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Dossier

Congrès de l'ERS 2016

Pollution, climat : le poumon paie l’addition

Par Muriel Gevrey - Publié le 23/09/2016
Pollution, climat : le poumon paie l’addition

poumons
DAVID MACK/SPL/PHANIE

Signe des temps, lors du récent Congrès européen de pneumologie plusieurs sessions se sont intéressées au climat et à la pollution avec des preuves à charge qui s’accumulent : non seulement la pollution peut avoir des effets respiratoires néfastes à très long terme mais son impact est renforcé par les changements climatiques en cours.

En matière de pollution, l’effet des pics est souvent pointé du doigt. Mais il est maintenant établi une rémanence des conséquences pulmonaires de la pollution chronique jusqu’à 30 ans après l’exposition.

Pas de prescription pour le charbon
Une grande étude anglaise présentées lors du congrès de l’European Respiratory Society (Londres, 3-7 septembre 2016) a montré un sur-risque de décès persistant 30 ans après une exposition au charbon durant l’enfance. L’impact de la pollution domestique au charbon et au dioxyde de soufre double le risque de décès de causes respiratoires chez les personnes ayant vécu leur enfance dans les zones les plus polluées. Après ajustement sur des facteurs socio-économiques, la mortalité des régions à forte utilisation de charbon comme Manchester, Middlesbrough et Nottingham (0,7 tonne par acre, soit 4 000 mètres carrés) est deux fois supérieure aux régions à faible consommation de charbon telles que Bath, Canterbury ou Exeter (0,2 tonne par acre).

Ces observations se confirment dans un autre travail longitudinal de l’Imperial College de Londres retrouvant un impact à long terme des particules fines PM10 et du dioxyde de soufre sur la mortalité respiratoire en prenant en compte le changement des composants aériens au fil du temps. L’étude a analysé les données de 368 000 Anglais et Gallois suivis pendant 38 ans. L’exposition aux polluants en 1971 est associée à une augmentation de 5 % du risque de mortalité respiratoire durant la période 2002-2009 pour une augmentation de 10 µg/m3, la BPCO accuse une hausse de 8 % pour la même quantité de pollution. Certes, la pollution a changé qualitativement en réduisant les fumées et l’émission de dioxyde de soufre grâce à l’évolution des moyens de chauffage. Mais, simultanément, le dioxyde d’azote et les particules fines ont augmenté. Les spécialistes s’accordent sur le fait que les risques sont plus importants pour les pollutions les plus récentes car l’évolution de la composition chimique est plus nocive et il existe des effets cumulatifs

Pour les patients allergiques, la pollution accroît  aussi l’allergénicité des pollens. Ils sont plus fragmentés et entrent donc plus profondément dans l’arbre respiratoire en déjouant l’effet de barrage de la muqueuse nasale. Les symptômes allergiques sont plus marqués car les particules de pollen se fixent plus profondément dans le poumon et, souvent, les patients souffrant d’allergies saisonnières constatent que la période allergique est plus longue.

Des effets subcliniques
Mais il n’y a pas besoin de souffrir de maladie respiratoire pour subir à bas bruit les effets délétères de la pollution, de l’inhalation de particules fines et de gaz comme le dioxyde de soufre ou de l’ozone.

 

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Pour s’en convaincre, une étude permet de quantifier les changements des paramètres pulmonaires selon la sévérité de la pollution aérienne dans une population indemne de toute pathologie pulmonaire. Une cohorte de près de 2 500 travailleurs a été évaluée régulièrement avec une mise en perspective des mesures avec le degré de pollution. La moyenne de concentration de PM10 était de 25 µg/m³.

Une augmentation des particules fines de 10 µg/m³ est associée à une baisse de la capacité vitale et du volume expiratoire maximal par seconde. Les particules de carbone n’arrangent rien puisqu’une augmentation d’un microgramme par mètre cube réduit la capacité vitale de 23,7 mL mais sans affecter le VEMS. Le débit expiratoire de pointe n’était pas significativement affecté par les gaz polluants.

Les analyses de sensibilité ont révélé une plus grande influence de la pollution chez les femmes et un moindre impact d’un air pollué chez les fumeurs. « Cette étude ajoute une preuve supplémentaire sur l’association entre la pollution ambiante et des effets pulmonaires subcliniques. Améliorer la qualité de l’air bénéficiera autant à la population saine qu’aux malades respiratoires », ont indiqué les auteurs.

