Les recommandations de prévention nutritionnelle évoluent

Encore des débats autour des allergies alimentaires

Publié le 08/12/2023
Article réservé aux abonnés

Si la question des compléments de lait de vache chez les nourrissons exclusivement allaités fait encore débat, l’introduction précoce de certains aliments semble tranchée.

Chez les nouveau-nés exclusivement allaités nécessitant un biberon de complément en maternité, seules les formules avec hydrolyse extensive des PLV doivent être utilisées

Chez les nouveau-nés exclusivement allaités nécessitant un biberon de complément en maternité, seules les formules avec hydrolyse extensive des PLV doivent être utilisées
Crédit photo : BURGER/PHANIE

Les recommandations concernant la prévention nutritionnelle des allergies alimentaires ont fait l’objet de plusieurs revirements depuis le début de ce siècle. Les pédiatres de la Société française d’allergologie (SFA) et la Société européenne de gastroentérologie, hépatologie et nutrition pédiatriques (Espghan) ont récemment émis de nouvelles recommandations (1, 2), qui méritent d’être discutées.

Introduction des aliments à fort potentiel allergisant

La SFA est la première société savante à recommander clairement d’introduire l’œuf, l’arachide et les fruits à coque entre 4 et 6 mois, notamment chez les enfants à risque allergique. Leur introduction devra être progressive et régulière, en évitant les intervalles libres trop longs entre les prises. Elle précise cependant qu’en cas d’eczéma sévère, des tests allergologiques devront être préalablement réalisés afin de repérer les enfants qui se seraient déjà sensibilisés à ces allergènes. Pour eux, l’introduction de ces protéines sera différée, ou réalisée après avis d’un allergologue.

Fin des laits hypoallergéniques

Pendant longtemps, les laits hypoallergéniques (HA) étaient préconisés chez les nouveau-nés ayant un terrain atopique familial, afin de réduire le risque ultérieur de développer des manifestations allergiques. En 2019, l’Académie américaine de pédiatrie a écarté cette indication (3), suivie par l’Académie européenne d’allergie et d’immunologie clinique (4) et maintenant par la SFA (1). Ces prises de position ont conduit tous les industriels français à retirer les formules HA de leur répertoire.

Biberons de complément en maternité

De nombreux travaux ont démontré la responsabilité, dans l’augmentation du risque ultérieur d’allergie aux protéines du lait de lait de vache (APLV), du ou des biberon(s) de complément contenant des PLV entières, donnés pendant le séjour à la maternité aux nouveau-nés destinés à être exclusivement allaités. Là encore, la SFA est la première société savante à explicitement proscrire ces compléments à la maternité, alors que l’Espghan est très étonnamment plus hésitante.

Cependant, les nouveau-nés exclusivement allaités et à risque d’hypoglycémie (macrosomes, prématurés, hypotrophes) peuvent nécessiter des compléments. Il faut alors prescrire une formule avec hydrolyse extensive des PLV, ou contenant des acides aminés, si possible en nourette liquide et donc stérile.

Complément de lait lors de l’allaitement exclusif

Si le(s) complément(s) ponctuel(s) de lait à la maternité chez les nouveau-nés exclusivement allaités augmente(nt) le risque d’APLV ultérieure, certains travaux suggèrent que des compléments quotidiens après la sortie de maternité pourraient, au contraire, prévenir ce risque. La SFA a ainsi préconisé l’ingestion de 10 ml par jour de lait chez les nourrissons à risque atopique exclusivement allaités, ces suppléments étant débutés le plus tôt possible et poursuivis jusqu’à la diversification.

Cette recommandation a suscité beaucoup de réactions hostiles, notamment en raison de la méthodologie discutable des études ayant montré une diminution du risque d’APLV chez les nourrissons allaités recevant ces compléments comparés à ceux qui n’en ingéraient pas. S’il est vrai que de nouveaux travaux seraient nécessaires pour confirmer cette recommandation, la majorité des essais cliniques déjà effectués montrent clairement une diminution, parfois considérable, du risque d’APLV ultérieure chez les nourrissons allaités consommant ces suppléments.

Les opposants à cette préconisation ont également avancé que ces compléments pourraient altérer la poursuite et la durée de l’allaitement. Cet argument n’est pas soutenu par les études réalisées, qui montrent que la durée de l’allaitement est identique entre ceux qui reçoivent ces suppléments et ceux qui sont exclusivement allaités.

Ces ajouts de lait chez les nourrissons allaités vont encore probablement entraîner de nombreux débats. L’engouement des pédiatres pour promouvoir l’allaitement est un devoir que nous partageons tous, mais il ne doit pas être aveugle, et doit savoir se plier aux résultats des travaux scientifiques. Sachons raison garder, 10 ml de lait ne représentent que deux cuillères à café !

 

Nutrition et gastroentérologie pédiatriques, Hôpital Trousseau, Sorbonne Université, Paris   

(1) Sabouraud-Leclerc D et al. Arch Pediatr 2022;29:81-9

(2) Vandenplas Y et al. J Pediatr Gastroenterol Nutr 2023 Jul 26

(3) Greer FR et al. Pediatrics 2019;143: e20190281

(4) Halken S et al. Pediatr Allergy Immunol 2021;32: 843-58

 

Pr Patrick Tounian

Source : Le Quotidien du médecin