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Dossier

Cancer du poumon

Pourquoi la HAS dit non au dépistage chez les fumeurs

Par Muriel Gevrey - Publié le 27/05/2016
Pourquoi la HAS dit non au dépistage chez les fumeurs

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ZEPHYR/SPL/PHANIE

Au terme d’une analyse des essais randomisés, la HAS s’est prononcée contre un dépistage systématique du cancer du poumon chez le fumeur, faute de données suffisamment solides. Cet avis intervient alors que les cigarettiers se mettent au paquet neutre et que les « anti-tabac » se préparent à la Journée mondiale sans tabac du 31 mai.

Le dépistage du cancer du poumon n’est pas à l’ordre du jour. La Haute Autorité de Santé (HAS) est formelle : « Les conditions ne sont actuellement pas réunies pour que ce dépistage soit possible et utile » et insiste sur la nécessité de poursuivre la recherche sur ce cancer et d'intensifier la lutte contre le tabagisme. Pourtant, le cancer du poumon semblait une bonne cible pour le dépistage. Responsable de 30 000 décès chaque année, il est lié dans 90 % des cas au tabagisme et est grevé d’un mauvais pronostic. Quand il est diagnostiqué, il l’est généralement à un stade avancé et il évolue rapidement (15 % de survie à 5 ans).

Plusieurs travaux ont exploré l’intérêt du dépistage  et ont posé les jalons d’une décision argumentée. Ainsi, la HAS a statué sur le dépistage du cancer du poumon par scanner thoracique à faible dose dans le cadre plus général du 3e Plan cancer 2014-2019. Elle émet ses réserves sur plusieurs points.

D’abord, la maladie est difficilement détectable à un stade précoce à cause de sa rapidité d'évolution : « Il n'est pas clairement établi qu'il existe une période suffisamment longue entre le moment où une anomalie est décelable à l'imagerie et l’évolution clinique et symptomatique de la tumeur », variable de 3 à 5 ans selon les experts de la HAS. D’où la difficulté à définir la rythmicité du suivi et la conduite à tenir. Il est aussi avancé que les possibilités thérapeutiques sont restreintes, même à un stade précoce de la maladie, puisque les traitements actuels reposent essentiellement sur la chirurgie, un acte lourd et parfois non réalisable, indiquée en fonction de l’état général du patient et des caractéristiques de la tumeur.

Mais le point crucial autour duquel s’articule l’argumentaire de la HAS est l'examen de dépistage lui-même. Il lui est reproché de ne pas être assez performant : le scanner thoracique à faible dose révèle un taux élevé de faux positifs (variable selon les études mais en moyenne de 30 %) puisque de nombreuses anomalies trouvées par cette technique d’imagerie se révèlent être non cancéreuses à la lecture anatomo-pathologique. Et le scanner reste irradiant même à faible dose, surtout s’il est répété régulièrement.

Malgré sa forte sensibilité, le manque de spécificité de l’examen vis-à-vis de la nature des tumeurs détectées exposerait à des biopsies inutiles, générant une inquiétude exagérée chez les patients et un surcoût majeur pour le système de santé. Ce d’autant que la population-cible est mal cernée. En effet, les personnes qui pourraient bénéficier d'un dépistage ne sont pas précisément identifiables car il n'existe pas de repères précis (nombre de cigarettes fumées, ancienneté du tabagisme) permettant d'identifier avec exactitude les fumeurs les plus à risque de développer un cancer du poumon.

Pomme de discorde
Véritable pomme de discorde, le bénéfice du dépistage reste donc à démontrer. Pour ce faire, la HAS a décortiqué 11 essais dont le plus favorable au dépistage, l’essai NLST (National Lung Screening Trial). Cet essai américain a montré une diminution de 18 % du risque de décès par cancer du poumon chez des fumeurs de 55 à 74 ans. Un argument qui a pesé suffisamment lourd pour que l’Amérique du Nord passe au dépistrage. Pour autant, il n’a pas trouvé grâce aux yeux de la HAS. « L’essai américain NLST a semblé prometteur mais il se révèle très insuffisant du point de vue de la documentation de tous les éléments du rapport avantages/inconvénients ». Parmi les griefs, une population plus jeune, plus éduquée, moins fumeuse que celle attendue, un suivi limité (médiane de 6,5 ans), des complications iatrogéniques parfois graves et un taux élevé de faux positifs.

