Un rôle sur les représentations mnésiques

Le double jeu de l’ocytocine sur la mémoire

Publié le 02/12/2010
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L’OCYTOCINE, qui a une action bien connue sur les contractions utérines et la lactation, est également libérée dans le cerveau lui-même. Elle joue alors un rôle essentiel, d’après des études chez l’animal, dans la constitution et le maintien des liens d’attachement à la mère. Des chercheurs américains et québécois ont cherché à préciser comment l’ocytocine influence les représentations - au travers des souvenirs d’enfance - de ces liens d’attachement.

Ils ont, pour ce faire, réalisé une étude chez 31 hommes sains (âgés de 19 à 45 ans) à qui ils ont administré de l’ocytocine (ou un placebo) par voie intranasale à la dose de 24 UI à deux reprises (avec un intervalle de 3-5 semaines). Les souvenirs d’enfance des liens et de la proximité avec la mère étaient ensuite explorés.

L’administration d’ocytocine ne modifie pas le jugement porté par les sujets sur les soins maternels ou la proximité de la mère durant l’enfance.

En revanche, l’équipe de Jennifer A. Bartz (Mount Sinai School of Medicine, New York) a découvert des indications selon lesquelles l’effet de l’ocytocine sur les représentations du lien social est modulé par l’existence ou non d’une anxiété d’attachement. Celle-ci est définie comme une anxiété chronique qui prend racine dans des expériences précoces d’incohérences de comportement du parent en réponse aux besoins de protection du nourrisson. L’existence d’une anxiété d’attachement prédit, de manière significative, une modification de la représentation de l’attention maternelle et de la proximité de la mère après l’administration de l’ocytocine (et non après placebo).

Souvenirs « négatifs » de leur mère.

Ainsi, après avoir reçu l’hormone, les individus les moins affectés par une anxiété d’attachement se souviennent plus volontiers de leur mère comme d’une personne attentive et proche, que ceux qui avaient reçu le placebo. À l’inverse, les hommes présentant des signes plus marqués d’anxiété d’attachement ont aussi davantage de souvenirs « négatifs » de leur mère (moins aimante, moins proche) après l’administration d’ocytocine qu’après celle de placebo.

Les auteurs estiment que ces observations ne peuvent s’expliquer par des effets non spécifiques de l’ocytocine sur l’humeur ou sur l’opinion qu’on a de soi-même. Leurs résultats incitent à penser que l’hormone hypothalamique a un effet polarisant sur les souvenirs de la mère et que son influence sur les représentations de l’attachement pourrait être plus nuancée qu’on ne le pensait. Ils admettent cependant que ces résultats doivent être vérifiés chez des sujets des deux sexes (les participants étaient des hommes). Leur étude pourrait remettre en question l’appellation « d’hormone de l’amour » donnée à l’ocytocine, ou du moins y adjoindre quelques bémols…

Proceedings of the National Academy of Sciences (2010). Publié en ligne.

 Dr BERNARD GOLFIER

Source : Le Quotidien du Médecin: 8868