De l’animal à l’homme, et réciproquement

Les plasmides, vecteurs de l’antibiorésistance, circulent librement

Publié le 24/10/2013
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antibiorésistance

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Crédit photo : S. Toubon

Les derniers résultats concernant le volume des ventes d’antibiotiques et la résistance aux antibiotiques en santé animale, présentés lors de la 4e journée sur l’antibiorésistance dans les filières animales organisée par l’Anses, sont encourageants. Ils marquent un premier signal positif après les plans de lutte décidés par les professionnels et la mise en œuvre du plan Ecoantibio 2 017. Cependant, la multirésistance de nombreuses bactéries animales et la "libre circulation" des plasmides restent préoccupantes.

Que sait-on des conséquences humaines de l’antibiorésistance en santé animale ? Les plasmides, matériel génétique porteur de la résistance aux antibiotiques, difficiles à pister, circulent librement, franchissent les barrières d’espèce, de l’homme à l’animal, de l’animal à l’homme et de l’animal au végétal. Un phénomène difficilement quantifiable et préoccupant. Le point avec Jean-Yves Madec, directeur de recherches, chef de l’unité d’antibiorésistance et virulence bactérienne à l’Anses (Lyon).

LE QUOTIDIEN : Pouvez-vous rappeler quels sont les principaux usages des antibiotiques en santé animale ?

JEAN-YVES MADEC : Cela dépend des filières. L’usage préventif concerne les animaux de production et on parle alors de métaphylaxie plutôt que de prophylaxie. Quand quelques animaux sont malades dans un lot, on soigne l’ensemble du lot, c’est de la métaphylaxie. La prophylaxie consisterait à traiter un troupeau sain pour éviter une maladie, c’est beaucoup plus rare. Les antibiotiques sont bien sûr utilisés à visée curative. Dans les deux cas, ils sont prescrits par les vétérinaires. Et depuis 2007, leur utilisation comme facteur de croissance est strictement interdite dans les tous les pays européens.

Les résultats sur l’antibiorésistance sont encourageants. Mais pourquoi observe-t-on autant de différences entre les filières ?

La prise conscience un peu graduelle des filières vient de pratiques très différentes ; la filière porcine a, d’entrée de jeu, il y a deux ans, décidé d’un moratoire sur les molécules classiques. C’est une initiative de la filière ; un peu comme si les dermatologues ou les réanimateurs se mobilisaient pour telle ou telle cause. Le démarrage n’est jamais totalement synchronisé. Mais il faut tenir compte aussi des organisations différentes de chacune des filières : les objectifs de production de la volaille sur 45 jours ne sont pas les mêmes que ceux de la filière porcine sur plusieurs mois. Selon les filières, il est plus ou moins simple de traiter la question.

La question cruciale est celle de l’impact sur la santé humaine. Que sait-on aujourd’hui de la dissémination de l’antibiorésistance animale à l’homme ?

Globalement, l’homme et l’animal sont les principaux moteurs de la résistance aux antibiotiques dans leur propre camps. Cela ne signifie pas que les mondes sont étanches. Certaines choses sont bien documentées et ont peu de portée, d’autres moins le sont moins et ont sûrement un impact plus grand : je m’explique.

Les toxi-infections alimentaires chez l’homme, principalement dues à des Salmonelles résistantes aux antibiotiques, sont acquises chez l’animal ; mais, au plan épidémiologique, ce n’est pas majeur. C’est un pont entre les deux mondes. Dans l’analyse de risque de l’antibiorésistance, le poids est mineur.

Autre sujet bien documenté : le Serm du porc. Il y a des clones de staphylocoques dorés en portage chez le porc qui passent chez l’éleveur par contact direct. C’est une vraie porte d’entrée mais, là encore, sans impact épidémiologique.

Les cas pas faciles à traiter sont ceux des plasmides - matériel génétique qui portent la résistance- des entérobactéries productrices de carbapénémases. Lorsque l’on décrit des carbapénémases chez l’animal, on sait que le plasmide vient de l’homme, mais on ne sait pas forcément comment ni quand il est passé.

On connait le « contenu » mais pas le « contenant » ?

Exactement. Sauf qu’il y a une espèce de "contenant universel" qui est Escherichia Coli, commensale de l’homme et de l’animal, et pour laquelle on trouve une diversité énorme de bêtalactamases dont on ne connaît plus l’origine. Les plasmides circulent dans tous les sens et changent de voie comme on change de métro. Jusqu’à présent, la frontière homme/animal était un peu préservée au niveau des bactéries mais là, on trouve des plasmides animaux chez l’homme et des plasmides humains chez les animaux.

L’ampleur de ce phénomène est-elle quantifiable ?

Pour les bactéries, oui. Pour les plasmides, non. Il est certain que le séquençage aidera à clarifier les voies de circulation. Nous craignons néanmoins que ce phénomène puisse s’emballer car aujourd’hui on ne s’étonne plus tellement de trouver des plasmides partout : en Inde en Chine, on peut identifier toutes les carbapénémases en ville et à l’hôpital, dans le monde animal et même végétal. La quantification devient impossible, c’est très préoccupant. On a identifié récemment un plasmide commun entre un patient de Bicètre et des veaux de boucherie sans que l’on comprenne comment ce plasmide est passé de l’un à l’autre.

Propos recueillis par le Dr ANNE TEYSSÉDOU-MAIRÉ
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Source : Le Quotidien du Médecin: 9274