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Dossier

Psychiatrie

Sentinelles, pairs-aidants, groupes d'entraide... : l'essor des nouveaux acteurs de la santé mentale

Par Coline Garré - Publié le 02/09/2022
Sentinelles, pairs-aidants, groupes d'entraide... : l'essor des nouveaux acteurs de la santé mentale

Après la crise covid, on a reconnu l'émergence de la souffrance psychique en population générale
Phanie

Sentinelles, pairs-aidants, groupes d'entraide mutuelle, clubhouses, secouristes en santé mentale… Ces dernières années, de nouveaux acteurs ont investi le champ de la santé mentale, tant dans la prévention que dans les soins.

Une révolution, malgré la tourmente. Alors que la psychiatrie ne cesse d'alerter sur la crise qui la mine, la santé mentale opère une mue. Parmi les symptômes les plus remarquables : l'essor de nouveaux acteurs dans les parcours de soins, sans blouse blanche, soutenu par les autorités.

« On peut distinguer deux catégories d'acteurs, décrit le Pr Frank Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie. La société civile qui à travers des outils comme les sentinelles et les premiers secours en santé mentale contribue à la prévention et à la promotion de la santé mentale en population générale, d'une part. Et d'autre part, les usagers et familles dont le savoir expérientiel peut contribuer aux soins. »

Les premiers s'inscrivent dans un mouvement de déstigmatisation des troubles psychiques et de levée du tabou. Parler de santé mentale n'est plus l'apanage du ministère de la Santé : le sujet émerge dans de nombreux milieux de vie (école, collège, lycée, travail…) et s'invite dans les médias grand public, sur les réseaux sociaux ou dans les podcasts (par exemple, Les Maux bleus, qui donne à entendre les récits de patients et de professionnels).

« Il y a indéniablement un effet Covid. On a reconnu l'émergence de la souffrance psychique en population générale, en particulier chez les jeunes », analyse le Pr Bellivier. Résultat : les autorités soutiennent pour la première fois des campagnes officielles, telles que « En parler, c'est déjà se soigner », organisée par Santé publique France au printemps 2021, ou « Je peux en parler », portée par l'association estudiantine Nightline.

La pair-aidance, espoir et changement de pratiques

En parallèle, des acteurs non soignants prennent une place de plus en plus grande auprès des personnes avec troubles psychiques. La crise Covid a révélé les 660 groupes d'entraide mutuelle (GEM) comme des structures précieuses pour combattre l'isolement des populations vulnérables. Mais bien au-delà, la pair-aidance s'inscrit dans un mouvement de fond : la reconnaissance du savoir expérientiel comme levier thérapeutique complémentaire des expertises des soignants. Plus généralement, la réhabilitation psychosociale promeut un modèle de prise en charge basé sur les besoins exprimés par la personne concernée, visant à la restaurer dans son pouvoir d’agir, le patient étant un sujet de droit. L’intervention de pairs-aidants contribue au processus de rétablissement.

« Les pairs-aidants apportent l'espoir aux patients, grâce à la légitimité de leur vécu. Cela permet de les (re)mettre dans les soins. Ils épaulent les aidants. Et donnent aux soignants un autre éclairage sur la personne soignée », explique le Pr Nicolas Franck, psychiatre, qui a recruté ces cinq dernières années 12 pairs-aidants dans son pôle Centre Rive gauche de Lyon (hôpital Le Vinatier).

« Les pairs-aidants exercent dans le centre ressource de réhabilitation psychosociale (où ils ont des fonctions académiques et travaillent sur la déstigmatisation) et dans les structures soignantes, détaille-t-il. Ils animent des groupes de psychoéducation, mènent des entretiens individuels, font de l'éducation thérapeutique, aident à la promotion des directives anticipées en psychiatrie, préparent la sortie d'hospitalisation. » Les équipes les considèrent désormais comme indispensables.

