Isolement et contention : le médecin devra saisir le juge au-delà d'une durée limite, les détails en suspens sur fond de dissolution du comité de pilotage

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Publié le 03/12/2020
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Crédit photo : S.Toubon

Avec l'adoption du Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2021, le Parlement acte un nouveau cadre pour l'isolement et la contention.

Pour rappel, le Conseil constitutionnel avait donné au législateur jusqu'au 31 décembre 2020 pour redessiner ce cadre législatif, en réponse à une question prioritaire de constitutionnalité. Un usager reprochait à l'article L. 3 222-5-1 du code de la santé publique de ne pas respecter l'article 66 de la Constitution qui exige que toute privation de liberté soit placée sous le contrôle de l’autorité judiciaire.

Première nouveauté, le nouvel article - numéro 84 dans le PLFSS - indique des durées maximales pour ces mesures, en s'appuyant sur les recommandations de la Haute Autorité de santé : 12 heures pour l'isolement, 6 heures pour la contention (prise dans le cadre d'une mesure d'isolement), chacune renouvelable dans la limite de 48 heures pour la première, 24 heures pour la seconde.

Information au-delà de 24 heures de contention ou 48 heures d'isolement

À titre exceptionnel, le médecin peut dépasser ces bornes de 24 heures et 48 heures : mais alors - et c'est là la seconde nouveauté de la loi - il doit en informer le Juge des libertés et de la détention (JLD). Celui-ci peut de son côté se saisir d'office d'une telle mesure pour y mettre fin. Ou il peut être saisi par toute une série de personnes (des parents ou tuteurs, au procureur de la République en passant par le conjoint ou toute personne ayant formulé la demande de soins, etc.), que le médecin a la responsabilité d'informer (en leur indiquant leur droit de saisine et ses modalités).

Le texte apporte deux précisions sur le calcul des mesures d'isolement et de contention : une mesure est considérée comme nouvelle dès qu'elle est prise au moins 48 heures après une précédente. En deçà de 48 heures, sa durée s'ajoute à celle des mesures déjà prises. En outre, la saisine du JLD est obligatoire dès lors que plusieurs (courtes) mesures de contention et d'isolement atteignent en cumulé 24 heures ou 48 heures en 15 jours.

Un décret en Conseil d'État devrait préciser les modalités de saisine du JLD. Le texte prévoit d’ores et déjà que le JLD a 24 heures pour se prononcer en cas de saisine, et qu'il statue sans audience, selon une procédure écrite, sauf si le patient (ou personne de confiance ou son avocat si son état ne le permet pas) le demande. « Nous serons attentifs à éviter la surcharge administrative. Le médecin n'est pas là 24 heures sur 24 pour signaler les choses au juge, il faut que la responsabilité médicale (partagée avec le directeur de l'établissement) soit en partie déléguée pour que ce soit opérationnel », précise auprès du « Quotidien » le Pr Frank Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie.

Enfin, la loi prévoit que chaque mesure soit inscrite dans un registre numérique et précise les éléments à faire figurer. Ce registre doit être présenté, sur leur demande, à la commission départementale des soins psychiatriques (CDSP) où siègent les usagers, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté et aux parlementaires.

Quid des détails pratiques ?

« Je ne dis pas que le texte est parfait, mais dans un délai court, nous sommes parvenus à trouver une communauté de vue avec la justice, guidée par un souci d'équilibre entre deux droits fondamentaux : la liberté d'aller et venir et la préservation de la santé », réagit le Pr Bellivier.

Sur le terrain, les psychiatres sont dans l'expectative. Au-delà des questions que posent un soin sous contrainte et du regret que cette réforme ne fasse pas l'objet d'une grande loi sur la psychiatrie, les inquiétudes se cristallisent sur les détails pratiques. « Comment va-t-on calculer la durée des mesures ? Cela demande un travail technique sur les logiciels, or d'ici au 1er janvier, les délais sont très courts », pointe le Dr Michel David, président de la Fédération française de psychiatrie (FFP), qui attire aussi l'attention sur les modalités d'information des personnes devant l'être.

« Le compromis trouvé est acceptable et devrait permettre de réduire ces pratiques, mais il risque de rendre encore plus criant le manque d'effectifs de soignants dans certains territoires », analyse le Dr Michel Triantafyllou, président du Syndicat des psychiatres d'exercice public (SPEP). Et d'insister sur le nécessaire renforcement de la formation des équipes à la gestion de la violence et de la crise en psychiatrie.

« Et si le Conseil constitutionnel retoque l'article au motif qu'il serait un cavalier législatif, comment ferons-nous au 1er janvier ? », interroge encore le Dr David.

Un plan d'accompagnement doté de 15 millions d'euros doit permettre d'accompagner les établissements dans la mise en œuvre de la réforme (dans la formation, l'investissement immobilier, etc.), pour en faire « une vraie opportunité pour améliorer les pratiques », indique le Pr Bellivier. Mais déjà des voix comme celle du Pr Antoine Pelissolo, cofondateur de l'association Initiative psychiatrie, dénoncent l'insuffisance de l'enveloppe et demandent 50 millions pour relever le défi.

Dissolution du Comité de pilotage de la psychiatrie

Au milieu de ces incertitudes, petit coup de théâtre. La Direction générale de l'Offre de soins (DGOS) a annoncé ce 3 décembre la dissolution du Comité de pilotage de la psychiatrie, après plusieurs mois de crise interne. Une commission nationale de psychiatrie devrait être créée prochainement. Qui seront les membres, quelles seront ses missions ? Comment cette commission s'articulera avec la délégation ministérielle ? Quel sera son rôle dans l'élaboration d'une stratégie de suivi des conséquences de crise, annoncée par le président Emmanuel Macron ? Les détails ne sont pas encore connus. En attendant, les réunions dédiées à l'élaboration du plan d'accompagnement, auxquelles ce comité était censé participer, ont été reportées sine die.

 


Source : lequotidiendumedecin.fr