Résistances bactériennes

Un problème de développement durable

Publié le 30/03/2015
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On fuit le lit d'une nouvelle génération de bactéries menant à l'impasse thérapeutique

On fuit le lit d'une nouvelle génération de bactéries menant à l'impasse thérapeutique
Crédit photo : PHANIE

« En clinique, deux pathogènes posent aujourd’hui un grave problème dans le monde : les bacilles tuberculeux et les gonocoques », résume le Pr Vincent Jarlier, CHU de la Pitié-Salpêtrière, université Paris VI. De nombreux bacilles tuberculeux (BK) sont multirésistants (MDR), c’est-à-dire résistants aux deux antituberculeux de première ligne, rifampicine et isoniazide. Parmi eux, sont apparus des BK ultrarésistants (XDR), résistants aussi aux traitements de seconde ligne, quinolones et aminosides. Or aujourd’hui dans le monde, on estime que, sur 9 millions de cas par an, il y a autour de 500 000 cas MDR, et 50 000 cas XDR. « En France, sur près de 5 000 cas documentés, il y a 100 cas MDR – deux fois plus qu’il y a 15 ans – et 30 cas XDR – quasi-inexistants il y a 5 ans », souligne le Pr Jarlier.

En raison des errances d’autotraitements des infections sexuellement transmissibles, « on assiste par ailleurs à une montée dramatique des résistances aux bêtalactamines et aux quinolones chez les gonocoques. Enfin, on voit maintenant de nombreuses résistances (quinolones, clarithromycine) chez Helicobacter pilori. Il faut donc veiller à mieux organiser leur traitement », plaide le Pr Jarlier.

Un défi mondial et citoyen

« Pour les bactéries commensales, la situation est très préoccupante », s’alarme le Pr Jarlier. Le portage de souches multirésistantes est important et le risque de dissémination est massif, en particulier pour les bactéries intestinales. « On ici est face à un vaste problème d’hygiène, de traitements des excrétats et eaux usées, d’épandage dans les champs… », souligne-t-il.

Les staphylocoques dorés multirésistants (SARM), grâce aux énormes efforts entrepris depuis plusieurs années, ont reculé dans plusieurs pays dont la France. « Les programmes pour réduire le risque de transmission croisée ont permis de diminuer en 10 ans leur proportion, de 25 à 50 %. C’est le fruit d’un travail de longue haleine, sur un germe dont le risque de dissémination est relativement limité, vues les quantités excrétées et les niches (nez, peau, tissus infectés) ; à la différence des bactéries digestives type BLSE… », note le Pr Jarlier.

En revanche, les entérobactéries résistantes aux bêtalactamases à spectre élargi (BLSE) progressent. Elles ont depuis longtemps passé la porte de l’hôpital et acquièrent de nouvelles résistances. « Les BLSE sont désormais très souvent résistantes aussi aux aminosides et au cotrimoxazole (résistances portées par les mêmes plasmides) et souvent aux quinolones (résistances par mutations). Et, comme pour les traiter, les antibiotiques de recours – en particulier les carbapénèmes – sont de plus en plus utilisés, on fait le lit d’une nouvelle génération de bactéries hautement résistantes émergentes (BHRe), menant à l’impasse thérapeutique », explique le Pr Jarlier.

« On espère pouvoir endiguer ces BHRe résistantes aux carbapénèmes (EPC) ou à la vancomycine (ERV), dont le taux est encore inférieur à 1 % en France, mais beaucoup plus élevé dans d’autres pays européens », note-t-il. Dans ce but, des mesures de contrôle ont été mises en place dans les hôpitaux (isolement/dépistage des patients ayant des antécédents récents d’hospitalisation à l’étranger, création de cohorte des cas, personnel dédié…). « Mais le pari n’est pas gagné et le risque est majeur, souligne le Pr Jarlier. On est devant un défi mondial et citoyen. Pour y faire face, il faut, en plus des mesures d’hygiène, drastiquement réduire la consommation antibiotique. Or en France, on en consomme toujours deux fois plus que la médiane européenne ! ».

D’après un entretien avec le Pr Vincent Jarlier (CHU Pitié Salpêtrière, université Paris VI)
Pascale Solère

Source : Bilan spécialiste