Neurologie

Les troubles neurologiques fonctionnels, ces mal-aimés

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Publié le 01/07/2022
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Entre psychiatrie et neurologie, les troubles neurologiques fonctionnels sont encore entourés de lourds préjugés et les patients connaissent de longues errances diagnostiques. Quelques spécialistes tentent de faire bouger les lignes.

Les troubles neurologiques fonctionnels (TNF) représentent 5 à 10 % des consultations en neurologie

Les troubles neurologiques fonctionnels (TNF) représentent 5 à 10 % des consultations en neurologie
Crédit photo : Phanie

Les troubles neurologiques fonctionnels (TNF) représentent 5 à 10 % des consultations en neurologie, deuxième motif après la migraine. Pourtant, « une enquête a montré qu'il s'agit de la maladie la moins aimée des neurologues », rapporte la Dr Béatrice Garcin, neurologue à l'hôpital Avicenne (AP-HP), l'une des spécialistes du sujet en France. « Environ 75 % des psychiatres que j'ai sondés disent n'avoir jamais été formés aux crises non épileptiques psychogènes (Cnep), le TNF le plus fréquent », confirme la Dr Coraline Hingray, psychiatre au CHRU de Nancy et cofondatrice avec le Dr Guilhem Carle, psychiatre à Toulouse, et la Dr Garcin du réseau TNF France.

Cette méconnaissance est d'autant plus paradoxale que ces troubles, qui touchent surtout des femmes (trois quarts des cas) entre 30 et 40 ans, sont repérés depuis longtemps, sous le terme d'hystérie puis de troubles de conversion.

La définition des TNF adoptée en 2013 est aujourd'hui discutée. « Traditionnellement, on dit que ce sont des symptômes neurologiques (mouvements anormaux, déficit moteur, troubles sensitifs) qui surviennent en l'absence de lésion du système nerveux ou de cause neurologique identifiée », résume la Dr Garcin.

Des années d'errance diagnostique

Les TNF sont à la frontière de la psychiatrie et de la neurologie. Le DSM V les situe dans les troubles à symptomatologie somatique et apparentés. La CIM 11 les considère comme des troubles dissociatifs, alors que la dissociation fait l'objet d'un chapitre à part dans le DSM. Mais les patients sont dans la grande majorité des cas adressés aux neurologues.

Peu enseignés, les TNF pâtissent en outre de préjugés tenaces. « L' a priori que le patient simule ses symptômes persiste », déplore la Dr Garcin.

Conséquence : les patients connaissent des années (quatre à cinq en région parisienne) d'errance diagnostique, ballottés entre psychiatrie et neurologie. Le sentiment de délaissement de la part du corps médical contribue à aggraver les symptômes. Ce qui pourrait en partie expliquer le mauvais pronostic des TNF : selon une étude publiée dans « Brain » en 2019 sur 67 patients suivis pendant 14 ans, seulement 20 % d'entre eux ont guéri ; et la mortalité était aussi mauvaise que celles des autres maladies neurologiques.

Recherche des 3 P

En dépit de l'absence de consensus international et national, les modalités du diagnostic ont évolué ces 20 dernières années. « Longtemps, on pensait aux TNF après avoir éliminé toutes les autres maladies. Mais des études récentes montrent qu'il existe à l'examen clinique des signes très évocateurs et spécifiques des TNF, qui reposent sur la normalisation, voire la disparition des symptômes lorsqu'on détourne l'attention », explique la Dr Garcin. Exemple : faire battre la mesure à un patient souffrant de tremblement fonctionnel. « Cela accrédite l'idée que ces TNF seraient liés en partie à un excès d'attention sur le membre symptomatique, précise-t-elle. Raisonner à partir d'éléments positifs augmente la confiance dans le diagnostic, pour le médecin et le patient. » L'imagerie (IRM, scintigraphie) en revanche est normale ; seule l'IRM fonctionnelle, réservée à la recherche, pourrait révéler un dysfonctionnement dans les régions prémotrices ou antérieures du cerveau.

