LES MÉDICAMENTS pédiatriques sortent enfin de l’oubli. Il aura fallu la ténacité de nombreux pédiatres pour que les autorités sanitaires prennent conscience des manques en la matière. Combien de médicaments administrés quotidiennement à des enfants n’ont jamais fait l’objet d’évaluation pédiatrique ? Que sait-on de leur pharmacocinétique, de leur efficacité et de leurs effets secondaires chez les petits ?
« On estime que 50 % des médicaments utilisés en pédiatrie n’ont jamais été étudiés chez l’enfant, mais seulement chez l’adulte et pas toujours dans les mêmes indications », répond le Pr Jacqz-Aigrain. En néonatologie, les chiffres sont encore plus importants : « 80 à 90 % des médicaments sont utilisés en dehors de l’AMM », souligne-t-elle.
La situation est en train de changer grâce à l’adoption, en 2006, d’un règlement européen – dont la France a été à l’origine – transposable dans tous les pays, qui impose aux laboratoires pharmaceutiques d’évaluer tous les nouveaux médicaments chez l’enfant, lorsqu’ils peuvent être prescrits pour eux. Ses objectifs sont « d’améliorer la santé des enfants en Europe en augmentant l’évaluation puis la mise sur le marché de médicaments qui leur sont destinés en évitant les essais inutiles et sans retarder la mise sur le marché des produits destinés aux adultes ». « Ce règlement concerne à la fois les médicaments protégés par un brevet et les médicaments hors brevet », explique le Pr Jacqz-Aigrain. « Pour les nouveaux médicaments, un plan d’investigations pédiatriques (PIPs) doit être soumis par l’industriel à l’Agence européenne du médicament. Le Paediatric Comittee en assure l’évaluation, aidé des structures des pays membres, en France, le Comité des PIPs à l’AFSSAPS, dont l’activité très importante est reconnue au plan européen », précise le Pr Jacqz-Aigrain. « La construction des PIPs, en collaboration avec les pédiatres experts de la pathologie et de la recherche clinique, permet de mieux cibler les patients, d’utiliser des méthodologies innovantes d’évaluation et d’y intégrer les nouvelles technologies enfin d’adapter les projets aux enfants… », poursuit-elle. La conduite des PIPs doit s’appuyer sur un partenariat public/privé incluant les industriels, les CRO ( Contract Research Organization) et les pédiatres.
Une liste prioritaire.
Une procédure particulière a été mise en place pour les médicaments déjà sur le marché pour l’adulte mais pour lesquel les données chez l’enfant manquent et la présentation galénique n’est pas adaptée : la Paediatric Use Marketing Autorisation ou PUMA. L’Agence européenne des médicaments a établi une liste de médicaments prioritaires dans chaque spécialité, qui doivent faire l’objet de recherches chez l’enfant pour établir leur pharmacocinétique, leur efficacité et/ou leur tolérance à court et long terme et mettre au point de formulations galéniques adaptées à chaque âge. « Cette liste est importante pour orienter les évaluations et les recherches des industriels mais aussi des pédiatres et des chercheurs institutionnels », souligne le Pr Jacqz-Aigrain. Y figurent notamment des antibiotiques et des médicaments cardio-vasculaires pour lesquels on ne dispose que de très peu de données chez l’enfant.
Les centres d’investigations cliniques
Qu’il s’agisse de nouveaux médicaments ou d’anciennes molécules qui sont ainsi évaluées en pédiatrie, les essais cliniques doivent reposer sur des méthodes d’investigation adaptées à l’enfant et garantir le respect de l’éthique et des bonnes pratiques cliniques et de laboratoire. Les Centres d’investigation clinique pédiatriques (CIC pédiatriques) pilotent déjà de nombreux essais. Ces centres sont des structures dédiées à l’organisation, la coordination et la réalisation d’essais cliniques visant à améliorer les connaissances sur les maladies, leurs traitements et leur prévention. Il existe aujourd’hui 13 centres d’investigation clinique labellisés par l’INSERM. Ce sont des structures mixtes INSERM-hôpital, indépendantes des services hospitaliers avec lesquels elles travaillent étroitement. Leurs équipes, formées à la recherche clinique, assurent l’interface entre les structures de recherche fondamentale et les services cliniques et de biologie. La plupart des CIC sont dédiés à l’adulte et à l’enfant, certains uniquement dédiés à l’enfant.
Mobilisation générale
« Les pédiatres hospitaliers vont avoir un rôle important à jouer dans les phases initiales de l’évaluation, les phases III seront probablement surtout réalisées en ville, l’organisation de réseaux entre les pédiatres de ville et l’hopital apparaît donc essentielle », explique le Pr Jacqz-Aigrain. Cela est encore plus vrai pour les pathologies courantes, otites, crises d’asthme, infections pulmonaires, ou encore dans le cadre de l’évaluation des vaccins. Les pédiatres et les médecins généralistes vont être mobilisés pour le recrutement des petits patients. Il va falloir organiser ou renforcer des réseaux ville hôpital autour des Centres d’investigation clinique pour conduire ces recherches indispensables et améliorer la prise en charge thérapeutique. Il est donc important que tous soient d’ores et déjà informés afin que le maximum de praticiens participent à ces essais qui vont se multiplier dans les prochaines années.
D’après un entretien avec le Pr Evelyne Jacqz-Aigrain, responsable du centre d’investigation clinique pédiatrique de l’hôpital Robert Debré à Paris.
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024
La myologie, vers une nouvelle spécialité transversale ?