Cas clinique

Le syndrome des flushs gustatifs unilatéraux : l'abstention est de mise

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Publié le 25/01/2019
Roman 1

Roman 1
Crédit photo : DR

Le syndrome des flushs gustatifs de l’enfant, le plus souvent unilatéral, est très voisin du syndrome auriculotemporal ou syndrome de Frey (1). Il se caractérise par une éruption et parfois une hypersudation dites gustatives, survenant dès les premières bouchées, pour disparaître rapidement après le repas. Très largement sous-estimé car méconnu, le syndrome de Frey est souvent confondu avec une allergie alimentaire (AA), ce qui motive des explorations allergologiques aussi nombreuses qu’inutiles. Le diagnostic est uniquement basé sur une analyse des signes et symptômes, comme nous allons le voir.

Roman, né le 22 mai 2005, est le premier enfant d’une mère atopique, atteinte en particulier d’une allergie au chat. Il est né au terme d’une grossesse normale, mais, l’accouchement étant un peu difficile, l’obstétricien a utilisé une ventouse, puis des forceps. Il n’existait aucun signe de souffrance néonatale, et le score d’Apgar était de 10. Le poids (3 350 g), la taille (50 cm), le périmètre crânien (36 cm) étaient strictement normaux. En raison des antécédents allergiques maternels, le pédiatre a préconisé un lait hypoallergénique. Les céréales ont été introduites à l’âge de 4 mois, puis, progressivement, un lait de deuxième âge classique.

Premiers symptômes à 7 mois

Alors que la prise des biberons s’effectuait normalement jusque-là, la mère remarque les premiers symptômes à l’âge de 7 mois. Il s’agit de rougeurs du visage, qui motivent la reprise d’un lait hypoallergénique. La diversification alimentaire commencera à l’âge de sept mois et demi.

Au moment de la visite du neuvième mois, la mère décrit l’apparition d’un érythème, toujours du côté gauche, en bande, s’étendant de la bouche à l’oreille, faisant suite à l’ingestion de certains aliments (voir illustration). L’érythème apparaît dès les toutes premières bouchées, puis disparaît en une quinzaine de minutes. Il est chaud, mais ne s’accompagne pas de sueurs locales, de prurit, de symptômes régionaux (rhinite ou conjonctivite), d’asthme ou de symptômes systémiques. Le médecin traitant pense alors à une AA, mais aucun aliment n’est incriminable, car les flushs surviennent quelle que soit la composition du repas. De plus, cet érythème n’apparaît pas systématiquement après chaque repas.

À l’examen, Roman est en excellent état général, affichant un poids de 9,6 kg pour une taille de 71 cm. L’auscultation cardiaque et pulmonaire est normale, ainsi que l’examen ORL. Il n’existe aucun signe d’eczéma atopique. Des investigations allergologiques sont cependant demandées : les prick-tests aux aliments usuels sont tous négatifs, avec des témoins codéine (5 mm) et histamine (6 mm) positifs, ce qui prouve l’existence de mastocytes cutanés et la validité de l’interprétation des prick-tests.

L’enfant est revu à l’âge de 12 mois. Il présente encore des épisodes de flush après certains repas, toujours du côté gauche. L’examen clinique est normal, ainsi que le développement staturo-pondéral : 10,7 kg et 77 cm. La photographie effectuée à la naissance nous est confiée : elle montre les stigmates semi-circulaires de l’application de forceps et de ventouses entre l’orbite et le pavillon de l’oreille gauche.

À l’âge de 16 mois, Roman présente toujours des symptômes faciaux, mais ils sont moins fréquents et moins intenses. L’érythème est aussi moins étendu et moins rouge qu’auparavant. La mère indique qu’il apparaît souvent à la consommation de morceaux de pain ou de certains biscuits, nécessitant une mastication, mais non exclusivement. L’enfant n’éprouve pas de douleur, de prurit ou de gêne locale. Les symptômes s’atténueront encore avec le temps.

Les antécédents d’application de forceps, le flush unilatéral dans le territoire du nerf facial survenant rapidement au moment des repas ou immédiatement à leur suite, la régression rapide des symptômes et l’absence de symptômes associés permettent de porter le diagnostic de flush gustatif unilatéral.

Les cousins : Frey et Bogorad

Le syndrome des flushs gustatifs unilatéraux est souvent confondu avec le syndrome de Frey, les deux étant très proches (1), également voisins du syndrome de Bogorad (2, 3) ou « syndrome des larmes de crocodile », caractérisé par une lacrymation excessive au moment des repas ou à l’ingestion de boissons. Tous sont dus à une atteinte du nerf facial dont les causes sont variées, en particulier traumatiques ou infectieuses.

