« Nous voulons refonder la pédopsychiatrie », appelle le Pr Bruno Falissard (Sfpeada)

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Publié le 29/11/2023
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Crédit photo : Voisin/Phanie

Fin novembre, la Société française de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent et disciplines associées (Sfpeada) a publié deux positions sur le harcèlement scolaire et la stratégie nationale des troubles du neurodéveloppement. Deux thèmes très différents qui ont en commun de questionner la place de la psychiatrie dans la société. Entretien avec son nouveau président (depuis juin), le Pr Bruno Falissard.

LE QUOTIDIEN : Quel est le rôle de la pédopsychiatrie face au harcèlement ?

Pr BRUNO FALISSARD : Toute la souffrance psychique ne relève pas de la pédopsychiatrie. On a le droit d'aller mal dans sa vie sans que la réponse soit médicale : elle peut aussi se trouver dans le support social, que ce soit la famille, l'école, les politiques, les voisins, etc.

Les pédopsychiatres s'occupent des enfants pour qui il y a une rupture dans l'existence source d'une souffrance profonde, qui les laisse démunis, tout comme leurs parents.

Certaines situations de harcèlement peuvent se régler si le proviseur s'en occupe, en réunissant par exemple les enfants et les parents du harcelé et du harceleur. Le mal-être peut alors s'estomper dans le temps sans avoir besoin d'être médicalisé.

Mais pour d'autres jeunes, le harcèlement peut conduire à un trauma qui nécessite des soins. C'est une question de rupture : un enfant ou adolescent qui ne dort plus, pleure, devient irritable, refuse d'aller à l'école, où ses résultats s'effondrent… On peut illustrer ce point de bascule en pensant à une grippe : parfois le mal passe sans consulter ; mais on peut aussi être cloué au lit et n'en sortir que sous anti-inflammatoires.

Avoir été victime de violence, de maltraitance, d'attachement insécure est un facteur de risque. Comme souvent en pédopsychiatrie.

Quelles structures peuvent assurer la prise en charge des enfants ?

Dans les ordonnances de 1972, le centre médico-psychologique (CMP) est désigné comme le soin de premier niveau. Mais c'est aujourd'hui impossible : la demande a augmenté, les listes d'attente explosent, les moyens n'ont pas suivi.

Les premières interventions devraient avoir lieu là où sont les enfants : à l'école, au collège, où est prévu le déploiement des référents santé mentale. L'ensemble du tissu social doit s'approprier la question de la prévention et du dépistage.

Puis les maisons des adolescents et celles de l'enfant et de la famille (quelques-unes commencent à être expérimentées, comme à Créteil, NDLR), pourraient assurer un premier recours et une orientation, grâce à des psychologues et des paramédicaux. La porte est ouverte, il est plus facile d'y entrer. La présence même d'un psychiatre peut être discutée.

Enfin, si le soin doit être médical, l'enfant est orienté en CMP.

Que proposer à une victime de harcèlement ?

Tout dépend du diagnostic. Le harcèlement est une exposition, la souffrance qui en découle peut être ou non pathologique.

Si elle ne l'est pas, un soutien psychologique ou une pair-aidance peuvent suffire. On peut organiser des réunions entre harceleur (qui souvent ne va pas bien), harcelé, proviseur, parents et prévenir l'entourage. Ces interventions, non médicalisées, peuvent se faire vite et à moindres frais, et se révéler efficaces.

En cas de trauma avéré, on déroule la pensée médicale psychiatrique et l'enfant peut se voir proposer de l'EMDR, des thérapies cognitivocomportementales, systémiques (quand il est pertinent d'inclure la famille), ou psychodynamiques. Mais cela suppose des soignants en nombre suffisant.

Depuis les assises de la psychiatrie et de la santé mentale en 2021, observez-vous des avancées pour la discipline ?

Il y a une prise de conscience politique d'un mal-être des enfants et adolescents. Mais les responsables ne savent pas ce qui se passe sur le terrain.

En outre, les politiques sont pris dans un fantasme pseudoscientifique, selon lequel la psychiatrie ne serait pas assez rationnelle. À leurs yeux, seules les neurosciences nous aideraient à comprendre ce qui se passe dans le cerveau. Cela aboutit à la stratégie nationale sur les troubles du neurodéveloppement, englobant autisme, troubles de l'attention avec ou sans hyperactivité et troubles dys. Tous les troubles deviennent « neuro » et le mot « psychiatrie » n'est pas prononcé. Il y a une vraie déqualification de la pédopsychiatrie dans l'autisme.

Or si un enfant hyperactif ou autiste est en souffrance, ce sont des équipes de pédopsychiatrie qui s'en occupent sur le terrain ! Les neurosciences sont intellectuellement très intéressantes, elles permettent de comprendre les maladies. Un peu. Reste que les diagnostics de trouble déficitaire de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) et de troubles du spectre autistique (TSA) ne se résument pas à des examens neuropsy, ils sont avant tout cliniques, et ce sont des recommandations internationales qui le disent, pas la lubie d'un pédopsychiatre français. Et puis ces troubles sont la plupart du temps associés à des comorbidités.

Les centres experts sont pertinents pour étayer les diagnostics, mais ils ne règlent pas le problème de la prise en charge derrière, qui est éminemment personnalisée.

Quelles sont vos propositions pour faire changer la donne ?

Le 23 avril prochain, journée mondiale de la santé mentale des enfants, la Sfpeada organisera les assises de la refondation de la pédopsychiatrie, et non de la santé mentale.

Nous y restituerons les résultats de deux enquêtes que nous avons lancées, la première auprès des pédiatres et des familles, pour savoir ce qu'ils attendent de notre discipline aujourd’hui, la seconde auprès de collègues étrangers pour connaître leur regard sur notre système de soin.

Le gouvernement ne parvient pas à parler de psychiatrie. Nous prenons la responsabilité de mettre ce mot sur la place publique.

Propos recueillis par Coline Garré

Source : lequotidiendumedecin.fr