Pr Olivier Le Rouzic : « Nouvelle définition des exacerbations dans la BPCO : une approche plus objective »

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Publié le 12/02/2024
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Jusqu’à présent, la notion d’exacerbation reposait sur la perception partiellement subjective, chez un patient BPCO, d’une majoration des symptômes respiratoires. Elle était donc non spécifique, susceptible d’être influencée par la présence d’une comorbidité, et sa gravité n’était évaluée qu’a posteriori. La nouvelle approche se veut plus objective, ce qui permettra à terme de mieux évaluer et traiter les patients, comme l’explique le Pr Olivier Le Rouzic (CHU Lille).

Pr Olivier Le Rouzic (CHU Lille)

Pr Olivier Le Rouzic (CHU Lille)
Crédit photo : DR

Dix-sept experts d’Amérique du Nord et d’Europe occidentale se sont coordonnés et ont travaillé selon la méthode Delphi modifiée, pour aboutir à un consensus sur une nouvelle définition des exacerbations de BPCO et de leur gravité : c’est la proposition de Rome (1).

LE QUOTIDIEN : Pourquoi la définition des exacerbations de BPCO a-t-elle évolué ?

PR OLIVIER LE ROUZIC : Une exacerbation aiguë est une poussée inflammatoire de la maladie se traduisant par une majoration des symptômes respiratoires (dyspnée, toux, expectorations) qui s’aggravent en moins de 14 jours. L’association possible à une tachypnée et/ou une tachycardie a été ajoutée dans la nouvelle définition, qui a été élargie pour intégrer les causes possibles comprenant des infections virales et/ou bactériennes ou la pollution.

Mais ce qu’il faut surtout en retenir, c’est la volonté de modifier la façon d’évaluer la sévérité de ces exacerbations. Jusqu’à présent, la sévérité d’une exacerbation était définie a posteriori, en fonction de la charge thérapeutique proposée pour la traiter. Étaient ainsi classées comme légères, les exacerbations pour lesquelles il n’y avait pas eu d’introduction de traitement spécifique hormis la majoration des bronchodilatateurs. Étaient considérées comme modérées, celles pour lesquelles avaient été introduites une antibiothérapie et/ou une corticothérapie. Enfin, étaient enfin considérées comme sévères les exacerbations pour lesquelles les patients étaient hospitalisés. Or, cela posait un double problème. Déjà, il s’agit d’une définition a posteriori. D’autre part, le niveau de prise en charge n’est pas seulement dépendant de la gravité de l’épisode lui-même, mais aussi d’autres facteurs indépendants : le fait d’avoir accès à un médecin ou à l’hospitalisation et en cas d’hospitalisation, la possibilité qu’elle ait été justifiée par d’autres motifs que l’épisode respiratoire par exemple. Cette évaluation n’était donc pas satisfaisante et méritait d’être affinée.

Quels critères ont été retenus pour cette nouvelle définition ?

Les experts ont retiré la notion d’évaluation a posteriori et proposent d’évaluer l’exacerbation sur des critères plus objectifs que ceux retenus jusqu’à présent, grâce à diverses mesures.
Cinq critères quantifiables avec des seuils précis ont été proposés. Tout d’abord, la saturation en oxygène, si elle diminue en dessous de 92 % en air ambiant (ou dans les conditions habituelles du patient s’il est sous O2) ou d’au moins 3 % par rapport à la valeur de base. Il en est de même en cas de fréquence respiratoire ≥ 24/mn, de dyspnée (avec un seuil défini ≥ 5 sur une échelle visuelle analogique), de fréquence cardiaque ≥ 94 battements par minute et de CRP ≥ 10 mg/L.

En dessous de trois critères positifs, l’exacerbation est jugée légère. Avec au moins trois critères positifs, elle est dite modérée. La présence d’un sixième critère positif - une acidose respiratoire (pH 2 > 45 mmHg) retrouvée aux gaz du sang - indépendamment des cinq autres critères, fait basculer d’emblée dans l’exacerbation sévère.

Quel vont être les conséquences de ce changement de classification ?

Les médecins n’ont pas attendu d’avoir ces critères pour évaluer si un patient était hémodynamiquement stable ou pas, en détresse respiratoire ou non, etc. Ce travail va cependant permettre d’évaluer quantitativement la gravité de l’épisode, en incluant une évaluation systématique de la dyspnée (sa fréquence et son intensité), ce qui n’était pas le cas auparavant. Cette nouvelle classification permettra aussi de distinguer, au sein des patients pris en charge notamment en hospitalisation, différents niveaux de gravité avec des pronostics distincts.

Ainsi, des premières évaluations sur des données de cohortes antérieures ont montré que, parmi les patients hospitalisés pour exacerbation de BPCO (épisodes antérieurement qualifiés de sévères), seulement 10 à 30 % sont classés comme sévères avec la nouvelle définition ! Il s’agit des patients avec une acidose respiratoire justifiant souvent d’une prise en charge intensive. Inversement, 14 à 39 % des exacerbations de BPCO hospitalisées pourraient désormais être catégorisées comme légères.

Finalement, que faut-il en retenir ?

Cette nouvelle classification vient homogénéiser la façon dont on évalue les patients, avec cette fois des critères objectifs et non plus a posteriori. L’évaluation de la dyspnée devient plus précise, elle doit être réalisée systématiquement et partout. L’évaluation de la sévérité d’une exacerbation devient quant à elle plus objective, que le patient ait ou non une comorbidité associée (par exemple, une insuffisance cardiaque).

Cela ne change pas le fait que les exacerbations hospitalisées sont associées à une morbimortalité importante dans l’année. Et cela justifie, après une hospitalisation dans tous les cas (que l’exacerbation soit classée légère ou sévère), une réévaluation globale de la BPCO et un adressage systématique du patient en réadaptation respiratoire. En effet, il a été rapporté que les patients qui en bénéficient dans les 90 jours qui suivent leur hospitalisation pour exacerbation, meurent deux fois moins que ceux qui n’en bénéficient pas, avec une mortalité de 7 % pour les bénéficiaires contre 14 % pour les autres !

(1) Bartolome R Celli et al. An Updated Definition and Severity Classification of Chronic Obstructive Pulmonary Disease Exacerbations: The Rome Proposal. Am J Respir Crit Care Med. 2021 Dec 1;204(11):1251-1258

Propos recueillis par la Dr Nathalie Szapiro

Source : lequotidiendumedecin.fr