Trouble de l’identité sexuelle en pédiatrie

Quand être fille ou garçon n’est pas une évidence

Publié le 25/02/2013
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Crédit photo : BSIP

EST-CE TOUT À FAIT normal ? Pour le collectif Gays, Lesbiens, Bis, Trans ou les partisans de la non-attribution de sexe à l’enfant, rien d’anormal à ce qu’un enfant se déclare vouloir être du sexe opposé, seul le rejet de la société serait problématique. Pour le Dr Marie-France Le Heuzey, pédopsychiatre à l’hôpital Robert Debré (Paris), auteur d’un article sur le sujet dans les Archives de pédiatrie, la question est ailleurs. « Comment venir en aide à ces enfants qui ne sont pas à l’aise avec leur corps ? Malaise intime, rejet des autres ou les deux, ces enfants ont des raisons d’être en difficulté ». Car, ce que le DSMIV nomme sous le terme trouble de l’identité sexuelle, ou dysphorie de genre dans le futur DSMV, existe en pédiatrie, parfois dès la petite enfance. « Certes le phénomène est rare, sans doute très caché. En interrogeant mes confrères pédopsychiatres en France, chacun rapporte n’en avoir rencontré qu’un ou deux dans toute sa carrière ».

La «mauvaise» enveloppe corporelle

La pédopsychiatre parisienne rapporte ainsi le cas d’un petit garçon qui dès l’âge de 5 ans « veut mettre du vernis à ongles, joue avec le maquillage de sa mère, s’identifie à la princesse plutôt qu’au prince dans les dessins animés, dit "je serai une maman plus tard" ». Pourtant, devant elle, ce petit garçon ressemble à... un petit garçon. Pas de doute phénotypique. « Il faut bien faire la différence avec les ambiguïtés sexuelles, précise-t-elle. C’est un tout autre cadre, puisqu’il s’agit d’une ambiguïté organique, parfois très, très complexe, découverte à la naissance ». Le choix du sexe dépend alors du tableau clinique et dans les cas difficiles, il peut être demandé aux parents de trancher. « Là, il s’agit bien de l’expression par l’enfant d’un désir d’appartenance au sexe opposé. Vouloir être une petite fille pour un petit garçon, un petit garçon pour une petite fille ».

Ne pas surexposer l’enfant.

Pour expliquer le trouble de l’identité sexuelle, plusieurs hypothèses physio-pathologiques (imprégnation hormonale pendant la grossesse, causes psychologiques ou psychanalytiques) sont avancées, sans certitude aucune. Dans le cas de ce petit garçon, il n’existait pas de figure parentale déficiente pour l’identification sexuelle, puisque la maman était féminine « d’ailleurs très jolie » et le papa ingénieur au tempérament plutôt carré. « De mon expérience, il semble plus difficile pour les hommes d’accepter le phénomène pour leur petit garçon que pour les mamans ». Socialement, il est aussi moins accepté pour un petit garçon d’être efféminé que pour une petite fille d’être « garçon manqué », d’avoir les cheveux courts et de porter des pantalons. « Je suis réservée sur le parti pris de certains parents d’habiller leur garçon en fille en dehors de la maison. C’est surexposer les enfants aux moqueries ».

L’ado en quête d’identité.

Le trouble d’identité sexuelle peut apparaître dès l’enfance, ou plus tard à l’adolescence. « L’évaluation est délicate, prévient la pédopsychiatre. Dans l’enfance, il s’agit de bien autre chose que simplement jouer aux jeux de l’autre sexe, ce qui est assez banal et non signifiant en soi. Quant à la puberté, quasiment tous les adolescents se posent des questions sur leur identité sexuelle, leur sexualité et leur identité au sens large. C’est la persistance des symptômes qui pose le diagnostic ». Dans les cas patents de troubles de l’identité sexuelle, l’adolescence est particulièrement difficile à vivre. L’adolescent(e) exprime son dégoût pour les modifications corporelles liées à la puberté et la conviction de ne pas avoir « la bonne enveloppe corporelle »: souhait de supprimer le pénis, les testicules ou les seins, au moins les dissimuler, changer de prénom, évitement des situations de déshabillage (piscine, sport), etc.

Accompagner, ne pas influencer.

Le rôle du médecin est « de venir en aide » à ces enfants, mal dans leur peau, moqués, raillés parfois brimés au sein même de leur famille. « L’évaluation est délicate et ne peut être conduite que par des professionnels entraînés, explique-t-elle. Le fait même de poser un diagnostic est controversé. En attendant, ce que je peux conseiller aux médecins généralistes, c’est d’accompagner ces enfants, pas de les influencer. Ne pas leur dire "c’est un caprice, ça va passer", ni "tu es un(e) très beau (lle) jeune garçon (fille), que dis-tu là ?" ». En cas de doute sur un hermaphrodisme, une consultation avec un centre référent pour les ambiguïtés sexuelles peut être utile. Sinon le bon réflexe est de les adresser à un psychologue et/ou un pédopsychiatre. Ces enfants présentent davantage de troubles anxieux, de troubles de l’humeur, de comportements perturbateurs.

Le cap des 10-13 ans.

Que sait-on de l’évolution à l’âge adulte ? « On a longtemps affirmé que seule une minorité évoluait vers un état transgenre, et que beaucoup évoluaient vers l’homo ou la bisexualité. Mais en réalité, on sait très peu de choses car il y a très peu de données. Dans une étude portant sur 77 enfants âgés de 5 à 12 ans, Cohen-Kettenis retrouve une persistance dix ans plus tard dans 27 % des cas ». Beaucoup de transsexuels rapportent ainsi que leur dysphorie de genre a longtemps été gardée secrète.

La période 10/13 ans semble importante, soit dans le sens d’une persistance soit d’une diminution. Quant aux traitements freinateurs de la puberté, « ils sont prescrits aux États-Unis et aux Pays-Bas dans certains cas. Quand la puberté de passe très mal, cela peut donner le temps de la réflexion à l’enfant. Il décide ensuite soit de retourner à son sexe de naissance, soit de s’engager vers une thérapeutique hormonale « cross sex » avec gonadectomie. En France, les endocrinologues restent pour l’instant très fermés à l’utilisation des agonistes GnRH chez ces enfants ».

Archives de pédiatrie, 2013.

 Dr IRÈNE DROGOU

Source : Le Quotidien du Médecin: 9221