La description du syndrome auriculotemporal est généralement attribuée à Lucie Frey, née en 1889 à Lwow (Pologne) et morte en 1943 dans le ghetto de cette ville sous l’occupation nazie. Elle fut certainement la première qui décrivit de façon complète le « syndrome des sueurs gustatives » chez un soldat polonais dont la blessure par un boulet avait entraîné une infection parotidienne (3).

Moins connu des pédiatres que des ORL ou des stomatologues (4, 5), le syndrome de Frey survient, dans 5,3 à 53 % des cas, après une chirurgie parotidienne (6), ou après d’autres atteintes des glandes parotidiennes ou sous-maxillaires, chirurgicales ou traumatiques (fractures de la mâchoire ou de l’articulation temporo-maxillaire), inflammatoires et infectieuses (adénites, parotidites). Le temps de latence entre la parotidectomie et l’apparition des symptômes est en général de plusieurs mois, lié au temps nécessaire à la régénération nerveuse, mais il peut être beaucoup plus long, de 8 à 14 ans (7, 8). Les symptômes sont alors souvent mineurs ou négligés par les patients.

Le syndrome de Frey et ses formes apparentées sont différents chez les adultes et chez les enfants. Le syndrome des flushs gustatifs débute parfois dans l’enfance ou même la petite enfance, à l’âge de quelques mois comme ici. Une revue de la littérature nous a permis de recenser plus d’une trentaine de cas de 1970 à 2006 (9), le plus souvent isolés, mais il existe aussi des séries de 3 à 8 cas.

Récemment, après avoir soutenu une thèse de médecine sur ce thème, Sibylle Blanc a publié une étude française, rétrospective, multicentrique, qui a permis d’identifier 48 cas de syndrome de Frey, 35 unilatéraux et 13 bilatéraux (10). Une délivrance vaginale artificielle (application de ventouse ou de forceps) est significativement associée aux formes unilatérales (p < 0,001). L’évolution est le plus souvent favorable avec régression (57 % des cas) ou disparition des symptômes (20 %), ceux-ci ne persistant que dans 23 % des cas.

Les symptômes débutent en général au cours des premiers mois de la vie, entre 3 et 6 mois, au moment de l’introduction des aliments solides, comme chez notre petit patient. En effet, ce sont davantage les efforts masticatoires que les stimuli digestifs qui provoquent les symptômes. Le flush débute dès les premières bouchées, puis disparaît peu après la fin du repas. Les douleurs sont exceptionnelles. La chaleur locale est souvent augmentée. La présence de sueurs locales est en faveur d’un syndrome de Frey stricto sensu ; leur absence est typique du « flush gustatif unilatéral », comme chez Roman. Dans les observations où l’évolution est connue, les symptômes persistent pendant de 1 à 2 ans, puis ont tendance à diminuer, voire à presque disparaître (9).

Ne pas confondre avec une allergie alimentaire

Dans l’immense majorité des cas, la survenue de symptômes au moment des repas ou l’absorption de boissons fait penser à une AA, affection fréquente chez l’enfant. En dehors de l’ingestion d’aliments solides sans autre précision, les auteurs signalent que les symptômes font suite à la consommation d’aliments particuliers : tomates et fraises ; bonbons, tomates et épices ; chewing-gums, arômes acides (citron et fraise) et noix ; fruits (orange, banane, citrons), bonbons et pain ; pomme, orange et melon ; jus d’orange, tomates, oignons, bonbons (9). Incriminés à tort en tant qu’allergènes potentiels, ces aliments provoquent en fait des stimuli par leur goût acide ou l’effort masticatoire qu’ils nécessitent.

Le diagnostic peut être délicat dans les formes bilatérales (11). Toutefois, le contraste entre la rapidité d’apparition et l’absence de gravité des symptômes va à l’encontre une AA. En effet, l’installation rapide des symptômes d’AA est associée à des symptômes sévères, de progression rapide, ce qui n’est pas le cas dans le syndrome de Frey.

En fait, dans la grande majorité des cas, le diagnostic est basé sur l’interrogatoire et l’examen clinique. L’exploration allergologique est inutile, sauf dans les formes bilatérales (11). La thermographie peut constituer une aide au diagnostic dans le syndrome de Frey postparotidectomie (12), mais elle nous semble inutile en cas des flushs gustatifs unilatéraux de l’enfant. Quelques auteurs proposent de réaliser un test de provocation basé sur la mastication d’un aliment quelconque ou d’un chewing-gum, ou sur la prise d’un bonbon acidulé.

