L’association de patients Renaloo a rendu public le 12 septembre 10 propositions pour remettre la greffe de rein au centre de la prise en charge de la maladie rénale chronique (MRC), avec au premier plan une nouvelle impulsion pour le plan greffe 2022-2026 et un accès facilité à la liste d'attente.
La France accuse en effet un retard sur d'autres pays européens, avec seulement 44 % des patients atteints de maladies rénales chronique greffés, contre 56 % en Espagne ou 60 % en Europe du Nord. Le plan greffe 2016-2021 n'a pas atteint ses objectifs : les 3 251 greffes, dont 502 de donneurs vivants en 2021, sont bien loin de l’objectif fixé de 4 950 greffes, dont 1 000 de donneurs vivants. Si le nouveau plan 2022-2026 se veut ambitieux avec un financement complémentaire de 210 millions d’euros et des couloirs de croissance prédéfinis, seulement 3 525 greffes ont été faites en 2023, dont 557 de donneurs vivants.
Si une partie du retard français provient du manque d’attractivité de l’hôpital et de celui de personnel et de donneurs, une autre raison réside dans la dégradation des pratiques des centres de dialyse, essentiellement privés. Les autorités constatent des mises sous dialyse trop précoces et des inscriptions sur listes d'attente trop tardives : selon la Haute Autorité de santé (HAS), moins de 50 % des patients de moins de 60 ans sont inscrits sur la liste d'attente un an après le début de leur dialyse. Un état de fait qu’entend changer Renaloo, qui en a fait l’une de ses mesures phares, l’association ayant par ailleurs lancé des actions en justice contre deux centres de dialyse en Guyane et à Nancy. Une mission de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) est en cours pour auditer la pratique de la dialyse en France avec un rapport attendu pour la fin du premier semestre 2025. « Les structures de dialyse ne jouent pas leur rôle d’information sur la greffe », alerte Yvanie Caillé, fondatrice de Renaloo.
Frapper au porte-monnaie
Pour lutter contre ces mauvaises pratiques, Renaloo propose une refonte du mode de financement des centres de dialyse avec un important volet autour de la qualité des soins. Une partie des financements dépendrait ainsi de critères de qualité et de pertinence : respect d'indicateurs de résultat, accès à la liste d'attente de greffe, personnalisation du traitement (pour des raisons de budget, un seul modèle d'appareil est souvent proposé à tous les patients), accès à la dialyse autonome, réduction du recours à l'hémodialyse, ratio minimal de personnel soignants, etc.
« Il faut sanctionner les centres qui mettent trop souvent les patients sous dialyse en urgence ou dans de mauvaises conditions, affirme Yvanie Caillé. Il y a de moins en moins de soins de support, de soutien psychologique ou diététique. Des modalités de dialyse ne sont presque plus disponibles dans certaines régions faute de rentabilité comme les dialyses longues nocturnes qui concernent désormais moins de 200 patients en France alors que c'était le double en 2016, poursuit-elle. Cette option rend pourtant service aux patients qui peuvent continuer à travailler. »
Toujours en vue de réduire le nombre de patients dialysés, cette fois-ci en évitant ou retardant leur entrée dans la dialyse, Renaloo propose de refondre et simplifier les forfaits de prise en charge de la maladie rénale et les élargir au stade 3 et à la prise en charge en ville. Le principal objectif est de permettre à l'ensemble des patients de bénéficier d'un parcours de soins intégrant l'accès aux innovations thérapeutiques et à des mesures de néphroprotection.
Une population précaire
Parvenir à sortir les patients de la dialyse pour les amener vers la greffe est un objectif pressant : la survie en dialyse à cinq ans est inférieure à celle de la plupart des cancers, selon une étude publiée en 2019. Mais pour convaincre la sphère politique, l'association compte surtout sur l'argument financier. Un patient dialysé coûte 63 000 euros à l’Assurance-maladie chaque année, tandis qu'un patient greffé va coûter 71 000 euros l'année de son intervention, puis 13 500 euros par an seulement. En outre, les patients greffés de moins de 65 ans sont plus susceptibles de travailler que les patients dialysés : « On estime que seulement 18 % des patients dialysés réussissent à garder leur emploi, sachant qu’il s'agit d’une population déjà défavorisée à la base », estime Bruno Lamothe, responsable du plaidoyer.
Et tout cela dans un contexte d'augmentation de la prévalence de la MRC : en 2020, un rapport de l’École des hautes études en santé publique a estimé à 5,9 millions le nombre de personnes atteintes, un chiffre en augmentation constante.
Toutes ces propositions sont en ligne avec les propositions de l’Assurance-maladie dans son rapport charges et produits 2025, dans laquelle elle propose de diminuer de 1 000 par an le nombre de personnes dialysées : 500 greffés rénaux supplémentaires et 500 entrées en dialyse en moins grâce à un meilleur dépistage et une amélioration du parcours de soins. Des tels objectifs permettraient d’économiser environ 130 millions d'euros sur cinq ans. « Si la France adoptait les pratiques de la Catalogne, elle économiserait près de 200 millions d'euros sur cinq ans, calcule pour sa part Yvanie Caillé. On nous a souvent rétorqué que les Espagnols n'hésitaient pas à utiliser des greffons de mauvaise qualité pour arriver à ce résultat. Toutes les études montrent que ce n'est pas le cas », affirme-t-elle.
Ces chiffres pourraient encore gonfler grâce à certaines innovations thérapeutiques : en 2021 la Commission d'évaluation économique et de santé publique (CEESP) de la HAS considérait que la mise à disposition des gliflozines dans une nouvelle indication générerait une économie de 68 millions d'euros, en prévenant l'apparition ou l'aggravation de l’insuffisance rénale.
Le contexte politique inquiète les membres de l'association. « Nous avons connu cinq ou six ministres de la Santé différents depuis la première élection d'Emmanuel Macron, regrette Bruno Lamothe. Nous pensons que les choses ne vont pas forcément se stabiliser, y compris à l'Assemblée nationale. C'est pourquoi nous préférons nous appuyer sur les services centraux, nous avons par exemple de très bonnes relations avec le directeur général de la Santé pour avoir une relation de dépendance minimale vis-à-vis des ministres. » Plusieurs comités consultés ont conclu que peu de ces 10 mesures nécessitaient un arbitrage de l'Assemblée.
Miser sur la prévention et le dépistage
Renaloo veut aussi miser sur la prévention, avec la mise en place de campagnes d'information, de sensibilisation et de dépistage de la maladie rénale chronique (MRC) en lien avec l'Assurance-maladie et Santé publique France et l’inscription de la thématique dans « Mon bilan prévention ».
L’association propose aussi d'élargir et de consolider l'accès au diagnostic par biopsie rénale et recours à certains biomarqueurs, ainsi qu’optimiser le dépistage de la MRC. Fondé sur la mesure de la fonction rénale et du rapport urinaire albumine/créatinine, un dépistage organisé pourrait être associé à celui de l’hypertension artérielle.
Enfin, la refonte du registre Rein, en ligne depuis 2001, et le versement au Système national des données de santé (SNDS) des valeurs de fonction rénale de l'ensemble de la population est préconisé, afin de faire progresser les connaissances.
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