Entretien avec une psychanalyste marathonienne

Florence Puklavec,  : « Le sport d'endurance permet de laisser filer la pensée »

Publié le 23/06/2020
Article réservé aux abonnés
Florence Puklavec est à la fois psychanalyste et marathonienne avec au moins un marathon par an et la pratique du jogging quatre fois par semaine. Elle a écrit récemment aux éditions l'Harmattan « Psychanalyse du sportif d'endurance ».

Crédit photo : DR

Dans la préface de votre livre, Guy Lesoeurs, psychanalyste, psychothérapeute et sexothérapeute dit que lorsque l'on court, on accomplit son désir du moi idéal et d'idéal du moi. Pourriez-vous expliquer ?

Le désir du moi idéal, c'est le moi de l'enfance, du moi infantile. Le nourrisson perçoit le monde à travers son corps. Et c'est vrai que dans le sport et notamment dans le sport d'endurance, on obtient un contact particulier avec les éléments dans ce mouvement du corps. Quant à l'idéal du moi, la compétition pousse au dépassement de soi. Le sport, c'est à la fois quelque chose de très enfantin dans le rapport au corps et quelque chose qui tend à l'accomplissement de soi et à la recherche d'un idéal.

Quelle est pour vous la différence entre un sport d'endurance et un sport qui ne l'est pas ?

Dans le sport d'endurance, on laisse filer la pensée sans se préoccuper du mouvement et l'on arrive à une sensation de bien-être. Côté fitness, on est davantage axé sur un travail du corps et l'on n'a pas la symbiose du corps et de la pensée comme il existe dans un sport d'endurance. Dans mon livre, j'ai interviewé d'anciens pratiquants de sports d'opposition notamment le football, qui rapportent aussi ne pas avoir trouvé dans ces activités finalement très frontales où l'on se blesse, un véritable plaisir comme lorsque l'on court ou que l'on nage.

Vous dites que le sport d'endurance conduit à l'auto-érotisme ?

Oui, le temps d'endurance représente un plaisir de soi sur soi. Comme le nourrisson va se faire plaisir en tétant son pouce. Un sportif n'a pas besoin d'autre chose que son corps pour arriver à se faire plaisir. Mais il faut déjà une certaine pratique et avoir dépassé la contrainte par l'entraînement. On est en accord avec l'environnement, et on devient la pluie, le vent, le soleil. On s'y intègre totalement. C'est typique du bébé qui considère que le monde qui l'entoure c'est lui…

Ce plaisir que l'on éprouve peut conduire à une dépendance…

Si la personne a plutôt un profil dépendant, elle va rapidement tomber dans le besoin et non plus dans l'envie de faire du sport. Cela peut provoquer un grand sentiment de manque voire un état dépressif. Parmi les sportifs interrogés dans mon livre, certains continuent malgré des blessures et peuvent se mettre en danger.

Vous avez interviewé 20 sportifs de 27 à 67 ans, 6 femmes, 14 hommes. Qu'en est-il ressorti ?

Chacun a son motif lié à la pratique sportive. Cela vient souvent d'un manque et l'on cherche dans le sport à combler nos failles et nos manques. Dans mon livre, j'évoque l'exemple d'Albin, pas très sportif au départ, qui, un soir en rentrant de boîte de nuit, a eu un accident de voiture. L'ami, qui était à côté de lui est mort, et ce qui lui a peut-être permis de traverser ce drame, c'est la course à pied.

Vous parlez dans votre livre d'une expérience sport en général et psychiatrie. Quelle est-elle ?

Le sport est de plus en plus présent au sein du milieu psychiatrique et également en établissement spécialisé dans l'aide au travail (ESAT). Cela permet aux personnes atteintes de troubles psychiatriques de pouvoir ressentir les contours de leur corps, ce qui est leur moi et ce qui ne l'est pas. Cela leur permet aussi de se décharger, un mécanisme de défense qui n'est pas forcément utilisé par tous.

Est-ce que cela permet de réduire les médicaments ?

La Sécurité sociale a fait une étude à ce sujet. Et il existe des études anglo-saxonnes qui démontrent que, chez des personnes atteintes d'une dépression modérée, le sport pratiqué régulièrement améliore nettement les symptômes dépressifs et l'estime de soi. Le sport ne se substitue pas aux médicaments mais peut permettre de diminuer les prescriptions.

Courir vous aide-t-il à accomplir votre travail avec les patients ?

Cela permet d'être avec soi, d'avoir un temps pour soi et de se reconnecter à soi. On laisse filer les pensées et l'on reste en phase avec ses sensations corporelles, ses pieds sur le sol, son souffle, ses mouvements… Il arrive que l'on parte avec un problème et que l'on revienne avec une solution. Comme les pensées filent, les choses s'éclaircissent et l'on saisit l'essentiel. Il peut m'arriver de penser à un patient, à une séance et de trouver la clé du problème.

Propos recueillis par Agnès Figueras-Lenattier

Source : Le Quotidien du médecin