Prévenir le stress post-traumatique après Wintzenheim : « De l'observation et du sur-mesure », selon la Dr Hingray, responsable Cump

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Publié le 17/08/2023

Crédit photo : DR

Onze personnes, dont dix en situation de handicap, sont décédées le mercredi 9 août dans l’incendie d’un gîte à Wintzenheim (Haut-Rhin). La Dr Coraline Hingray, psychiatre au centre du psychotraumatisme de Nancy (CPN) et au CHRU, responsable médicale de la Cellule d'urgence médico-psychologique (Cump) de Meurthe-et-Moselle (54), revient pour le « Quotidien » sur les spécificités de la prise en charge psychologique des victimes.

LE QUOTIDIEN : Comment s’est structurée l’intervention de la Cump 54 ?

Dr HINGRAY : La Cump 54 a été déclenchée par la préfecture et le Samu dès le mercredi matin (9 août), lorsqu’on a compris qu’au moins quatre victimes venaient de Meurthe-et-Moselle.

Le premier défi de toute Cump est de trouver rapidement le dispositif le plus adapté à l’évènement, alors que les informations arrivent au compte-goutte et sont changeantes. En quelques heures, j’ai dû passer plus d’une trentaine de coups de téléphone, pour déterminer comment intervenir au mieux, de quelle manière, auprès de quel public, à quel endroit, dans quel délai… et pour mobiliser les volontaires.

J’étais aussi en contact avec la Cump locale du 68 (Haut-Rhin), qui s’est rendue immédiatement à Wintzenheim, pour savoir si ses professionnels avaient reçu des personnes du 54 et éventuellement identifié des signes d’alerte, par exemple un état aigu de dissociation péri-traumatique, facteur de risque de troubles post-traumatiques.

Très vite, nous avons décidé de mettre en place un poste d’urgence médico-psychologique (Pump) téléphonique (assuré par un médecin et des psychologues), pour les proches dispersés sur le département.

Puis dès le jeudi, nous sommes allés avec des infirmiers volontaires et formés à la rencontre des familles, rassemblées à l’occasion de la venue de la ministre du Handicap Fadila Khattabi. Nous avons pu mener des entretiens individuels et familiaux, tandis que le Pump téléphonique rappelait les personnes déjà vues. Nous avons aussi mis en place une cellule dans le nord du 54, sous la direction du Dr Stéphane Keller, au sein du foyer de victimes décédées, pour les co-résidents et professionnels.

Cette fin de semaine et la semaine prochaine, nous préparons plusieurs interventions dans les différents foyers et les établissements et services d'aide par le travail (Esat) pour les résidents et professionnels présents ou de retour de vacances. 

Ce drame de Wintzenheim présente-t-il des spécificités ?

D’ordinaire, l’action des Cump se concentre sur le lieu où elles sont dépêchées. Pour l’incendie de Wintzenheim, nous devons intervenir auprès de plusieurs profils : les familles et amis des victimes décédées, les rescapés et leur entourage, mais aussi les foyers de vie, auprès des co-résidents et des professionnels qui parfois connaissent les victimes depuis des années, sans oublier les lieux de travail protégés. Difficulté supplémentaire : certaines structures sont fermées. Nous devons donc inscrire notre action dans la durée pour toucher les personnes après leur retour de vacances, en prévoyant des moments aigus lors de l’annonce, et une surveillance par la suite. Légalement, les Cump restent ouvertes un mois après l’évènement. Mais les centres du psychotraumatisme peuvent prendre le relais.

Autre spécificité, certaines personnes souffrent de déficience intellectuelle et de handicap, avec des difficultés à verbaliser les émotions et les pensées. Nous devons alors redoubler notre capacité d’observation et faire du sur-mesure. Je pense par exemple à la jeune amie d’une victime. Elle rentre dans la pièce, sursaute, se bouche les oreilles. Comment créer de la confiance, s’adapter à ses besoins, identifier les facteurs rassurants ? Cela suppose de collaborer avec les proches et professionnels qui la connaissent au quotidien. C’est un travail plus complexe qu'auprès d'un public classique, mais très riche.

En termes de prise en charge et de prévention du psychotraumatisme, que proposez-vous ?

D’abord, du defusing : l’accueil des émotions et des pensées sans juger ni forcer la verbalisation. D’emblée, d’aucuns refusent de parler ou n’en ressentent pas le besoin. Notre présence doit faciliter l’expression de la parole. Nous ne faisons plus de debriefing comme avant : forcer un récit en détail – quand il ne vient pas de lui-même – risque de favoriser la mémoire traumatique.

Ensuite, il s’agit d’observer des signes péri-traumatiques : la personne est-elle ancrée dans la réalité, ou reste-t-elle dé-réalisée et peine-t-elle à prendre conscience de ce qui se passe ? Nous sommes attentifs aux signes de dissociation, d’hypervigilance, aux troubles du sommeil et à l’état émotionnel. Ce qui a été compliqué en l’occurrence, c’est que les victimes n’ont pu être déclarées décédées avant l’identification formelle des corps. Cette incertitude, lit de l’espoir et du doute, est toujours délicate à gérer.

Nous faisons de la prévention, en incitant les personnes à consulter, si plusieurs semaines après le drame, les troubles du sommeil ou l’hypervigilance persistent. Attention : l’alcool et les benzodiazépines sont contre-indiqués en état de stress aigu. Nous alertons aussi sur le fait qu’un drame peut faire resurgir des antécédents traumatiques personnels : les traumas ont tendance à entrer en résonance. J’ai notamment pu le constater une fois encore dans ce drame chez des professionnels et des proches de victimes.

Enfin, la reconnaissance de la gravité de l’évènement est importante, surtout dans le monde du handicap, qui se sent parfois invisibilisé. Dans le trauma, la réaction des tiers peut atténuer ou aggraver la santé mentale.

Quelles répercussions peut avoir le retentissement médiatique et juridique de ce drame sur la santé mentale des impliqués ?

Cela dépend des individus. Certains vont bien le vivre, avec l’impression d’être considérés et reconnus. D’autres vont le subir comme une intrusion dans leur intimité.

Il faudra aussi accompagner les sentiments de colère, de tristesse et de culpabilité qui pourront naître lorsque les enquêtes livreront leurs premiers résultats. Mais on peut espérer que la justice, dans ce cas, aille dans le sens d'une reconnaissance significative des victimes. 


Source : lequotidiendumedecin.fr