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Dossier

Violence aux médecins

Au cabinet ou en visite... la sécurité à tout prix ?

Par Camille Roux - Publié le 03/03/2017
Au cabinet ou en visite... la sécurité à tout prix ?

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SPL/PHANIE

Châtellerault, Nogent-le-Rotrou, Limoux… Ces derniers mois, les agressions de médecins ont fait tristement l’actualité. Des scénarii très différents les uns des autres, mais qui pointent tous du doigt l’insécurité grandissante sur les lieux de consultation. Des solutions pour sécuriser les lieux de consultation sont étudiées en ce moment par le ministère de l’Intérieur et par les médecins eux-mêmes. Mais peut-on vraiment sécuriser un exercice médical ?

C’est devenu une préoccupation majeure pour les professionnels de santé. Au fil des ans, les agressions de médecins se sont multipliées, posant la question de la sécurité dans les lieux d’exercice. Dernier fait marquant, l’homicide volontaire du Dr Patrick Rousseaux à Nogent-le-Rotrou (Eure-et-Loir), tué de multiples coups de couteau par un patient souffrant visiblement de troubles psychologiques. Un cas extrême qui interroge sur la pertinence d'installer des dispositifs matériels, comme la vidéosurveillance ou les alarmes, pour sécuriser les cabinets. À Nogent, il n’y avait rien de tout cela, mais rien ne dit que de telles mesures auraient dissuadé l’agresseur.
En tout cas, la profession s’impatiente et demande aux pouvoirs publics d’agir vite. Suite à l’agression en octobre dernier d’une consœur à Châtellerault (Vienne) et aux derniers chiffres alarmants de l’Observatoire national de la sécurité des médecins (924 déclarations d’agressions ont été recensées en 2015, un record), le président de l’Ordre, Patrick Bouet, avait demandé à rencontrer le ministre de l’Intérieur à ce sujet. Chose faite un peu plus tard. Bruno Le Roux annonçait mi-décembre les dispositions à mettre en œuvre dans les mois à venir, notamment une campagne de communication à destination des patients pour les sensibiliser au respect du praticien.
Les services dédiés du ministère de l’Intérieur ont également rencontré la semaine dernière les représentants départementaux de l’Ordre pour faire un point sur les différentes mesures et initiatives menées en régions. L’occasion aussi de relancer les préfectures de police sur l'utilisation du protocole signé en 2010 par les ministères de la Justice, de la Santé, de l’Intérieur et les représentants professionnels. « Seulement un département sur deux l’a appliqué », précise, déçu, le président de la CSMF, Jean-Paul Ortiz. Ce document prévoit notamment la désignation d’interlocuteurs locaux dédiés à la sécurité au niveau des préfectures de police et des collectivités locales, qui, réunis en « conseils de sûreté », devaient « envisager les adaptations organisationnelles et matérielles nécessaires à la préservation ou au rétablissement de la sécurité ».

 

Bunkeriser les cabinets ?

Tout n’est cependant pas perdu. Dans certains départements, la bonne entente entre forces de polices, ARS, collectivités territoriales et médecins a permis l’émergence d’idées nouvelles pour sécuriser les cabinets. En région parisienne, « la police ou la gendarmerie visite à la demande les cabinets médicaux et donne des recommandations sur les mesures de protection qui pourraient être adaptées pour renforcer la sécurité », explique le Dr Hervé Boissin, coordonnateur de l’Observatoire de la sécurité des médecins de l’Ordre.
 

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On était très interessés par un système de géolocalisation, le projet se soncrétise avec la création de l'association Sécurimed 87

Dr Éric ROUCHAUD
Président de l'Ordre 87



Suite à la réunion de la semaine dernière au ministère de l’Intérieur, une initiative de l’Ordre de la Haute-Vienne sera étudiée « pour voir si elle est opérationnelle et pourra se développer à plus grande échelle », ajoute le Dr Boissin. Il s’agit d’un bouton pressoir à activer en cas d’agression, directement relié aux services de secours. Le président de l’Ordre 87, Éric Rouchaud explique que « la très bonne entente entre l’ARS, les médecins, les forces de l’Ordre fait qu'on se réunit depuis plusieurs années une fois par an pour parler des questions de sécurité. On était très intéressés par un système de géolocalisation et le projet se concrétise avec la création de l’association Sécurimed 87 qui distribuera ce bip ».
Ce bouton est un système de géolocalisation suédoise dénommé « Flic » (cela ne s’invente pas !). Il coûte environ 100 euros pièce. « La facture aurait pu être beaucoup plus chère si nous n’avions pas négocié avec le CHU que les appels soient réceptionnés par le Centre 15 et non par une plateforme privée », poursuit le généraliste de Couzeix. Seule limite, le dispositif ne fonctionne pas en zone blanche où la 3G et la 4G ne captent pas. Le « bip » sera distribué d’ici à un mois, d’abord aux médecins assurant la permanence des soins à Limoges intra muros, puis dans tout le département de la Haute-Vienne.
Et pourquoi pas au-delà des frontières limousines si le ministère de l’Intérieur souhaite le généraliser ? L’idée d’un bouton d’urgence séduit les syndicats, notamment Jean-Paul Ortiz qui précise : « On sécurise bien les banques et les bijouteries avec ce type de systèmes, pourquoi pas les cabinets ? » Celui qui fut plusieurs années aux commandes de l’URPS Languedoc-Roussillon a d’ailleurs appelé ses confrères de l’Hérault et du Gard à relancer l’application « Cormedal », crée il y a deux ans sur le même principe, mais dont le développement a piétiné un peu suite aux dernières élections et changements de régions.
En plus d'éventuels systèmes d'alarme, faut-il pour autant barricader les lieux d’exercice ? Difficile d’envisager cela pour Philippe Vermesch, président du SML : « à la différence des pharmacies qui, lors des gardes, peuvent avoir un sas de sécurité, le médecin doit avoir un contact physique avec le patient ». Cependant, pour lui, l’installation de caméras de vidéosurveillance est devenue indispensable : « Il faut lever certains obstacles administratifs à l’installation de ce type de matériel », propose-t-il. « C’est le rôle des collectivités d’investir dans des caméras extérieures », ajoute Luc Duquesnel, président de la CSMF-Généralistes.
 

