Radicalisation et psychiatrie

Médecins et familles s'insurgent d'un décret autorisant le croisement des fichiers

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Publié le 13/05/2019
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Inadmissible, honteux, provocateur, choquant. Les qualificatifs ne manquent pas dans la bouche des psychiatres et usagers pour dénoncer le décret du 6 mai - entré en application le 8 mai - qui autorise le croisement des fichiers hopsyweb et FSPRT.

En cas de correspondance des noms, prénoms et date de naissance des patients en soins psychiatriques sans consentement avec les données du FSPRT, le préfet du département est averti. Il peut ensuite se rapprocher de l'agence régionale de santé (ARS) pour obtenir des informations complémentaires. Objectif affiché : renforcer la prévention de la radicalisation.

Ce décret vient compléter un premier texte pris dans le cadre du Plan de prévention de la radicalisation. Daté du 23 mai 2018, il instituait le fichier Hopsyweb autorisant, dans un objectif d'homogénéisation et de suivi des soins sans consentement, la communication de certaines données concernant le patient et ses médecins, à une (longue) liste de destinataires. Pas moins de trois recours sont en cours devant le Conseil d'État pour obtenir son annulation, déposés par le Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH), le Conseil national de l'Ordre des médecins (CNOM) et le Cercle de réflexion et de proposition d'actions sur la psychiatrie (CRPA). 

Dans le cadre de la procédure juridique, ce décret vient cyniquement confirmer les craintes du SPH. « Nous dénoncions l'amalgame inadmissible entre personnes en soins sans consentement et radicalisation dans le décret de mai 2018. Le ministère de la Santé nous a répondu dans son mémoire pour le Conseil d'État que nous n'apportions pas la preuve de ce lien. Ce décret fait explicitement le lien ! », résume le Dr Marc Bétrémieux, président du SPH. 

Risque de stigmatisation 

Les psychiatres s'alarment de la confusion entre maladie psychique et dangerosité qui complique les soins. « Nous nous heurtons souvent à des freins posés par les préfets pour organiser les permissions de sorties de patients suivis en soins sur décision du représentant de l'État (SDRE) ou irresponsables pénaux », souligne le Dr Michel David, président de la Fédération française de psychiatrie. 

« Les familles risquent de ne plus oser signer une demande de SDRT, c'est contre-productif », s'insurge Marie-Jeanne Richard, de l'UNAFAM, qui note la contradiction entre ce décret et l'objectif de destigmatisation de la maladie psychique inscrit au cœur de la feuille de route de Ségur sur la Santé mentale. 

« Aucun lien de causalité n'a été ce jour établi de manière scientifique entre troubles psychiatriques et radicalisation à visée terroriste », rappelle le syndicat des psychiatres d'exercice public (SPEP). 

Menace sur le secret professionnel 

Le CNOM examine les voix juridiques d'un recours au Conseil d'État contre ce décret et tranchera en Bureau le 17 mai prochain, il réitère son opposition à toute nouvelle dérogation au secret médical, des exceptions en cas de danger imminent étant déjà prévues.  

Dans une délibération publiée parallèlement au décret, la commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) estime que le croisement de deux fichiers ayant des finalités différentes mérite une vigilance particulière. Elle attire notamment l'attention sur la violation du secret professionnel qui résulterait de la possibilité pour des agents de la préfecture ou du FSPRT d'avoir connaissance de données de santé.

Coline Garré

Source : Le Quotidien du médecin: 9749