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Les modalités de prescription des antidépresseurs

Publié le 08/06/2011
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La question du risque suicidogène

La question du risque « suicidogène » des antidépresseurs a longtemps été débattue, trop souvent de manière polémique ! Il n’est pas démontré dans les études contrôlées versus placebo (sauf chez les enfants et les adolescents) et de nombreuses données épidémiologiques semblent confirmer, qu’au niveau populationnel, le traitement des troubles dépressifs par antidépresseurs réduit la mortalité suicidaire puisque la dépression représente un des facteurs de risque majeur de suicide, notamment lorsqu’elle n’est pas traitée. Le risque suicidaire est donc présent au cours du traitement du déprimé, sans que la responsabilité de la maladie ou de son traitement puisse être clairement différenciée, et pas seulement lors de l’initiation du traitement antidépresseur comme nous l’apprenions, il y a quarante ans, sur les bancs des Facultés de Médecine. Il faut donc que le prescripteur soit vigilant pour prévenir un éventuel passage à l’acte suicidaire, lors de la prise en charge thérapeutique de tous les patients déprimés.

Quel choix ?

Quel choix, pour quelle dépression et quel patient ?

L’aspect sémiologique de la dépression, sa sévérité, l’existence d’antécédents dépressifs pour lesquels on recherche l’efficacité des médications antérieurement utilisées, une contre-indication à l’utilisation de certaines molécules, orientent le choix de l’antidépresseur.

La posologie doit être suffisante et se situer dans les limites de celles définies par l’AMM ; cette posologie peut être instaurée d’emblée ou nécessite parfois une « titration » progressive puis elle est maintenue en plateau.

L’horaire des prises est fonction des produits ; les antidépresseurs considérés comme psychostimulants seront recommandés le matin. En revanche, les antidépresseurs sédatifs, qui favorisent l’endormissement ou ceux dont le mécanisme d’action l’impose (agomélatine), seront prescrits en une seule prise vespérale. Rappelons que, comme pour tous les médicaments, la prise unique, lorsqu’elle est possible, est préférable pour améliorer l’observance.

La consommation de boissons alcoolisées est déconseillée, comme avec la plupart des psychotropes, de même que la conduite automobile ou le maniement d’outils possiblement dangereux. Si le grand âge n’est pas une contre-indication, il impose une surveillance clinique étroite à la recherche de signes de confusion mentale.

Surveillance et durée de traitement

La surveillance a pour but de suivre l’évolution de la symptomatologie dépressive et de rechercher des effets secondaires liés au traitement. Les éléments de surveillance sont fonction du produit utilisé : pouls, tension artérielle, durée et qualité du sommeil, prise de poids, vigilance, niveau d’anxiété, émergence d’idées suicidaires, évolution de l’humeur, La survenue d’effets secondaires, lorsqu’ils se maintiennent et qu’ils ne peuvent être corrigés, peut amener à reconsidérer la prescription. Le délai d’action des antidépresseurs est d’au moins 10 à 15 jours, parfois plus long, et il faut attendre quatre à huit semaines de traitement insuffisamment efficace pour conclure à leur échec éventuel.

Après avoir obtenu une normalisation de l’humeur, il est nécessaire de maintenir la même posologie pendant plusieurs mois. On distingue arbitrairement une phase de traitement aigu de 2 mois et une de traitement d’entretien de 4 à 6 mois dont l’objectif est de prévenir les rechutes. La plupart des antidépresseurs ont fait l’objet d’études (obligatoires en Europe depuis quelques années, pour l’AMM de nouveaux antidépresseurs) pour établir que leur effet thérapeutique ne s’épuisait pas et qu’ils étaient utiles pour prévenir les rechutes (classiquement définies comme la réapparition d’une symptomatologie dépressive dans les six mois suivant la rémission et donc considérées, à la différence des récidives, comme appartenant au même épisode). Au terme de ces 6 à 8 mois de traitement, et en l’absence d’indication d’un traitement prophylactique, l’arrêt de l’antidépresseur peut être envisagé ; il doit être progressif avec certaines molécules pour éviter un syndrome de sevrage. L’interruption brutale n’est autorisée qu’en cas de virage maniaque de l’humeur qui signe la « bipolarité » du trouble et amène à en reconsidérer la prise en charge ultérieure.

Moyen et long terme

La question de la prescription d’un traitement préventif pour le moyen et long terme se pose pour les patients souffrant de dépressions récurrentes (au-delà de six mois de rémission, on considère qu’il s’agit d’un nouvel épisode), c’est-à-dire ayant fait au moins trois épisodes incluant l’épisode index. La meilleure stratégie de prévention des récidives, comme l’avait montré l’étude pionnière, réalisée à Pittsburgh, sur les traitements d’entretien dans le trouble dépressif étant l’association antidépresseur et psychothérapie.

Sans être à proprement parlé une psychothérapie, la psychoéducation est essentielle lors d’un traitement antidépresseur ; elle ne se résume pas à la simple information sur la maladie et son traitement, qui accompagne toute prescription médicale quelle que soit la pathologie traitée, mais se structure dans un programme d’éducation thérapeutique codifié.

Les associations médicamenteuses ne doivent pas être systématiques. Les troubles du sommeil sont fréquents dans la dépression et se corrigent spontanément avec l’amélioration de l’humeur ; toutefois, la prescription d’un hypnotique peut se justifier, surtout au début du traitement, lorsque l’insomnie est marquée et gênante pour le patient. Les tranquillisants peuvent être associés dans les dépressions très anxieuses mais doivent être interrompus dès que possible.

En cas d’échec d’un traitement correctement suivi et après s’être assuré de l’absence de causes éventuellement curables (hypothyroïdie...) il conviendra de changer de molécule. La question du recours à une molécule d’une autre classe se pose alors ; certains considèrent que les différences intraclasses des produits sont aussi importantes que les différences interclasses et que l’on peut donc utiliser un autre antidépresseur de la même famille, en deuxième intention. Les résultats de la méta-analyse de Papakostas et coll. (2008) plaident toutefois en faveur d’une légère, mais significative, supériorité d’un changement de classe d’antidépresseur plutôt que de produit à l’intérieur de la même classe.

> Pr FRÉDÉRIC ROUILLON Psychiatre, CMME, hôpital Sainte-Anne, Paris.

Source : Le Quotidien du Médecin: 8978