LE QUOTIDIEN : Quels constats ont motivé la création de « La Suite » ?
Dr NIZAR MAHLAOUI : Un nombre croissant de jeunes patients atteints de maladies rares survivent au-delà de l’adolescence. La période de transition de la pédiatrie vers la médecine adulte, charnière pour la continuité de la prise en charge, est pourtant souvent marquée par la rupture qu’est le transfert vers la médecine adulte.
Une transition loupée peut impacter les soins avec notamment des problèmes d’observance, qui démarrent à l’adolescence et s’inscrivent dans la durée. Des patients peuvent ne plus se présenter aux consultations, ne pas renouveler leurs ordonnances, entrer dans un nomadisme médical. En France, deux millions d'adolescents sont affectés par une maladie rare ou chronique (obésité, asthme, etc.) et 60 % ont des problèmes d’observance. C’est un enjeu de santé publique.
L’origine des difficultés peut être familiale ou scolaire, mais cela influe sur l’aspect médical, avec des conséquences sur la survie et l’espérance de vie, et aussi sur la qualité de vie, avec de potentielles séquelles fonctionnelles ou des défaillances d’organes et un impact psychologique. Il y a aussi un coût pour le système de soins, car ces patients peuvent finir aux urgences. C’est pourtant évitable.
Comment est née « La Suite » ?
La réflexion a démarré lors d’un colloque en juin 2014 sur le sujet de la transition. L’idée de mettre en place un programme pour répondre à ce défi a vite mûri. Dans une démarche de coconstruction, un espace dédié de 180 m2 a ouvert en 2016 dans une ancienne bibliothèque au cœur de l’hôpital. Le dispositif s'étend aussi hors les murs avec un site et une appli.
L’enjeu est d’accompagner les patients de 13 à 25 ans, suivis à Necker, vers une progressive autonomisation dans leur parcours de soins, alors qu’il y a un changement de culture entre la pédiatrie et la médecine adulte. C’est une innovation avec un angle différent du soin qui a vite essaimé. En cinq ans, 10 structures similaires ont ouvert et une dizaine est en gestation.
Que comprend le programme ?
Il porte sur un certain nombre de dimensions communes aux 4 000 patients suivis à Necker, avec des interventions pour l’activité physique adaptée, d’autres sur la relaxation thérapeutique, sur l’image de soi, qui est fondamentale à l’adolescence, et sur la gestion du corps altéré, les médicaments pouvant modifier l’apparence. Les jeunes filles se voient également proposer une première consultation de gynécologie. C’est une étape qui peut être compliquée quand on est porteur d’une maladie rare et qu’on doit dérouler ses antécédents.
Des échanges sont organisés avec un psychologue du travail pour leur permettre d’envisager leur futur professionnel, de s’orienter scolairement, leur faire aussi prendre conscience qu’ils ne pourront pas exercer certains métiers ou au contraire lever les freins qu’ils se mettent eux-mêmes.
Des ateliers collectifs en petit groupe ont aussi lieu sur des thématiques spécifiques définies par les jeunes eux-mêmes. Cela va de la carte Vitale, ce qui montre leur volonté d’autonomie, à la sexualité. Des rencontres avec des personnalités ou d’anciens patients permettent aussi un partage d’expériences. Un comité de sept ou huit jeunes a également été créé pour développer des projets supplémentaires.
Qu’en est-il du transfert à proprement parler ?
Une dimension importante porte sur l’acculturation des soignants et notamment des médecins, qui doivent prendre en compte les spécificités du parcours de ces patients. Le simple passage du tutoiement au vouvoiement peut être déstabilisant pour le jeune patient. Aussi, il y a toujours un filet de sécurité en pédiatrie : on rappelle les parents si l’enfant ou l’adolescent ne s’est pas présenté. En médecine adulte, il n’y a pas de rappel et le patient peut être perdu de vue.
En pédiatrie, nos consultations durent 30 minutes et impliquent les parents. Les jeunes patients ne sont pas habitués au rythme des consultations « adulte », à ce qu’on leur pose directement des questions sur certains aspects.
Pour le transfert, on a mis en place une consultation de transfert de 45 minutes avec le patient, l’ancien et le nouveau praticien. C’est un moment important pendant lequel les collègues « adulte » doivent rassurer le patient sur leur capacité d’écoute. C’est une angoisse des jeunes qui quittent un médecin qui les a suivis depuis l’enfance, qui connaît leur pathologie, leur parcours et qui s’intéresse à leur vie de l’hôpital.
Les parents sont-ils associés au dispositif ?
Oui, car c’est difficile pour eux aussi. Ils s’occupent de tout pendant de longues années et ils doivent lâcher prise progressivement. Ce n’est pas évident d’accompagner l’autonomie de son enfant. C’est angoissant. Ils doivent aussi être préparés. On leur propose des ateliers collectifs, des groupes de parole.
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