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La HAS ne manifeste pas plus de mansuétude vis-à-vis des résultats des essais européens. On peut lire dans le rapport : « Parmi les six essais randomisés menés en Europe (NELSON, DLCST, ITALUNG, DANTE, MILD, LUSI), un bénéfice du dépistage en termes de réduction de la mortalité n’a été rapporté dans aucune des quatre études avec des résultats publiés (DLCST, DANTE, MILD, LUSI) ». Là aussi, la méthodologie de la très attendue étude NELSON est fortement critiquée : il est reproché un manque de clarté dans la description de l’étude sur les modalités de suivi, de prise en charge et la définition des critères de jugement. Les experts déplorent de grandes ambiguïtés sur les effectifs, différents selon les publications.  

Les experts de la HAS se montrent donc pessimistes pour l’avenir des études non encore publiées : « Les essais européens en cours ne pourront pas répondre à la question de l’efficacité du dépistage, avec une puissance statistique suffisante individuellement ». Et doutent «  de la légitimité de leur regroupement annoncé ».

Au final,  la réduction de la mortalité grâce à ce dépistage n'est pas établie dans le contexte français ; et même si elle l’était, l’acceptabilité et la faisabilité du dépistage pourraient être médiocres, notamment en France, ce qui expliquerait pourquoi l’étude Dépiscan, menée entre octobre 2002 et décembre 2004 dont l’objectif était d’évaluer la pertinence d’un dépistage par TDM 3D chez des patients sélectionnés en médecine générale, n’a, au final, jamais abouti à un essai complet.

Il est probable que l’attitude de la HAS déçoive les tenants du dépistage organisé en lieu et place d’un dépistage individuel « sauvage » chez les fumeurs. Mais que faire d’un diagnostic scanographique d’une tumeur dont on ne sait que penser ? Il a été question de seuil de taille des nodules, de volume ou de temps de doublement qui pourraient limiter le taux de faux positifs mais la HAS n’a pas pu conclure puisque toutes ces études en sous-groupes ont brouillé les pistes et aucune une stratégie claire n’émerge.

« Outre le fait que l'efficience de ce type de dépistage n'est pas encore définitivement prouvée, il resterait à s’assurer que les radiologues sont partie prenante de l'opération dans la mesure où un tel dépistage nécessiterait une organisation spécifique avec une plate-forme dédiée », ajoute le Pr Bruno Housset (Créteil), président de la Fédération française de pneumologie. « Il nous manque clairement des informations avant de lancer un dépistage systématique. » L’autre piste prometteuse serait d’identifier des marqueurs sanguins fiables permettant un dépistage de masse. « Deux essais débutent en France avec pour objectif de trouver des biomarqueurs au moins aussi performants que le scanner : l’un multicentrique piloté par l’équipe niçoise du Pr Charles-Hugo Marquette et l’autre mené au sein de mon équipe à Créteil  dans le cadre d’un essai international », explique le Pr Housset.

La Haute Autorité de santé s’est également interrogée sur le risque psychologique d’un dépistage par scanner qui semble ne pas avoir été rigoureusement exploré. Si un sentiment de protection incitant à fumer sans risques a été écarté,  l’effet vertueux de la participation au dépistage qui a été décrit dans l’étude danoise « ne peut justifier en soit une recommandation du dépistage » pour la HAS.

Quoique tranchée, la conclusion de la HAS ne ferme pas définitivement la porte au dépistage. Elle insiste sur la nécessité de poursuivre les recherches sur les traitements, les caractéristiques de la maladie et les techniques de dépistage. Et, très naturellement, elle conseille d’intensifier la lutte contre le tabagisme avec des actions incitant les jeunes à ne pas commencer à fumer et les fumeurs à arrêter. Il y a 34 % de fumeurs en France  selon le baromètre de l’INPES. Enfin, elle engage les médecins à faire preuve d'une vigilance particulière face aux premiers signes cliniques qui pourraient être évocateurs d’un cancer du poumon.

Dr Muriel Gevrey