à poser aux patients pour repérer des conditions de travail à risque… « car l’idée n’est pas tant de poser un diagnostic de maladie d’origine professionnelle – qui n’est pas du ressort du généraliste –, précise le Dr Verger, mais bien de faire du repérage et d’adresser ensuite son patient à une consultation de pathologie professionnelle ou, par l’entremise du patient salarié, de dialoguer avec le médecin du travail pour se faire préciser des points par rapport à la fonction et le poste de travail ».

Anticiper la reprise

Mais le rôle du généraliste ne s’arrête pas là. Toujours selon l’enquête de l’Inpes, la majorité des généralistes estime à juste titre que leur implication est aussi cruciale dans le retour à l’emploi chez les patients en arrêt de travail de longue durée, atteints de maladies ou victimes d’accidents avec des conséquences telles que des difficultés sont prévisibles lors de la reprise du travail. Des outils sont à leur disposition mais insuffisamment utilisés : il s’agit en premier lieu de la visite de pré-reprise. « Le généraliste a là un rôle important pour informer le salarié qu’il peut solliciter une visite facultative de pré-reprise auprès du médecin du travail, insiste Pierre Verger, car la visite obligatoire de reprise du travail le jour même est souvent bien trop tardive pour mettre en œuvre des adaptations de poste de travail. »

Encore plus en amont, le généraliste devrait aussi informer le salarié qu’il existe des « structures de maintien dans l’emploi » qui peuvent intervenir dans l’entreprise pour établir des diagnostics, apporter des solutions et même des financements pour adapter le poste de travail. Des dispositifs extrêmement efficaces mais sous-exploités.

 

Par ailleurs, « bien en amont de l’arrêt de travail et de la survenue de la pathologie professionnelle, je pense que nous sommes tout à fait en mesure de gérer l’aspect “prévention”, indique le Dr Alain Viau, médecin généraliste et médecin de santé publique en région PACA. La prévention de la perte de l’emploi nous concerne directement, comme par exemple dépister des tendinites liées au travail, qui, si on les laisse empirer faute de traitement précoce ou d’AT, vont handicaper le patient et mettre son emploi en jeu. »

Dans tous les cas, le dialogue avec le médecin traitant semble essentiel car, souligne le Dr Dell Isola, « nous connaissons à la fois les difficultés des employés mais aussi les contraintes des employeurs. Or, parfois, les médecins traitants ou spécialistes transmettent des demandes de restriction telles qu'ils risquent de nuire sans le savoir au patient, quand le travail est vidé de son contenu au point que le salarié risque d'être déclaré inapte au poste, puis licencié s’il n’y a pas de reclassement possible ».

 

Les généralistes semblent d’ailleurs plutôt adeptes d’une prise en charge coordonnée puisqu’en cas d’arrêts de travail récurrents, plus de 71% d’entre eux suggèrent à leur patient de prendre contact avec le médecin du travail. De plus, 70% des médecins du travail et 82% des généralistes estiment que ces derniers coopèrent volontiers avec les médecins du travail. « Les relations s’améliorent, constate Pierre Verger, mais il y a encore des freins qui se reflètent dans la faible propension des généralistes à orienter leur patient vers le médecin du travail pour une visite de pré-reprise. » Le Dr Dell Isola confirme que la collaboration est bien meilleure qu’il y a une dizaine d’années, probablement « parce qu’il s’est enfin installé une relation de confiance vis-à-vis du secret professionnel ».

 

La formation en question

En revanche, des progrès restent à faire en matière de formation des généralistes en santé et travail, celle-ci étant aujourd’hui réduite à 9 heures en cursus initial. Et, selon l’enquête Inpes, ce sont seulement 36% des généralistes qui déclarent avoir suivi une formation (initiale ou continue) en santé au travail. Tandis que plus de 61% s’estiment plutôt mal informés sur le sujet.