LE QUOTIDIEN : Quelles sont les manifestations de l’occlusion de l’artère centrale de la rétine (OACR) ? Et que peut-on dire sur son incidence et les diagnostics différentiels ?
Dr BENOÎT GUILLON : L'occlusion de l’artère qui vascularise la rétine est responsable d’une perte brutale de la vision d’un œil. Cela se produit en quelques secondes, sans douleur et l’œil reste blanc. Si la personne ferme l’œil controlatéral, elle est dans l’obscurité totale.
Son incidence est difficile à évaluer mais serait de 1 à 2 % des accidents vasculaires cérébraux (AVC), soit environ 15 000 à 20 000 personnes chaque année en France. Les diagnostics différentiels sont ophtalmologiques : hémorragie du vitré, décollement de rétine, neuropathie optique ischémique. C’est pour cela que dans l’organisation de la filière, nous avons besoin d’une évaluation par un ophtalmologue.
Quels sont les facteurs de risque et les suites ?
On dénomme aussi cette pathologie « AVC de l’œil », ce qui est un abus de langage, car par définition l’AVC concerne le cerveau. Néanmoins, les mécanismes sont identiques : athérome, arythmie cardiaque. Tout comme les facteurs de risque : âge, HTA, diabète, cholestérol… Dans de rares cas (5 % environ), l’OACR est une complication de la maladie de Horton.
Le pronostic spontané à trois mois n’est pas bon : dans 80 % des cas, la vision n'est pas récupérée et la personne conserve une cécité de l’œil. Dans 20 % des cas environ, la vision s’améliore spontanément, partiellement ou totalement. Enfin, il peut s’agir d’un accident ischémique transitoire (AIT), qui a la même valeur que pour le cerveau : c’est un symptôme qui témoigne d’un accident dans le territoire de l’artère carotide, avec un risque élevé de récidive. Il faut donc pouvoir confirmer le diagnostic rapidement et mettre en place un traitement préventif pour réduire ce risque. Quelque 15 % des accidents transitoires sont suivis d’un AVC dans les 10 jours. Le recours aux soins et le diagnostic restent insuffisants aujourd’hui, en particulier parce que la vision conservée avec l’autre œil fait qu’on peut ne pas s’en apercevoir immédiatement…
Quelle était la prise en charge jusqu’à présent et pourquoi créer une filière spécifique au CHU de Nantes ?
L’OACR est une pathologie frontière entre les ophtalmologues, les neurologues, les urgentistes et les médecins internistes. Personne ne s’y intéresse vraiment, ce qui fait que ce n’est pas une pathologie très bien prise en charge. En général, les personnes se présentent aux urgences et on leur donne un peu d’aspirine.
Or, comme c’est un évènement vasculaire aigu dans le territoire carotide, il faut absolument que ces patients soient vus par un neurologue en urgence, comme pour un AVC. C’est pourquoi nous avons mis en place une filière de prise en charge à Nantes (c’est le cas aussi dans d’autres CHU) : le patient doit alerter le 15, puis un ophtalmologue confirme le diagnostic et ensuite le patient est pris en charge en unité neurovasculaire afin de tenter de réduire les conséquences de l’occlusion.
Quels sont les objectifs de l’étude Theia que vous coordonnez avec d’autres spécialistes nantais ?
Une question centrale se posait, à laquelle nous voulions répondre : y a-t-il un intérêt à déboucher cette artère pour que l’œil récupère ? Pour l’instant, des équipes à travers le monde utilisent des fibrinolytiques pour détruire le caillot et rouvrir l’artère. Certaines disent que les résultats sont bons mais nous n’avons pas d’étude randomisée.
Donc en 2018, nous avons débuté un protocole hospitalier de recherche clinique (PHRC) pour évaluer le bénéfice de l’injection de fibrinolytiques pour détruire le caillot – et ce dans les 4 h 30 suivant la perte de vision car au-delà, des lésions deviennent irréversibles - comparativement au traitement habituel qui est l’aspirine.
Nous avons inclus 62 patients pour le moment sur un objectif de 70. Ces patients ont été recrutés au CHU de Nantes mais aussi à la Fondation Rothschild à Paris et dans d’autres CHU comme Montpellier, Tours, Perpignan. Nous avons besoin de nous assurer de deux choses : qu’il y a un bénéfice sur l’acuité visuelle pour le patient et pas d’effets secondaires importants, le risque principal étant hémorragique. Comme il n’y a pas d’analyse intermédiaire, il n'y a pas encore de résultat à communiquer pour le moment. Une publication et une communication auront probablement lieu d’ici à la fin 2023.
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024
La myologie, vers une nouvelle spécialité transversale ?