Une régénération aberrante du nerf facial

Le syndrome des flushs gustatifs unilatéraux de l’enfant a longtemps été considéré comme idiopathique, exception faite des rares cas consécutifs à une chirurgie parotidienne ou maxillo-faciale, à une fracture de la mâchoire, à un zona, mais l’analyse de la littérature montre une forte proportion d’accouchements difficiles nécessitant en particulier une application de forceps comme pour Roman. Dans la série de 8 cas rapportés dans l’étude dirigée par le Dr Maria Dizon de Chicago (11), 6 des 8 enfants (75 %) avaient subi une application de forceps, et les auteurs estimaient que c’était le cas pour au moins 14 enfants sur les 28 qu’ils avaient recensé dans la littérature. Pour notre part, nous avions enregistré une application de forceps dans 19 des 33 cas (58 %) que nous avions colligés et où cet antécédent avait été recherché, y compris celui de Roman. Ce facteur ce risque a été confirmé par la suite par l’étude de Sibylle Blanc (10).

La physiopathologie fait intervenir une régénération aberrante des fibres du nerf auriculotemporal lésé dans diverses circonstances, traumatiques ou infectieuses, donnant lieu à la formation préférentielle de fibres sympathiques, expliquant une stimulation des glandes sudoripares et des vaisseaux sous-cutanés à la suite de l’ingestion d’aliments ou de boissons (13, 14). Cette régénération aberrante est à l’origine de l’ensemble des symptômes : érythème (flushs gustatifs unilatéraux), sudation (syndrome de Frey), larmes (syndrome de Bogorad).

La bénignité du syndrome des flushs gustatifs unilatéraux de l’enfant impose l’abstention thérapeutique (9, 10). Toutefois il existe, chez l’adulte, quelques publications en faveur d’un effet positif de l’injection de toxine botulinique dans les cas invalidants de syndrome de Frey ou de Bogorad (15, 16).

 

Allergologue, pneumologue, pédiatre

L’auteur n’a pas de conflit d’intérêts. Il remercie les parents qui nous ont confié les photographies de Roman et nous ont autorisés à les reproduire

(1) Frey L. Le syndrome du nerf auriculotemporal . Rev Neurol. 1923;2:97-104

(2) Bogorad FA. The symptom of crocodile tears. J Hist Med Allied Sci. 1979;34(1):74-9

(3) Jacobsen N, Hopkins C. The bullet that hit a nerve: the history of Lucja Frey and her syndrome. J Laryngol Otol. 2006;120(3):178-80

(4) Hennon DK. Facial flushing in children: a variant of the auriculotemporal syndrome. J Indiana Dent Assoc. 1991;70(1):25-7

(5) Novotny GM. Gustatory sweatin and related syndromes. J Otolaryngol. 1976;5(3):251-5

(6) Dulguerov P et al. Prevention of Frey syndrome during parotidectomy. Arch Otolaryngol Head Neck Surg. 1999;125:833-9

(7) Malatskey S et al. Frey syndrome – delayed clinical onset: a case report. Oral Surg Oral Med Oral Pathol Oral Radiol Endod. 2002;94(3):338-40

(8) Wenzel GI, Draf W. Unusually long latency before the appearance of Frey’s syndrome after parotidectomy. HNO. 2004;52(6):554-6

(9) Dutau G, Goldberg M. Le syndrome de Lucie Frey et ses variantes (syndrome des flushs gustatifs unilatéraux). Revue à propos d’une observation pédiatrique. Rev Fr Allergol. 2006;46(8):721-5

(10) Blanc S et al. Frey syndrome. J Pediatr. 2016;174:211-7

(11) Dizon MV et al. Localized facial flushing in infancy. Auriculotemporal nerve (Frey) syndrome. Arch Dermatol. 1997;133(9):1143-5

(12) Isogai N, Kamiishi H. Application of medical thermography to the diagnosis of Frey’s syndrome. Head Neck. 1997;19(2):143-7

(13) Bednarek J et al. Frey’s syndrome. Am J Surg. 1976;2:97-104

(14) Freedberg AS et al. The auriculotemporal syndrome a clinical and pharmacologic study. J Clin Invest. 1948;27(5):669-76

(15) Tugnoli V et al. Quatrale R. The role of gustatory flushin Frey’s syndrome and its treatment with botulinum toxin type A. Clin Auton Res. 2002;12(3):174-8

(16) Eckardt A, Kuettner C. Treatment of gustatory sweating (Frey’s syndrome) with botulinum toxin A. Head Neck. 2003;25(8):624-8

 

Pr Guy Dutau

Source : lequotidiendumedecin.fr