BON À SAVOIR

Le choix des mots plus important que des boucles d’oreilles

Publié le 15/02/2012
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En soi, l’affaire peut sembler à un médecin employeur bien éloignée de ses préoccupations quotidiennes. Pour autant, cette décision souligne l’importance de la rédaction de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige… et la nécessité pour un employeur de bien faire attention aux termes qu’ils utilisent et d’éviter toute allusion ou référence au sexe.

Dans cette affaire, la question n’aura finalement pas seulement été de savoir si un salarié, chef de rang dans un restaurant gastronomique, pouvait être licencié parce qu’il a refusé d’ôter ses boucles d’oreilles pendant le service. Car le Code du travail prévoit que des restrictions peuvent être apportées à la liberté individuelle du salarié, notamment celle de se vêtir, si elles sont justifiées par la nature des tâches à accomplir et proportionnées au but recherché. D’ailleurs, dans une autre affaire, le refus d’un chef de rang de retirer pendant le service son piercing nasal et ses boucles d’oreilles avait justifié son licenciement pour insubordination, ces accessoires étant de nature à choquer la clientèle d’affaires et familiale de l’établissement (CA Versailles 22 juin 2006 n° 05-3726). Mais l’affaire qui vient d’être jugée, un élément différait : les termes de la lettre de licenciement qui énonçait « votre statut au service de la clientèle ne nous permettaient pas de tolérer le port de boucles d’oreilles sur l’homme que vous êtes ». Dès lors, il faut voir dans cet arrêt non pas un principe général selon lequel le licenciement d’un salarié pour port de boucles d’oreilles serait discriminatoire ; mais bien le fait que le licenciement d’un chef de rang d’un restaurant gastronomique au motif qu’il porte des boucles d’oreilles et que cela n’est pas tolérable pour un homme repose sur un motif discriminatoire fondé sur l’apparence physique rapportée à son sexe. Une nuance de taille au regard de la décision de justice…

Cass. soc. 11 janvier 2012 n° 10-28.213 (n° 177 FS-PB), Sté Bessières frères c/ Wylock

Harcèlement inversé

C’est la première fois qu’un tel jugement est rendu : la définition du harcèlement moral ne suppose pas l’existence d’un pouvoir hiérarchique sur la victime. Autrement dit, même si le harcèlement moral est souvent lié à l’exercice abusif d’une autorité, l’existence d’un pouvoir hiérarchique n’est pas nécessaire à la caractérisation d’un tel harcèlement. D’où la décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui affirme, pour la première fois, que le délit de harcèlement moral peut être commis par un subordonné, en l’occurrence un éducateur pénalement poursuivi pour harcèlement moral à la suite du suicide de son chef de service. Dans les faits, cet éducateur avait, des années durant, refusé de se soumettre aux instructions de son supérieur, les critiquait, lui avait adressé un courriel obscène, venait parfois travailler en short. Des agissements qui ont été jugés irrévérencieux et méprisants, dévalorisant l’action de son supérieur hiérarchique, en diffusant une image d’incompétence et dégradant ses conditions de travail. Un salarié qui dénigre continuellement son supérieur hiérarchique peut donc être reconnu coupable de harcèlement moral.

Cass. crim. 6 décembre 2011 n° 10-82.266 (n° 6950 F-PB)

Un an de période d’essai, c’est trop !

Il faut savoir mesure garder. Si la période d’essai a pour finalité de permettre à l’employeur d’évaluer les compétences du salarié dans son travail, elle ne doit pas être galvaudée pour permettre à l’employeur de rompre, quand bon lui semblera, le contrat de travail qui le lie à son salarié sans motif et sans indemnité. Une philosophie rappelée dans une affaire récemment jugée par la Cour de Cassation, même si elle porte sur des faits antérieurs à la loi du 25 juin 2008 (loi qui limite désormais à 6 mois la période d’essai pour un cadre) : un salarié avait été embauché en qualité de directeur de magasin et soumis à une période d’essai de 6 mois, renouvelée au bout de six mois. Finalement, le contrat avait été rompu une semaine avant la fin de la nouvelle échéance. Si la cour d’Appel n’avait pas retenu la contestation de la rupture par le salarié, la Cour de cassation a donné raison au salarié : selon elle, une période d’essai dont la durée atteint un an renouvellement inclus est déraisonnable au regard de la finalité de cette période et de l’exclusion des règles du licenciement durant tout ce temps. Sa décision se base notamment sur la Convention de l’organisation internationale du travail n° 158 sur le licenciement qui indique qu’une période d’essai doit avoir une durée fixée d’avance et qui est « raisonnable » (art. 2b).

Cass. soc. 11 janvier 2012, n° 10-17945 FSPBR


Source : Le Quotidien du Médecin: 9084