À Paris, l'épidémie de Covid a coïncidé avec une augmentation du nombre de cas graves de bébés secoués

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Publié le 31/08/2022
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Crédit photo : PHANIE

Les épisodes de confinement et les conséquences psychosociales de l'épidémie de Covid-19 auraient eu un effet sur l'incidence des violences sévères et répétées dirigées vers les jeunes enfants. C'est ce que les médecins de l'hôpital Necker-Enfants malades (AP-HP) ont constaté sur Paris et sa petite couronne, en 2020 et 2021.

Dans un travail publié dans le « Jama Network Open », les chercheurs ont analysé les données issues d'une cohorte longitudinale d'enfants de moins de 12 mois, admis entre janvier 2017 et décembre 2021 au centre de neurochirurgie pédiatrique de l'hôpital Necker. Cette cohorte totalise 99 cas de traumatismes crâniens causés par des mauvais traitements (bébés secoués), qui se définissaient par la présence d'au moins un hématome sous-dural et devaient avoir fait l'objet d'une évaluation pluridisciplinaire (médicale, sociale, biologique et radiologique).

Une sévérité des traumatismes en hausse

Les cliniciens ont retrouvé une thrombose des veines ponts (87 % des cas), une hémorragie rétinnienne (75 %), une fracture (32 %), un état de mal épilectique(26 %) et des lésions cutanées (20 %). Plus de la moitié des enfants (54 %) ont dû subir une intervention neurochirurgicale, et 13 % des enfants sont morts.

En comparant avec la période prépandémique (2017-2019), le nombre de bébés secoués admis dans le centre est resté stable en 2020, puis a doublé en 2021. Parallèlement, la sévérité des traumatismes a également augmenté, puisque la mortalité a été presque multipliée par 10.

Ces données suggèrent que les épisodes de confinement et de distanciation sociale ont pu avoir un impact à long terme sur la probabilité de tels événements. Les chercheurs suspectent que les actes de violences ont été favorisés par le stress psychosocial (lié à la perte d'emploi ou à l'impossibilité d'en chercher un), les changements forcés de mode de vie (télétravail, couvre-feu, confinement), la frustration, l'exacerbation de problèmes psychiatrique de l'adulte et la perturbation des services publics.

La partie émergée de l'iceberg

L'hôpital Necker-Enfants malades est le seul à Paris disposant d'un centre de neurochirurgie pédiatrique à même de prendre en charge les cas les plus graves. « Il est possible que nous n'ayons ici qu'une vision de la partie émergée de l'iceberg, explique au « Quotidien » le Pr Gilles Orliaguet, dernier auteur de l'étude et chef du service d'anesthésie-réanimation pédiatrique et obstétricale. Nous recevons les enfants les plus gravement atteints chez qui le diagnostic de maltraitance a été posé ou au minimum suspecté. Or, ce diagnostic est parfois difficile et long à établir. »

Il poursuit : « Les maltraitants ne se rendent pas toujours compte de ce qu'ils font : pour certains d'entre eux, secouer un bébé n'est pas le battre. Quand le maltraitant est conscient de ses actes, il ne va évidemment pas s'en vanter. Il arrive aussi que les actes de maltraitance soient le fait d'une personne extérieure à la famille comme une nounou ou une assistante maternelle. »

Les cliniciens ne peuvent le plus souvent poser un diagnostic de maltraitance que lorsque la répétition des traumatismes se matérialise par des lésions importantes, comme notamment des hématomes sous-duraux. Par ailleurs, les premiers signes évocateurs d'un bébé secoué ne sont pas très discriminants : malaise, hypotonie, vomissements et convulsions.

Ce diagnostic tardif n'est pas sans conséquences : les traumatismes crâniens sont la première cause de mortalité infantile dans les pays développés. Ils provoquent des conséquences à long terme chez les survivants telles que des encéphalopathies ou des troubles du développement.

Alerter les familles

Faute de pouvoir diagnostiquer rapidement, les médecins de Necker espèrent que leurs données motiveront les pouvoir publics à investir dans l'éducation, la formation et la prévention. « Notre but est d'alerter sur la gravité potentielle de ce type de lésions, via des campagnes d'information et de formation », précise le Pr Orliaguet, qui insiste sur le caractère prolongé de l'augmentation des violences.

Entre janvier et juillet 2022, l'hôpital Necker a déjà admis 16 nouveaux cas graves de bébés secoués. « Les effets de l'épidémie se font toujours sentir, constate-t-il. Il est probable que, lors des premières vagues, l'essentiel des moyens sanitaires a été consacré à la prise en charge de la Covid, et l'on a peut-être fait moins d'efforts d'informations et de préventions. Si nous sommes confrontés à d'autres crises de ce genre, il faudra maintenir un haut niveau de prévention et faire en sorte que l'information soit faite auprès des mamans, mais aussi des papas, majoritairement auteurs des violences en cas de maltraitance au sein de la cellule familiale. »

De telles campagnes d'information doivent toucher tous les milieux sociaux : « Ce que notre expérience nous a appris, c'est qu'aucune classe sociale n'est à l’abri », prévient le Pr Orliaguet.


Source : lequotidiendumedecin.fr