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Le médecin doit apprendre à gérer les patients difficiles

Dr Claude LEICHER
Président de MG France



De nombreuses communes ont en effet installé des caméras dissuasives à l’extérieur des cabinets, notamment dans des quartiers difficiles. Le président de la FMF Jean-Paul Hamon est lui plus sceptique : « On nous dit qu’il faut mettre des caméras, mais elles n’évitent pas le danger. Cela va seulement dissuader le malfrat qui veut vous piquer votre recette de la journée. On ne va pas consulter derrière des vitres blindées et on ne peut pas demander à une secrétaire de gérer une porte blindée avec un visiophone. Je ne pense pas que ce soit en sécurisant au maximum les cabinets qu’on va supprimer les agressions ». Car, tout le monde en est convaincu, l'arsenal sécuritaire doit s'arrêter là où commence la confidentialité. Et Jean-Paul Ortiz de préciser : « Il n’est, bien sûr, pas question de mettre une caméra dans le bureau du médecin. Toutes ces mesures doivent se faire dans le respect du secret médical. La priorité, ce sont les caméras extérieures que, dans certains cas, on peut envisager dans les salles d’attente ».
Pourtant, c'est souvent à l’intérieur de l'établissement et même du bureau du médecin que tout se joue. Alors, au-delà de mesures matérielles, les réflexes de prévention sont aussi à intégrer par les professionnels. « Le médecin doit aussi apprendre à gérer les patients difficiles, ne pas surenchérir en cas d’agression verbale, savoir comment se protéger », constate Claude Leicher, président de MG France, qui voit dans la recrudescence des agressions « un reflet des véritables tensions dans la vie sociale des patients ». « Le problème va au-delà de la médecine, poursuit-il. Les innovations les plus importantes à engager pour la sécurité des médecins, seront organisationnelles. »

Exercice regroupé, la solution ?

Justement, les syndicats s’accordent à dire que l’exercice regroupé peut remédier à l'insécurité. De par son effet dissuasif pour les agresseurs et rassurant pour les praticiens. « C’est une des réponses, confirme le Dr Boissin. Mais, par exemple, à Châtellerault, une femme médecin s’est fait agresser alors qu’elle exerce en maison de santé. La paupérisation de nos cabinets a aussi souvent supprimé les postes de secrétaire qui faisaient déjà tampon entre le médecin et les patients. » Claude Leicher prône aussi ce mode d’exercice : « La vidéosurveillance pour surveiller les locaux quand on est absents, d’accord, mais pas pour des violences faites à la personne. La seule solution efficace dans ce cas et qui crée de la sécurité psychologique, c’est l’exercice à plusieurs ».
Luc Duquesnel, généraliste à Mayenne, planche justement sur les moyens qu’il va mettre en place pour sécuriser la future MSP de son territoire qui ouvrira en 2018. Pour lui, les récentes agressions l'ont amené à réfléchir sur ces éventuelles mesures, compte tenu aussi de la féminisation du métier : « Si on ne fait rien, même dans les lieux d’exercice regroupé, ça va être la course à l’échalote le soir pour ne pas partir le dernier ou la dernière. Celui qui est en première ligne, c’est le médecin généraliste ». Le président de la CSMF-Généralistes pense aussi qu’une solution simple permettrait aux médecins de se défendre en cas d’agression : « la possession d’une bombe lacrymogène, que ce soit au cabinet ou en visite ».

Avec le négociateur du GIPN...
 

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C'est une initiation un peu particulière qu'ont suivie une trentaine de médecins des Yvelines à l'automne dernier. À l'initiative de la présidente de la FMF 78, Patricia Lefébure (photo), une formation en présence du négociateur du GIPN a été organisée en deux sessions. « C'était suite à une demande de deux consœurs qui ont subi des agressions dans leur cabinet, explique-t-elle. 35 médecins ont été formés sur l'attitude à tenir en cas d'agression. ». La généraliste de Limay, commune limitrophe de Mantes-la-Jolie, précise que cette initiative devrait être déclinée à La Réunion et en Martinique. « Bien sûr, cette formation ne concerne pas les situations dans lesquelles les médecins seraient agressés par des personnes sous l'emprise d'alcool ou de drogue ou encore avec des antécédents psychiatriques, mais cela permet de déminer beaucoup de situations », précise-t-elle.
Les mots et la manière La responsable syndicale en retient quelques lignes forces à respecter : savoir trouver les mots pour apaiser un patient qui s'énerve parce que le médecin est en retard, voire s'excuser si c'est le cas. De même pour un refus d'ordonnance, « il y a aussi des manières de le dire, on peut proposer une autre solution et montrer qu'on fait un effort, même minime vers le patient ». Cette formation, qui était un DPC, reste cependant coûteuse et nécessite la disponibilité du négociateur, très sollicité dans les entreprises pour son expertise.

 

Dossier réalisé par Camille Roux