Si le diagnostic est posé en neurologie, les psychiatres peuvent participer à l'exploration des 3 P : les facteurs prédisposants, précipitants et perpétuant les symptômes. Ils sont fortement impliqués auprès des patients présentant des crises fonctionnelles (ou Cnep).

Parmi les éléments prédisposants des TNF, le psychotraumatisme dans l'enfance apparaît être un facteur de risque significatif (retrouvé dans 75 % des cas), ainsi que le syndrome de stress post-traumatique. Certains schémas de fonctionnement semblent aussi être un terreau favorable, comme le perfectionnisme ou l'abnégation, la tendance à la dissociation, l'alexithymie (l'incapacité à identifier ses propres émotions) ou des comorbidités psychiatriques. En matière de facteurs précipitants, « on retrouve souvent un traumatisme physique (chute, chirurgie, maladie, etc.) ou un trauma psychique », cite la Dr Garcin.

Enfin, l'absence de reconnaissance de la pathologie par l'entourage (famille, assurance, soignants, travail) peut perpétuer les symptômes. « Il faut faire voler en éclat le préjugé qui veut que les "hystériques" recherchent des bénéfices secondaires (type : attirer l'attention) », insiste la Dr Hingray.

Des traitements sur-mesure

« Le premier traitement est l'explication diagnostique », assure la Dr Garcin. C'est particulièrement vrai dans le cas des Cnep : plus de 30 % des patients qui en souffrent sont délivrés de leurs symptômes lorsque leur diagnostic leur est expliqué. La psychoéducation peut aider à faire comprendre les TNF, à l'aide d'images, de vidéos, etc. « Plus le patient est pris en charge tôt, plus il comprend le diagnostic et meilleur est le pronostic », souligne la neurologue.

Puis les prises en charge sont dessinées sur-mesure, en fonction des troubles. « Quand c'est moteur, la kiné permet de réapprendre les mouvements normaux en utilisant des manœuvres où l'on détourne l'attention. Il est important de montrer au patient qu'il est capable et de travailler sur les croyances, car elles jouent sur les performances », poursuit-elle.

Dans le cadre des Cnep, sont privilégiées des approches de type thérapie cognitivo-comportementale. « On donne des outils pour s'ancrer dans l'ici et maintenant avec les cinq sens et éviter le mécanisme de dissociation », précise la Dr Hingray, insistant sur l'importance d'impliquer le patient dans son traitement.

En cas de douleurs chroniques (touchant plus de la moitié des patients), un antidépresseur de la famille des tricycliques (Laroxyl) ou la duloxétine (un inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline) peut être prescrit, ainsi que des approches non médicamenteuses. « Mais spécifiquement pour les TNF, peu de traitements, notamment pharmaceutiques, ont montré une efficacité claire contre placebo, résume la Dr Garcin. Beaucoup de médecins recourent à des traitements en misant surtout sur l'effet placebo. » La Dr Garcin travaille aussi en suivant les pas d'une équipe écossaise, sur des protocoles visant à montrer au patient qu'il peut se mouvoir comme tout un chacun. « J'ai filmé pendant deux nuits dans son sommeil une patiente souffrant d'une paraplégie fonctionnelle. Se voir bouger l'a aidée à reprendre confiance… Et à remarcher », raconte la neurologue.

« Nous nous intéressons aussi à la stimulation magnétique transcrânienne, à la toxine botulique ou à la pratique des blocs-moteurs (injection ciblée d’anesthésique dans un groupe musculaire donné)… Plein de pistes sont à explorer. Mais personne ne s'y intéresse », regrette la Dr Garcin. Aucun appel à projets n'a été lancé de la part des autorités. Aucune structure pluridisciplinaire dédiée n'existe dans les hôpitaux publics. D'où l'appel du réseau TNF à structurer les soins et à améliorer la formation des médecins. 

(1) Il existe de récentes recommandations internationales d'experts sur la prise en charge en kiné, en ergothérapie, en orthophonie…

Coline Garré

Source : Le Quotidien du médecin