Plan greffe : priorité aux actions locales, le bilan à mi-parcours du collectif de la transplantation rénale

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Publié le 06/03/2024
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Crédit photo : BURGER / PHANIE

Après l’espoir soulevé par le lancement du plan greffe 2022-26, place désormais aux actions locales pour transformer l’essai, a exhorté le collectif de la transplantation rénale lors d’un colloque organisé au ministère de la Santé, ce 5 mars, avec le soutien institutionnel du laboratoire Chiesi.

Formé des représentants de la Société francophone de néphrologie, dialyse et transplantation (SFNDT), de la Société francophone de transplantation (SFT), de l’Association française d’urologie (AFU) et de l’association de patients France Rein, le collectif a souhaité faire un bilan du plan à mi-parcours. « Il est temps en 2024 de basculer sur de l’opérationnel et de prioriser des solutions précises faute de quoi en 2026, on sera toujours au milieu du gué », résume le Pr Lionel Badet, président de la SFT.

Les constats sont connus et ont été déjà pointés par la directrice de l’Agence de la biomédecine (ABM), la Dr Marine Jeantet. Malgré une nette reprise, l’activité du prélèvement et de la greffe peine à retrouver des niveaux d’avant la pandémie de Covid-19. Les objectifs 2022-2026 sont réalistes (contrairement à ceux du précédent plan), mais sans un sérieux coup d’accélérateur, le risque est réel de sortir des couloirs de croissance fixés pour 2024 (entre 5 800 et 6 700 greffes, versus 5 634 en 2023). Par ailleurs, l’augmentation du taux d’opposition, jusqu’à 36 % en moyenne, voire 50 % dans certaines régions, est inédite et inquiétante. La directrice de l’ABM a rappelé son plan de bataille : développer les audits dans les hôpitaux (de 16 en 2022 à 35 en 2023) et la communication auprès du corps médical et du grand public ; et multiplier les formations (gratuites) auprès des soignants pour relancer la culture du don. La diversification des sources de greffons, notamment l’essor du don du vivant ou du protocole Maastricht 3 est une autre piste explorée.

Blocs engorgés et pénurie de bras

En région, les doléances se cristallisent sur l’accès aux blocs opératoires. À Nantes, « le prélèvement de rein de donneur vivant représente 17 ou 18 % de l’activité. Mais on ne parviendra pas à l’objectif de 20 % de greffe issue de donneurs vivants en 2026 faute de moyens humains. Il nous faudrait deux journées de blocs, ce qui n’est pas possible, à cause de la pénurie de personnel », témoigne le Pr Gilles Blancho, chef de service de néphrologie au CHU de Nantes et ancien président de la SFT. Depuis le lancement du plan en 2022, « on ne constate pas de progrès. Les équipes tiennent, notre activité a un peu augmenté en 2023 pour revenir au niveau de 2019, mais faute de moyens on ne peut pas faire plus », déplore-t-il.

Plus largement, c’est le constat d’un « hôpital malade » qui mine l’activité de greffe. « Il faut revoir l’accès au bloc pour que la greffe ne soit pas mise de côté ; sans oublier pour autant la cancérologie ou les pathologies fonctionnelles », souligne le Pr Pascal Eschwège, chirurgien urologue au CHU de Nancy. À Strasbourg, l’activité de greffe a augmenté ; mais en face, la chirurgie opératoire a diminué de moitié au moins par rapport à l’avant-Covid, constate Céline Dugast, directrice par intérim du CHU de Strasbourg. À Paris, « la greffe est déjà une priorité. Je ne fais plus de calcul, d’incontinence, d’adénome… », rapporte le Pr Marc-Olivier Timsit, chirurgien urologue à l’hôpital européen Georges-Pompidou et à Necker le c(AP-HP), tout en appelant à « continuer à prendre les patients dans leur transversalité ».

« Il faut discuter de la place de la transplantation au sein de chaque CHU ; on ne peut pas l’imposer, il y a aussi des priorités en cancérologie, les solutions doivent tenir compte des écologies locales », exhorte le Pr Lionel Badet. « L’hôpital public ne peut pas courir trop de lièvres à la fois : il faut faire des choix », insiste le président de la SFT.

Redonner de l’attractivité

Les professionnels ont aussi insisté sur la nécessité de redonner du lustre aux métiers de la transplantation. « Celle-ci concentre toutes les pénibilités : c’est du travail la nuit, en week-end, il faut parfois prendre l’avion. Cette vie de sacerdoce n’est plus acceptable, il faut payer les gens à la hauteur », considère le Pr Badet, pointant des inégalités entre territoires, la nuit étant payée 70 euros ici, versus 700 euros là.

Le Pr Pascal Eschwège se désespère quant à lui de « former depuis 14 ans à Nancy des médecins pour qu’ils partent dans le privé, sans faire de transplantation ». « Très peu de futurs praticiens participent à l’activité de la greffe voire s’intéressent à l’enseignement ; 80 % des urologues vont en secteur 2 », regrette-t-il.

Et de questionner les liens entre le public et le privé dans la greffe. Celle-ci est en effet dévolue aux CHU publics qui possèdent la polyvalence et les plateaux techniques nécessaires – ainsi qu’à quelques établissements privés à but non lucratif. « Les cultures du privé et du public ne sont pas les mêmes. Mais on peut réfléchir autrement l’organisation de l’amont et de l’aval de la chirurgie de la greffe avec tous les acteurs », encourage le Pr Badet. Dans la salle, les médecins multiplient les exemples. « À Bordeaux, certains services privés de réanimation n’ont pas d’équipe de coordination, mais nous nous déplaçons, identifions un donneur potentiel, évaluons les contre-indications, le cas échéant, abordons la famille et transférons pour un prélèvement vers le CHU », illustre le Pr Julien Rogier, du CHU de Bordeaux, secrétaire adjoint de la SFT.

Enfin, le collectif de la transplantation rénale réclame une meilleure transparence sur les financements dédiés à la greffe. Le plan 2022-2026 est financé à hauteur de 210 millions d’euros sur cinq ans. « Les moyens seront-ils fléchés ou fondus dans le budget global des hôpitaux ? Telle est notre inquiétude », indique le Pr Blancho. Et de réclamer, comme ses confrères, l’ouverture d’un dialogue de gestion avec les directions hospitalières et les agences régionales de santé (ARS). Près de 40 % des professionnels de santé portent un regard pessimiste sur la stratégie quinquennale par crainte que les enveloppes ne soient pas ciblées sur la greffe. Et 51 % citent comme priorité la matérialisation des financements supplémentaires pour la transplantation rénale.

Un plan qui doit encore convaincre

Selon un questionnaire porté par le collectif de la transplantation rénale, réalisé entre décembre 2023 et février 2024, auprès de 159 des patients et proches aidants et 215 des professionnels de santé, le plan 2022-2026 reste méconnu hors du cercle des professionnels de santé directement concernés. Encore 23 % des soignants disent n’en avoir pas connaissance ; c’est le cas de 52 % des patients ou proches. Deux tiers des soignants n’identifient aucun changement dans leur établissement deux ans après sa publication, seulement un tiers a eu connaissance de l’organisation de réunions par l’ARS avec les acteurs du prélèvement et de la greffe, et moins de 20 % ont eu une information de la direction générale de leur établissement. Quant aux patients, ils sont près de 60 % à se dire pessimistes sur l’évolution de la situation de la transplantation rénale.


Source : lequotidiendumedecin.fr