Courrier des lecteurs

L'antisémitisme en question

Publié le 07/03/2019

Un ami médecin non-juif, qui n'a pas pour habitude de mâcher ses mots, me confie crûment, il y a quelques jours, la peur qu'il éprouve pour sa petite-fille qui vient de naître. Il me dit notamment redouter que celle-ci, dont la mère, sa belle-fille, est juive, pourrait un jour être menacée parce qu'elle a du « sang juif ».

Interpelé par la formulation, je n'ai pas su quoi lui répondre sur le moment. Mais, aujourd'hui, je lui aurais dit, avec conviction : la peur n'évite pas le danger. En outre, cette préoccupation, nourrie par la triste actualité, m'a amené à une réflexion. En l'occurrence, l'antisémitisme, son réveil et son essor récent en France et en Europe concerne nous tous, juifs et non-juifs, citoyens de la République aux assises ébranlées, fragilisées, en péril. Et de préciser que l'antisionisme est dérivé de l'antisémitisme de telle sorte qu'il vise à attaquer l'Etat d'Israël, considéré comme étant le seul pays légitime des juifs.

Une société qui va mal

Car, de tous temps et partout dans le monde, l'antisémitisme est et demeure indicateur d'une société qui va mal. Celle-ci opère une régression pour se défendre face à la violence de la crise économique qui sévit et qui est perçue comme insurmontable. Le sentiment d'un avenir de plus en plus incertain génère de la peur et contribue à mettre en place des mécanismes archaïques dont : la xénophobie, le clivage et le rejet.

Ainsi, les points de vue nuancés, les valeurs de la République et les principes démocratiques voudraient s'effacer au profit d'un manichéisme radical entre, d'un côté l'Amour, le Bien ; de l'autre, la Haine, le Mal. Il en résulte ce à quoi nous assistons, c'est-à-dire, d'une part, la montée d'un populisme politique un peu partout en Europe et ailleurs qui prône un Idéal de société salutaire et salvateur, expurgée de ses « scories ». D'autre part, s'ajoute, en France, un mouvement nihiliste hétéroclite et anidéïque, celui des gilets jaunes qui ne fait que contester la légitimité de l'exécutif démocratique et qui vise la destruction des institutions.

De surcroît, ce mouvement, qui fait le lit de l'antisémitisme, tend à vouloir faire reculer la République en dévoyant ses valeurs : la Liberté, dont celles d'expression et de manifester, poussée sans limites ; l'Egalité, qui ne serait plus en droits et en devoirs, mais en biens matériels pour tous ; la Fraternité au service d'un idéal de société horizontale sans chef ni hiérarchie.

La peur de l'étranger comme phénomène primitif se cristallise sur celle du juif, bouc émissaire, et prétendument détenteur du bien suprême : l'argent. Animé par la haine et la violence de certains, il est perçu comme le Mal absolu alors que le Mal absolu c'est justement : l'antisémitisme. Il traduit le malaise dans notre civilisation, pour reprendre la formule de Freud énoncée dans son œuvre.

Aussi, il nous importe de nous interroger sur nos peurs, de les assumer, de les comprendre et de tenter d'y répondre. Il y va de notre salut à tous de rassembler nos forces avec volonté et courage afin de faire reculer l'antisémistisme, ce fléau, et indicateur de notre société en souffrance, de faire triompher nos valeurs ô combien estimables et justes, durement acquises et préservées depuis plus de deux siècles, lorsqu'il est encore temps.

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Dr Gilles Seban, psychiatre, Paris (75)

Source : Le Quotidien du médecin: 9730