« Les jeunes élites », un groupe à risque de troubles psychiatriques

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Publié le 24/01/2020
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Crédit photo : S. Toubon

Les jeunes élites sont le miroir d'une société où le diplôme est (encore) roi. Tenaillés par la peur de l'échec, 51 % des étudiants français subissent un haut niveau de stress, 25 % un haut niveau d'anxiété, 62 % ont une faible estime d'eux-mêmes, 18 % présentent une symptomatologie dépressive modérée à sévère, 22 % ont eu des pensées suicidaires ces 12 derniers mois et 6 % ont commis une tentative de suicide, selon les dernières données de la cohorte i-share*, présentées le 22 janvier au congrès de l'Encéphale, à l'occasion d'une table ronde sur « les souffrances des jeunes élites ». 

« Il y a une détresse psychologique croissante », confirme la Dr Dominique Monchablon, cheffe de service du relais Étudiants lycéens (SFEF). Si le phénomène touche l'ensemble des étudiants confrontés à des problématiques communes (sélectivité et compétition nationale et internationale, précarité économique, incertitude des débouchés, etc.), la psychiatre, qui a reçu quelque 1 200 élèves de classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) en 18 ans, appelle néanmoins à identifier des sous-groupes à risque pour mettre en place des stratégies de prévention ciblées. 

Anxiété de performance des classes prépa

« Les préparationnaires viennent consulter pour des problèmes de performance scolaire » constate la Dr Monchablon. Cette anxiété de performance peut être réactionnelle, et/ou liée à des prédispositions ou antécédents. Leurs épisodes dépressifs prennent la forme d'un burn-out réactionnel, d'une dépression saisonnière ou d'un épisode dépressif majeur (EDM) lorsqu'il est antérieur mais non diagnostiqué. Certains jeunes présentent une personnalité névrotique (anxieuse ou obsessionnelle), paranoïaque, ou des troubles de la personnalité limite. « La prépa n'est pas la cause de ces troubles, mais en cumulant les facteurs de stress (académiques, affectifs, culturels, économiques) elle révèle (ou accélère la révélation) des vulnérabilités et pathologies sous-jacentes », explique-t-elle.

Dans cette « Quête du Graal » qu'est la prépa, existent aussi des facteurs de résilience, ajoute la psychiatre : le soutien familial et institutionnel, ainsi que l'étayage par les pairs, « l'expérience jubilatoire de l'illusion groupale »

In fine, ces années seraient une épreuve initiatique ritualisée, de découverte de soi et de confrontation aux autres, dont l'issue et le vécu diffèrent selon chacun. 

Le désenchantement des grandes écoles

L'entrée dans une Grande école - parfois bien en deçà des espoirs et attentes des élèves, et la confrontation au monde du travail soulève de nouvelles problématiques : « Nous recevons alors des jeunes en plein questionnement existentiel et identitaire, avec des difficultés relationnelles autant intimes que professionnelles », observe la Dr Monchablon. 

L'expression symptomatique des troubles se modifie. L'anxiété de performance peut donner lieu à des troubles anxieux caractérisés qui s'installent et se chronicisent. Les épisodes dépressifs deviennent majeurs. Selon la Dr Monchablon, c'est à ce moment que peuvent apparaître des troubles bipolaires, des troubles thymiques dans le cadre d'un trouble de la personnalité limite, des pathologies paranoïaques (délire de persécution ou érotomane). C'est aussi là que surgissent les prises de risque, les addictions multiformes, et les troubles suicidaires. 

De l'accompagnement individuel à la réflexion collective

Que faire ? En tant que médecin, la Dr Monchablon appelle à développer le repérage et l'accompagnement précoce des jeunes, insistant sur l'idée d'un continuum des troubles, depuis le lycée - « où malheureusement, la médecine scolaire est à la peine », note-t-elle - jusqu'aux grandes écoles. Le pédopsychiatre Alain Braconnier tient, lui, à nuancer la spécificité des élites au sein de la jeunesse : « Ce sont des adolescents en difficulté comme les autres, qu'on doit accompagner dans des passages difficiles. » 

L'ancien président de HEC Paris Bernard Ramanantsoa mise, lui, sur l'écoute des jeunes et l'anticipation des problèmes. Pour endiguer la déception que peut produire la Grande école, il a noué des accords avec l'Université, permettant aux élèves de poursuivre des études en parallèle du cursus commercial, et développé les stages à l'étranger dès la première année ainsi que les expériences sur le terrain (auprès de la protection civile, par exemple). 

Mais la souffrance des jeunes (élites) interroge plus largement notre modèle de société, a enfin souligné le sociologue Olivier Galland (CNRS). « La société française est encore une "société statutaire" où le rang social, fondamental, est déterminé par le diplôme, analyse-t-il. Cela explique l'optimisme individuel des jeunes une fois diplômés... Mais aussi, revers de la médaille, la peur de l'échec mine déjà les écoliers. » 

* Cohorte en ligne de près de 21 000 étudiants, toutes filières confondues. 

Coline Garré

Source : lequotidiendumedecin.fr