« Nous aidons les personnes à se reconnecter à leur vie. En tant que pairs-aidants, nous n'avons pas forcément la même pathologie, mais un vécu similaire d'effondrement psychique et de stigmatisation. Nous parlons beaucoup du vivre avec (les symptômes, les traitements) ; on montre qu'on peut se rétablir », décrit Camille Niard, médiatrice de santé pair. « Il y a une proximité thérapeutique », analyse-t-elle, ajoutant que le pair reçoit aussi beaucoup du soigné.

« J'ai ainsi aidé un patient qui avait très peur de la rechute : nous avons élaboré des plannings, trouvé des outils. Il a osé aller au-devant de sa vie, a fondé son entreprise, quitté son logement insalubre, et c'est désormais un ami », illustre-t-elle.

Côté famille aussi, « les pairs-aidants redonnent de l'espoir, permettent de mieux comprendre des situations difficiles et d'éviter toute colère ou ressentiment à l'égard de l'institution, témoigne Marie-Jeanne Richard, présidente de l'Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam), qui, depuis sa création en 1963, repose sur l'aide entre familles. Il y a tellement de stigmatisation en psychiatrie que certains messages ne peuvent être délivrés que par des personnes qui ont traversé les mêmes épreuves que vous. »

Professionnels ou bénévoles ?

La pair-aidance a reçu la bénédiction des pouvoirs publics, tout comme le mouvement du rétablissement dans lequel elle s'inscrit. « Ce n'est pas une lubie d'illuminés ni une doctrine parmi d'autres. Il y a des données scientifiques probantes en faveur de la réhabilitation psychosociale, y compris lorsque les troubles sont sévères », considère le Pr Bellivier. « Il est important de compléter la prise en charge médicale et psychiatrique, par d'autres interventions, qui ont trait au logement, au travail, à l'inclusion sociale, et ceci dès la phase du soin ! », insiste le délégué ministériel.

Les projets territoriaux de santé mentale doivent ainsi tenir compte de la pair-aidance ou des GEM, en articulation avec les plateformes de réhabilitation psychosociale. Les Assises de la santé mentale prévoient de favoriser l'émergence d'intervenants pairs professionnels en consacrant 4 millions d'euros, à partir de 2022, pour des appels à projets régionaux. Une enveloppe de 8 millions en 2022 puis de 10 millions par an à partir de 2023 doit soutenir les GEM et les clubhouses, ces structures davantage orientées vers la réinsertion sociale et professionnelle.

Malgré cet intérêt croissant, la pair-aidance se cherche encore. Doit-elle être reconnue comme un métier, grille salariale à la clé ? Y a-t-il de la place pour le bénévolat, à côté d'une pair-aidance professionnelle ? « On mène de front les deux modèles », assure Frank Bellivier. « C'est intéressant que les deux coexistent, considère Camille Niard. L'avantage d'être professionnel est d'être au même niveau que l'équipe soignante, avec la même légitimité dans les réunions cliniques. Mais certains pairs-aidants préfèrent le bénévolat. » « Des pairs-aidants bénévoles sont plus libres pour critiquer une organisation, une institution », fait remarquer la présidente de l'Unafam.

Le Pr Franck estime de son côté indispensable de définir la place des pairs-aidants dans les hôpitaux et le médicosocial et d'harmoniser les formations. La première est la licence de médiateur de santé pair lancé en 2012 par l'université Bobigny-Paris 13, en partenariat avec le centre collaborateur de l'Organisation mondiale de la santé (CCOMS). Le Pr Franck a lancé le diplôme d'université (DU) pair-aidance en santé mentale, co-porté par le centre ressource de réhabilitation psychosociale et l’Université Lyon 1, en 2019. Bordeaux, Marseille et Tours viennent à leur tour de créer trois diplômes. Sans compter les formations associatives. L'engouement est réel : « Nous avons reçu 250 candidatures pour… 35 places dans le DU », témoigne le Pr Franck.

C. G.