Le généraliste et l’entourage du patient

Les pièges quotidiens à éviter dans l’Alzheimer

Publié le 14/03/2012
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Les aidants

Les aidants du patient resté à domicile.

Avec l’évolution de sa maladie, le patient ne conserve que la mémoire des faits anciens. D’où la nécessité d’une connaissance la plus large possible du passé de la personne malade pour les professionnels qui l’entourent.

La vigilance du généraliste doit concerner aussi la santé physique et morale de la personne (mari/femme) qui constitue l’aidant principal du malade lorsque le patient vit en couple. En sachant aussi que la démence de l’un n’empêche pas celle de l’autre. Des relations conflictuelles avec l’entourage professionnel du patient, des décisions illogiques, inacceptables et des comportements maltraitants envers le patient, ne sont souvent que les manifestations d’une dépression et/ou d’une démence de la part de l’aidant, lesquelles passent inaperçues du fait de l’attention focalisée sur le patient. L’attention portée par le médecin aux deux conjoints est d’autant plus importante qu’elle permet d’évaluer la capacité de l’aidant à assumer l’accompagnement du malade, de guetter l’épuisement de l’aidant. Cette évaluation doit être réitérée régulièrement. Cet épuisement peut se manifester par des crises de colère, des exigences démesurées envers soi-même, le malade et les autres, des plaintes exagérées, de l’agressivité envers lui et envers les professionnels, la négligence de ses propres soins et traitements.

Repérer la maltraitance

Parfois, à l’inverse, selon l’histoire antérieure du couple, l’aidant se montre rude, agressif, voire maltraitant vis-à-vis du malade et de toutes les personnes qui tentent d’aider ce dernier, refusant ainsi tout ce qui pourrait améliorer l’état du malade. La capacité du généraliste à détecter les diverses formes de maltraitance est facilitée par sa connaissance antérieure du couple et de sa famille (un ou des enfants peuvent aussi être maltraitants) par son écoute des avis et commentaires des autres membres de la famille et différents intervenants. Les diverses manifestations de colère et de mécontentement du patient vis-à-vis du proche (expressions faciales en présence d’un proche comme fermer les yeux lorsqu’il lui parle, tourner la tête lorsqu’il est en face de lui, refus de s’alimenter ou, d’être avec lui etc.) sont des signes évocateurs de maltraitance. S’il le juge nécessaire, le généraliste peut faire appel au juge des tutelles. Heureusement, ces cas restent rares et la majorité des aidants sont des personnes dévouées qui se consacrent pleinement à leur proche malgré les difficultés sociales et financières engendrées par la maladie. Il convient de faire attention à son comportement et à sa communication avec le conjoint du malade en présence du patient. En effet, les malades d’Alzheimer deviennent susceptibles et pathologiquement jaloux, le patient peut donc se montrer très agressif, voire violent, en interprétant mal la présence et la familiarité du médecin avec son mari/sa femme/son enfant.

Communiquer

Communiquer avec les auxiliaires de vie.

La plupart des auxiliaires de vie ne disposent d’aucune formation adaptée et la communication des informations médicales, indispensables au médecin qui passe voir le patient, est parfois difficile, a fortiori s’il existe en plus une barrière linguistique. Des erreurs diagnostiques peuvent ainsi être commises (confondre diarrhée avec selles plus fréquentes, agitation avec envie de déambuler etc.) Par ailleurs, l’absence fréquente de transmissions entre les différentes auxiliaires peut aussi être source de malentendus graves avec des informations erronées données au médecin et des consignes médicales mal transmises d’une auxiliaire à l’autre. D’où l’intérêt de l’utilisation d’un cahier de transmission chez chaque patient.

Le patient en institution

La tâche du généraliste n’est pas plus simple en institution. Le manque de formation spécifique et pratique, la charge lourde de travail et les insatisfactions professionnelles du personnel sont sources de nombreuses difficultés. Pour le médecin comme pour la famille, fragilisée par le sentiment culpabilisant d’avoir abandonné leur proche en le « plaçant » et qui peut réagir à ce malaise par l’agressivité vis-à-vis des différents soignants. Le rôle du généraliste est de savoir trouver un équilibre entre les demandes parfois excessives de la famille et le risque de démotivation et d’épuisement du personnel tout en veillant, là aussi, à détecter une maltraitance. Dans cet objectif, il doit veiller à échanger avec l’ensemble du personnel, aides soignantes et infirmières. Le temps passé à ces échanges avec le personnel permet d’améliorer la qualité de la prise en charge et évite d’en perdre ultérieurement en déléguant de manière efficace à un personnel plus motivé.

Quelques règles de communication.

Inutile de parler systématiquement fort aux patients qui peuvent se sentir menacés et se replier sur eux-mêmes. Garder présent à l’esprit que ces sujets sont tout souvent lents, du fait de leur âge. Leur laisser le temps de répondre tranquillement aux questions. Adapter le questionnement à leur capacité à répondre, pour la douleur entre autres. Et les modalités de l’examen clinique ; en l’absence de pensée abstraite, il est inutile d’ausculter le patient en étant derrière lui et en lui demandant de tousser, de respirer fort par exemple. La solution consiste à demander à une tierce personne, de se mettre dans le champ visuel du patient pour montrer le geste demandé. Inutile aussi de demander deux choses à la fois comme « ouvrez la bouche et respirez fort » mais veiller à décomposer la consigne « ouvrez votre bouche », puis, « respirez fort ». À un certain stade évolutif, le patient dit parfois l’opposé de ce qu’il veut dire. Il faut alors savoir regarder le malade afin d’analyser son expression faciale.

Tenir compte de la pudeur des patients en privilégiant éventuellement l’examen en présence d’une personne familière du malade. Savoir aussi tenir compte de la désinhibition sexuelle possible d’un ou d’une malade qui interprète mal la présence d’une personne inconnue à son chevet.

Éviter de communiquer au sujet du patient devant lui comme s’il était un objet, ou comme s’il était absent : ce comportement désobligeant peut générer des réactions d’agressivité vis-à-vis de l’entourage médical ou de repli profond.

Conclusion

Le généraliste va accompagner pendant de longues années le patient et son entourage familial comme professionnel.

La déception et la souffrance du praticien lors des soins donnés aux malades d’Alzheimer, que celui-ci demeure à domicile ou dans un EHPAD, sont à prendre en compte. En effet, en raison des particularités de la maladie, le médecin doit accepter de prendre en charge des malades d’Alzheimer de manière collective. Au sein de la chaîne des intervenants dans l’entourage des malades, le niveau le moins qualifié mais le plus proche de la vie quotidienne du malade est celui qui est le plus important pour les renseignements qu’il peut fournir au généraliste.

Khosravi M. : Aider et accompagner le malade d’Alzheimer 1993 Marabout ; La vie quotidienne de malade d’Alzheimer. 1995 Doin 4é édition 2011 Communication lors de la maladie d’Alzheimer et les autres démences 2003 DOIN 3é édition 2011.

MITRA KHOSRAVI Psycho-gérontologue, Paris

Source : Le Quotidien du Médecin: 9098