Car il n’y a plus de « petite » pollution : «  On croyait que la pollution faible n’avait pas d’effet sur la santé mais l’OMS vient d’abaisser le seuil de PM 2,5 à 10 microgrammes », explique le Dr Isabella Annesi-Maesano (INSERM, Paris).

Climat : ça chauffe pour le poumon

Autre mauvaise nouvelle: les changements climatiques combinés à la pollution forment un cocktail explosif pour les maladies respiratoires. « Il y a des effets directs sur la santé et des effets indirects sur les facteurs de risque de pathologie respiratoire », explique le Dr Annesi-Maesano.

Le bouleversement climatique provoque, en marge du réchauffement global de la Terre, des phénomènes extrêmes et de brusques variations de températures. L’effet direct de ces variations se traduit par une augmentation de la mortalité cardiorespiratoire, des exacerbations de BPCO et, plus généralement, par une décompensation de situations latentes. L’humidité joue un rôle dans l’aggravation de l’asthme. Plus originale, une publication de 2007 d’Alifano dans la revue Chest montre que les orages sont associés à des « poussées » d’admissions à l’hôpital de pneumothorax en raison de la variation brutale de pression atmosphérique.

Parmi les effets indirects, la chaleur favorise la croissance des moisissures et les vecteurs de maladies infectieuses comme les virus ou les parasites. « Le risque infectieux est énorme, précise le Dr Annesi-Maesano. Les rhinovirus, le virus de la grippe ou la bronchiolite sont influencés par le climat. » Des hivers très doux s’accompagnent d’une diminution des épidémies de grippe mais, l’année suivante, on constate un rebond car il n’y a pas eu de stimulation immunitaire l’année précédente. Les brusques variations de température ont un effet sur les pneumopathies, les bronchites et les BPCO. Par exemple, les maladies respiratoires ont fortement augmenté en Chine en dépit d’une amélioration du système de soins. La tuberculose est également météo-dépendante. « Le bacille de Koch est très influencé par l’humidité, la température et le manque d’exposition au soleil, comme en Russie », poursuit la spécialiste.

 

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Le Dr Annesi- Maesano souligne aussi le danger des moisissures qui se sont développées au cours des inondations à la Nouvelle-Orléans. Elles exposent la population à l’asthme, aux rhinites et à des infections fongiques chez les immunodéprimés.

L’humidité, principal facteur de risque d’asthme

L’humidité et les moisissures ne sont pas plus enviables pour la santé du poumon en devenir. Avec, comme pour la pollution, un effet à long terme. Deux très vastes études montrent que l’exposition précoce à l’humidité et aux moisissures augmente le risque d’asthme à l’adolescence. Un premier travail sur 15 000 Européens relève que l’exposition à l’humidité ou aux moisissures dans la première année de vie augmente le risque d’asthme de 14 % à l’adolescence. La persistance de l’exposition domestique au-delà de la première année renforce encore la prédisposition à l’asthme puisque le risque d’asthme augmente, dans ce cas,  de 24 %.  « Parmi les nombreux facteurs d’asthme, le risque de vivre dans un logement humide est une des données les plus solides, au même titre que le tabagisme passif », a indiqué l’auteur de l’étude, le Dr Joachim Heinrich.

La deuxième étude qui s’est focalisée sur 50 000 Norvégiens retrouve des données assez similaires avec un risque accru de 50 % d’asthme et d’affections respiratoires à l’âge adulte. Il faut souligner que 10 % des participants rapportaient aussi une exposition professionnelle dans le domaine de la charpente ou de la plomberie. Les premiers résultats préliminaires montrent que l’exposition professionnelle est encore plus préjudiciable qu’une simple imprégnation domestique. « Ces études montrent à quel point il est important de sensibiliser la population à l’association entre l’humidité associée ou non aux moisissures et l’asthme et les symptômes respiratoires » , a commenté  le Dr Régine Abrahamsen, Telemark Hospital, Slien, Norvège.

Enfin, le bouleversement climatique change aussi la donne sur la distribution Nord-Sud des plantes. On constate désormais que des plantes qui aiment la chaleur poussent plus au Nord. L’implantation massive d’essences décoratives comme les cyprès en Méditerranée augmente les allergies souvent très symptomatiques. Grâce à la biologie moléculaire, on constate que la production d’allergènes n’est pas constante et que la puissance allergénique dépend du climat.
 

Dossier réalisé par Muriel Gevrey