Près d'un tiers des personnes atteintes de troubles bipolaires (TB) ont vu leur diagnostic confirmé plus de 10 ans après les premiers symptômes, met en lumière une enquête* de l'association Bipolarité France. Les résultats sont publiés ce 30 mars, à l'occasion de la journée mondiale des TB.
L'association alerte sur les conséquences néfastes du retard diagnostique, souvent dû à une confusion avec une dépression, une schizophrénie ou des addictions. Les répondants sont 19 % à dater l'apparition des premiers symptômes avant 15 ans, 17 % entre 21 et 25 ans, et un tiers (32 %) entre 15 et 20 ans. Une grande majorité (72 %) déclarent que l'errance diagnostique a pesé sur les relations personnelles, 69 % sur leur santé mentale. Ils sont 44 % à avoir perdu leur emploi ou abandonné leurs études. Et 61 % évoquent des pensées suicidaires, quand 36 % ont commis une tentative de suicide.
« Les troubles bipolaires sont d’autant plus dévastateurs qu’ils sont pris en charge tardivement, commente la Pr Chantal Henry, directrice scientifique de la Fondation Pierre Deniker. Au-delà des fluctuations de l’humeur non traitées, le risque est que d’autres troubles s’y associent tels que les troubles anxieux et les addictions. L’ensemble peut favoriser une désinsertion sociale et professionnelle voire des conduites suicidaires alors que les personnes dont le trouble bipolaire est stabilisé peuvent avoir une qualité de vie tout à fait satisfaisante. »
De fait, 87 % des répondants affirment que la confirmation du diagnostic a été utile voire très utile, car elle leur a permis de recevoir des conseils sur les traitements (70 %), sur l’hygiène et les habitudes de vie (52 %), sur la gestion des situations de crise (35 %) et d'être orientés vers des services médicaux (21 %) et des psychothérapies adaptées (37 %).
4 000 patients dans la cohorte Face-BD
La recherche avance, assure de son côté la Fondation FondaMental qui met à jour, à l'occasion de la journée mondiale, son livre numérique sur les progrès de la science.
La cohorte Face-BD, la plus grande au monde avec 4 800 patients au 1er janvier 2022 à travers les 17 centres experts, permet de mieux documenter les comorbidités somatiques dont souffrent les patients bipolaires. Ainsi 20 % d'entre eux présentent un syndrome métabolique, versus 10 % de la population générale, et 28 % une stéatose hépatique non alcoolique, versus 17 %, tandis que les deux tiers ne sont pas traités correctement pour les pathologies cardio-métaboliques.
Autres enseignements : l'exposition à des traumatismes dans l'enfance est associée à un risque de rechute dépressive et maniaque plus élevée ; et plusieurs facteurs grèvent les trajectoires de fonctionnement, tels que le nombre d'hospitalisation, être non actif, les symptômes dépressifs, des traumatismes, des problèmes de sommeil ou de poids, etc.
Quant à l'observance, qui pose problème à 40 voire 50 % des patients bipolaires, elle est d'autant plus compliquée chez les jeunes, les personnes souffrant de symptômes dépressifs ou de troubles cognitifs.
Application, IRM, neurofeedback…
« La recherche va d'un objectif clinique médical jusqu'à un objectif fonctionnel, qui vise une meilleure qualité de vie pour le patient », explique la psychiatre Émilie Olié (CHU de Montpellier), qui coordonne le réseau de centres TB.
Les centres FondaMental participent ainsi à la mise au point d'une application de psychoéducation « Simple », qui consiste pour le patient à évaluer son état de santé sur smartphone à travers cinq questions (relatives à l'humeur, l'énergie, le sommeil, l'irritabilité, l'observance) et à lui envoyer des messages de psychoéducation adaptés. Une centaine de patients sont recrutés sur un objectif de 350, dans le cadre d'une étude de non-infériorité, par rapport à des groupes de psychoéducation en présentiel. « Les premiers retours sont positifs », assure le Dr Ludovic Samalin (CHU de Clermont).
Autre piste de recherche : les centres FondaMental participent à des travaux pour savoir si l’imagerie cérébrale associée à des méthodes d’apprentissage automatique pourrait améliorer le diagnostic du trouble bipolaire. En parallèle, des interventions thérapeutiques sont testées à l'aide de l'IRM. C'est notamment le cas du neurofeedback, qui a déjà montré son intérêt sur les symptômes dépressifs et anxieux. En collaboration avec les centres experts de Créteil, Bordeaux et Grenoble, ainsi que l'Inserm, un projet hospitalier de recherche clinique évalue le potentiel de l’entraînement au neurofeedback avec l’IRM fonctionnelle en temps réel pour l’amélioration de la régulation émotionnelle et le traitement de symptômes dépressifs résiduels dans le trouble bipolaire.
Des marqueurs biologiques pour dépister plus tôt
D'autres projets de recherche tentent d'identifier des marqueurs du vieillissement cellulaires qui seraient associés à des troubles bipolaires, comme, la longueur des télomères et le nombre de copies de l'ADN mitochondrial. « Nous espérons avoir des marqueurs biologiques complémentaires à l’examen clinique et compatible avec notre pratique, pour mieux dépister la maladie, réduire le délai pour obtenir un diagnostic et personnaliser les traitements », commente la Dr Émilie Olié.
Car même lorsque les patients sont considérés comme rétablis, les thérapeutiques ne sont pas anodines. « J'ai été diagnostiquée à 20 ans et ai mis 7 ans à trouver un traitement, une recherche assez empirique. Même si je suis stabilisée, je ne vis pas toujours très bien les effets secondaires, et m'inquiète pour une possible maternité ou pour mon espérance de vie », a témoigné Victoria Leroy, 29 ans, cofondatrice de La Maison Perchée, structure parisienne de pair-aidance.
* Enquête réalisée en lien avec Unafam, Fondation Pierre-Deniker et Bipolar UK, et menée en ligne du 20 décembre 2022 au 19 février 2023 sur le site de l’association Bipolarité France. Quelque1 204 personnes diagnostiquées pour un trouble bipolaire ont répondu aux 20 questions.
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