Santé mentale

Quelle place pour les unités de soins intensifs psychiatriques  ?

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Publié le 13/07/2023
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Comment prendre en charge les patients psychiatriques difficiles ? Dans un contexte de crise de la discipline, les réflexions s'intensifient autour des unités de soins intensifs psychiatriques (Usip), qui se sont développées hors de tout cadre national et interrogent soignants, usagers et familles.
Une charte de valeurs communes pourrait aider à définir la place des Usip au sein de la psychiatrie publique

Une charte de valeurs communes pourrait aider à définir la place des Usip au sein de la psychiatrie publique
Crédit photo : Sébastien Toubon

Comment prendre en charge les patients psychiatriques difficiles alors que la psychiatrie publique traverse une profonde crise institutionnelle et démographique ? Les réflexions s'accélèrent autour des unités de soins intensifs en psychiatrie (Usip), qui émergent en France depuis la fin des années 1980 spontanément, sans encadrement réglementaire ni cahier des charges national.

Et sans créer le consensus, certains praticiens, usagers et familles, ont demandé en juillet 2022, par la voix de pas moins de 13 organisations, un moratoire sur leur ouverture, les accusant d'être les « symptômes de la déliquescence annoncée » de la psychiatrie. De son côté, le Contrôleur général des lieux de privation des libertés (CGLPL) demande depuis des années une « analyse officielle de la pertinence » de ces structures. 

« Nous allons lancer une enquête en septembre pour obtenir une cartographie des Usip existantes et une description fine de leurs périmètres (rendent-elles service à un département, une région) et de leurs fonctionnements (activité, architecture, formation, ratio soignants/patients) », explique le Dr Radoine Haoui, qui pilote le groupe de travail Usip (rassemblant psychiatres universitaires ou non, représentants des usagers et de l'Unafam*, infirmiers) au sein de la Commission nationale de la psychiatrie (CNP). Celle-ci a en effet été missionnée par la Direction générale de l'offre de soins (DGOS) afin d'ouvrir la discussion avec l'ensemble des parties prenantes. « Il ne s'agit pas de mettre la poussière sous le tapis, mais d'avancer sur un sujet clivant et de trouver une porte de sortie raisonnable. À terme, nous visons un cahier des charges national », qui pourrait prendre la forme d'une circulaire, explique-t-il.

En parallèle, la Fédération française de soins psychiatriques intensifs (2FSPI), créée début 2023, s'est mise en ordre de marche pour écrire une charte de valeurs communes à soumettre à la CNP et penser la place de ces unités au sein de la psychiatrie publique. 

Pluralité des fonctionnements 

Actuellement au nombre de 14, les Usip se sont créées sans se coordonner, en réponse à des besoins locaux variables : défaut d'unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), délais d’admission en unités pour malades difficiles (UMD) trop longs, fragilité du secteur... « L'hétérogénéité s'explique aussi par le fait que les fonctionnements, les financements et les indications patients divergent », constate la présidente de la 2FSPI, la Dr Clémence Bied, cheffe de service de l'Usip du centre hospitalier Le Vinatier, à Bron, dans la région lyonnaise.

Les patients pris en charge en Usip - sous le régime des soins sans consentement - sont « dans une situation de décompensation d'une sévérité ou de résistance qui dépasse les capacités de prise en charge du service du secteur », poursuit la Dr Bied. « Souvent, il y a intrication avec des problématiques de violence », précise-t-elle. Une majeure partie de la file active est représentée par de jeunes hommes avec une schizophrénie et une composante comorbide de consommation de cannabis, mais aussi des personnes avec des troubles de la personnalité sévères - de type antisocial ou borderline - plus rarement des patients déficitaires, détaille la psychiatre. 

Les Usip se veulent comme un recours en cas de crise, contrairement aux UMD dont les séjours durent six mois minimum, dans le cas d'une dangerosité persistante, avec passage devant une commission pour en sortir. « Les durées de séjour en Usip sont d’un à deux mois renouvelables une fois ; on essaie de plus en plus de personnaliser la prise en charge », souligne la Dr Bied. 

Dotées de 10 à 15 lits, la particularité des Usip, par rapport aux services plus classiques, tient à un encadrement renforcé et à une architecture qui favorise les espaces d'isolement. « L'Usip de Bron, créée en 2005, compte 12 lits plus six espaces d'isolement. Y travaillent quatre infirmiers et aides-soignants, un ergothérapeute et un animateur, et deux médecins : cette disponibilité des soignants permet de réguler les problématiques personnelles ou relationnelles des patients », illustre-t-elle. Essentiels sont aussi à ses yeux la formation ainsi qu' « un relationnel et une posture » adaptés aux patients pour désamorcer l'escalade de la violence. « On propose à tous les agents du pôle des apports théoriques sur la désescalade verbale, la posture relationnelle, la réduction des pratiques d'isolement et contention », indique la Dr Bied. 

Sortir de l'image sécuritaire 

La 2FSPI cherche à libérer les Usip de leur image répressive et asilaire et à promouvoir une « sécurisation des soins » sans réduire la liberté des patients. « Les soins intensifs et sécurisés ne devraient pas se réduire à des unités fermées », considère la Dr Bied, qui a développé les soins ambulatoires à Bron. 

Depuis janvier 2022, un « plateau d'appui psychiatrie violence » (PAVP) au sein du pôle de soins intensifs propose un hôpital de jour et, pour les patients à risque au sein des services généraux, un accompagnement par une équipe mobile de liaison. Accompagnement qui peut prendre plusieurs formes : évaluation d'un patient, conseils, mais aussi entretiens conjoints avec l'équipe du secteur ou hospitalisations. « Alors qu'ils sont en soins sans consentement, ce PAVP permet de déstigmatiser ces patients et de les rendre acteurs du soin », observe la Dr Bied. 

Les craintes exprimées il y a un an restent néanmoins vives. « La généralisation de ces unités va à l’encontre des principes de la psychiatrie publique : atteinte à la proximité et à la continuité des soins, stigmatisation du patient réduit à un symptôme, éloignement de ses proches, etc. », écrivaient l'été dernier les représentants de la psychiatrie publique. « Ils redoutent encore que le développement des Usip se fasse au détriment du secteur et se traduise par une perte de compétence et d'investissement des équipes dans la gestion des situations de crise. Et pour le patient, avec le risque d'un saucissonnage de son parcours de soins et de vie », explicite le Dr Haoui. « Il faudrait parler d'unité renforcée plutôt que de soins intensifs : ceux-ci doivent aussi pouvoir être prodigués en psychiatrie générale », suggère-t-il. 

Alors qu'en avril, la Fédération nationale des associations d’usagers en psychiatrie (Fnapsy) a réitéré sa demande de moratoire sur la création de ce qu'elle voit comme le retour des « pavillons de force », le membre de la Commission nationale de pilotage ne ferme pas catégoriquement la porte à ces structures. Mais il insiste sur l'importance de les inscrire dans un cadre national mais aussi de politiques territoriales locales et régionales. « Pendant la durée des travaux de la CNP, toute nouvelle demande d'Usip devrait au moins transiter par la DGOS », estime-t-il. La 2FSPI se retrouvera en septembre, pour préparer notamment les journées inter-Usip du 4 avril 2024 à Bron. 

* Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam)

Coline Garré

Source : lequotidiendumedecin.fr